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Jeanne du Barry


Jeanne Vaubernier, fille du peuple avide de s’élever socialement, met à profit ses charmes pour sortir de sa condition. Son amant le Comte du Barry, qui s’enrichit largement grâce aux galanteries lucratives de Jeanne, souhaite la présenter au Roi. Il organise la rencontre via l’entremise de l’influent duc de Richelieu. Celle-ci dépasse ses attentes : entre Louis XV et Jeanne, c’est le coup de foudre… Avec la courtisane, le Roi retrouve le goût de vivre – à tel point qu’il ne peut plus se passer d’elle et décide d’en faire sa favorite officielle. Scandale : personne ne veut d’une fille des rues à la Cour.

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Entretien avec la réalisatrice, Maïwenn

Qu’est-ce qui vous a donné envie de consacrer un film à la figure de Jeanne du Barry ? 
Tout commence quand je vais voir au cinéma en 2006 MARIE-ANTOINETTE de Sofia Coppola. Car, dès qu’elle paraît à l’écran, je suis fascinée par le personnage de Jeanne campée par Asia Argento. Je me sens immédiatement en connivence avec elle, elle me manque dès qu’elle quitte l’écran. Jeanne du Barry me séduit car c’est une looseuse magnifique. Peut-être parce que sa vie a des similitudes avec la mienne, mais ce n’est pas la seule raison. Je tombe amoureuse d’elle et de l’époque. Je me plonge dans une biographie très complète d’elle. Le désir de faire un film sur elle est immédiat mais va être contrarié pendant dix ans par un sentiment d’illégitimité à m’en emparer. À chaque fois que je termine un film, je me replonge pourtant dans ce livre mais sans jamais parvenir à triompher de mon complexe d’infériorité.

Comment démarrez-vous alors l’écriture du scénario ?
Entre 2016 et 2019, je me suis entièrement dédiée à l’écriture de ce scénario, de façon très disciplinée et quotidienne. J’avais besoin de ce côté très scolaire pour me plonger dans l’époque, lire tout ce que je pouvais trouver sur Jeanne et relever tout ce que j’aimais. Ce travail-là m’a donné la base d’un scénario que j’ai ensuite élagué pour arriver à une première version qui racontait alors Jeanne de sa naissance à sa mort. Comme je voulais la défendre, j’avais besoin de la raconter en détails pour comprendre cette femme qui, après la mort de Louis XV, a continué à aimer, à faire énormément de choses.

Qu’est-ce qui vous fait cependant concentrer votre récit sur son histoire d’amour avec Louis XV ? 
C’est dur de se détacher d’un biopic « classique » quand on aime autant un personnage. Mais si je choisis d’axer le récit sur la relation entre Jeanne et Louis XV, c’est parce que c’est elle qui la mène à sa perte et parce que tout ce qui a suivi son départ de Versailles est le résultat direct de cette période-là dont elle sort avec une étiquette qui ne la quittera plus : la pute du Roi. Or moi, je suis persuadée qu’elle ne méritait pas qu’on la résume à cela. Et c’est pour cela que j’évoque aussi, même brièvement, son enfance, sa jeunesse et ce qui se passe après la mort du Roi. Dans toutes mes lectures, un livre m’a particulièrement marquée : celui écrit sur elle par les frères Goncourt. Car il était totalement et gratuitement à charge contre elle. C’est intéressant de constater que plus on a avancé dans le temps, plus les portraits de Jeanne sont devenus élogieux.

Vous parlez de mise en scène. Comment avez-vous pensé l’atmosphère visuelle de votre film ?
J’ai eu très tôt en tête ce vers quoi je voulais aller. Un film au rythme relativement lent, jamais contraint par la reconstitution historique, aux images très proches des tableaux du XVIIIe siècle et avec peu de gros plans ou de scènes trop découpées. Bref, un cinéma à l’opposé de celui que j’ai fait jusque-là, où il fallait vraiment réfléchir les plans en amont au lieu de les créer sur le plateau. Habituellement, chez moi la technique s’adapte aux comédiens. Là, ça allait devoir être l’inverse. Je voulais que la star du film soit la caméra ! La lumière ! Le chef opérateur ! Il se trouve aussi que j’ai découvert sur le tard BARRY LYNDON. Ça a été un choc titanesque. Et cela m’a confortée dans l’idée de ne pas casser les codes du classique pour en faire une mise en scène moderne. Je pense que l’émotion est plus palpable dans une forme classique que dans une forme moderne, et dans cette histoire d’amour, l’émotion est primordiale.

Pourquoi avoir opté pour le 35 mm ?
D’abord par réflexe de spectatrice. Car dans les films d’époque tournés en numérique, dès qu’il y a du mouvement, je sens trop la vidéo, la fabrication. On s’éloigne de cette idée de tableaux que j’évoquais. Avec le 35 mm, il y a du grain, les couleurs correspondent à la réalité, c’est somptueux. Et je savais aussi que cela créerait une tension particulière au moment du « moteur » car, pour économiser de la pellicule, on aurait tous devant et derrière la caméra moins le droit à l’erreur. Je savais que ça rejaillirait dans le jeu, que ça allait aussi correspondre à la pression qui existait à Versailles où la spontanéité n’était pas de rigueur dans les échanges.

Il était évident que ce serait vous et personne d’autre qui incarnerait Jeanne du Barry ?
Je ne l’ai pas formulé tout de suite mais je crois qu’au fond de moi, l’envie a toujours existé. Encore fallait-il que je me convainque. Dans mes films précédents, je m’étais donnée des rôles qui avaient une continuité avec ma position de réalisatrice. J’ai longtemps cru que je ne pourrais jamais jouer quelqu’un débordée par les épreuves de la vie. Que ça court-circuiterait ma relation aux autres sur le plateau. Mais l’expérience de chacun de mes films m’a convaincue que je devais le faire. J’étais prête. Il y a évidemment d’autres comédiennes que j’aime, que j’ai envie de filmer et qui ont le caractère de Jeanne. Mais ça m’aurait fait tellement souffrir de la confier à quelqu’un d’autre ! La frustration aurait été immense. Je connaissais trop le personnage, je la sentais trop proche de moi pour la confier à une autre. Réaliser et jouer dans le film était une question vitale et indissociable.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de confier Louis XV à Johnny Depp ?
J’écris d’abord pendant trois ans pour un comédien français qui a finalement refusé de lire le scénario. Je mets donc un petit moment à digérer ma déception avant de proposer le rôle à un autre acteur français qui, lui, me dit très rapidement oui mais doit renoncer pour des soucis de santé. A partir de là, j’avoue ne plus avoir de désir pour un français dans ce rôle. Un ami me suggère alors de faire la liste de mes rêves, par-delà les frontières et les langues. J’en vois trois. J’essaie de joindre le deuxième de cette liste car il me paraît le plus abordable. Et je vais attendre deux mois avant de recevoir une réponse lapidaire de refus de la part de l’assistant de son agent, sans une bribe d’explication. Alors forcément quand je décide de m’attaquer au premier de la liste, Johnny Depp, je n’y crois même plus ! Et je me trompais dans les grandes largeurs : quinze jours plus tard, je le rencontrais à Londres et il m’a tout de suite dit oui. J’ai eu envie de lui dans ce rôle d’abord parce que je suis depuis longtemps une grande admiratrice de son travail, tout simplement. Mais aussi parce que dans ce rôle qui passe plus par les regards et les silences que par les mots, il me paraissait par les rôles qu’il a pu tenir – d’EDWARD AUX MAINS D’ARGENT à BENNY & JOON – et l’émotion qui s’en dégageait à chaque fois, le comédien idéal pour ce genre de composition. Il y a du Buster Keaton chez Johnny. Enfin, je sentais en lui le côté romantique et romanesque du rôle, que son côté écorché vif correspondait pile au Louis XV de mon film.

Drame, historique, romance de Maïwenn. 1 nomination au Festival de Cannes 2023 (Edition 76). 3,1 étoiles sur AlloCiné.

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