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Il boemo


1764. Dans une Venise libertine, le musicien et compositeur Josef Myslivecek, surnommé « Il Boemo », ne parvient pas à percer malgré son talent. Sa liaison avec une femme de la cour lui permet d’accéder à son rêve et de composer un opéra. Dès lors sa renommée grandit, mais jusqu’où ira-t-il ? La vie, l’œuvre et les frasques d’un compositeur de génie oublié que le jeune Mozart admirait.

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Entretien avec le réalisateur, Petr Vaclav

S’attaquer à un film historique est un défi important. Quelle liberté vous êtes-vous accordée ?
Si les films sur des thématiques contemporaines permettent une totale liberté dans le choix des personnages et le recours à la fiction, les sujets situés dans le passé n’offrent pas une telle liberté, ou partiellement seulement. L’Histoire réclame la vérité. Par conséquent, personne ne se sent autorisé d’imaginer un compositeur ou un peintre fictif. Cela semble moralement problématique et commercialement peu attrayant. Il faut faire alors un film sur les artistes qui ont vraiment existé. Sur Le Caravage, sur Goya ou encore sur Van Gogh. Mais personne n’a jamais inventé un peintre impressionniste imaginaire en disant que son œuvre a été par la suite emportée par une crue ou anéantie dans un incendie. On se garde bien de parler de la morale aujourd’hui, mais je crois que c’est véritablement une loi non écrite, une loi éthique : il ne faut pas tricher avec l’Histoire, il me semble nécessaire de se tenir à la véracité historique.

Pourquoi vous, cinéaste, êtes-vous obsédé par la vérité ? 
Ce n’est pas une obsession. Mais quand je parle des personnes qui ont existé, le contrat est clair : je veux les trahir le moins possible. Bien sûr, on ne connaît pas l’intimité de la plupart des artistes de cette époque. Ils n’avaient pas la possibilité de conserver leurs lettres, ils faisaient du feu avec ou ils les mettaient dans leurs chaussures pour absorber l’humidité. Alors tout ce qui touche à leur intimité est couvert de brouillard. Et c’est justement là où se forge la déontologie personnelle de chaque auteur.

Il me semble qu’il y a également deux romans qui ont été consacrés à Myslivecek ? 
Oui. Il y a deux romans qui ont paru dans les années soixante. D’une tchèque, Sonja Špálová, et d’une russe, Marietta Shaginanova. J’ai beaucoup de respect pour leur démarche qui ne devait pas être facile pour elles à cette époque. J’ai consulté le livre russe. Le texte était marqué par quelques considérations sur la classe ouvrière, elle ne pouvait pas y échapper si elle voulait publier, mais surtout par une slavophilie assez irritante. Vous y retrouvez des considérations sur la bonté naturelle de l’artiste slave et la fourberie atavique des femmes brunes du Sud. C’était tellement loin de ma vision du monde et de la littérature que je ne pouvais pas terminer le livre. Je n’ai jamais lu le second livre. J’ai voulu nourrir ma fiction avec des recherches sérieuses et non avec la fiction des ouvrages que j’ai considérés à tort ou à raison comme des textes désuets. J’ai cherché de l’aide chez les spécialistes. J’ai consulté Mélanie Traversier qui a écrit Gouverner l’Opéra, publié par l’École française de Rome, un livre très important sur l’organisation des théâtres napolitains, ainsi que votre Histoire des Castrats, pour la société, le public et les chanteurs. Je suis allé en République tchèque pour voir le musicologue Stanislav Bohadlo qui a publié en 1987 un ouvrage assez maigre, concis, mais très important  : Josef Myslivecek à travers sa correspondance. Je travaillais déjà sur le sujet quand a paru le livre Myslivecek, Il Boemo, the man and his music du musicologue américain Daniel E. Freeman. Nous sommes devenus amis par correspondance. Il m’a fort bien conseillé car il a un savoir sans fond. J’ai également travaillé à une époque avec le scénariste Gilles Taurand qui m’a beaucoup aidé et avec qui j’ai fait un bout de chemin. Et, bien sûr, il y a Václav Luks, le chef d’orchestre et fondateur de l’ensemble Collegium 1704. Il m’a accompagné dès les premiers instants. Il est allé avec moi photocopier les opéras de Myslivecek aux archives rue Richelieu, il me les a joués et chantés au piano. Il est venu me voir plus tard à Rome quand j’ai été pensionnaire à la Villa Medici. Nous nous y sommes réunis pendant quelques jours avec Daniel Freeman pour parler du projet. Il m’a joué et chanté l’opéra L’Olimpiade sur le piano d’un collègue compositeur.

Parce que vous ne connaissiez pratiquent pas les opéras de Myslivecek qui ne sont jamais joués et encore moins enregistrés ? 
C’est ça. Au début, nous ne savions pas quel compositeur était Myslivecek. Luks le flairait bien sûr mieux que moi, mais lui non plus n’en savait pas grand chose. Les quelques enregistrements de ses opéras étaient vraiment médiocres. J’ai même commencé à douter de son talent en les écoutant. Myslivecek écrivait pour les plus grandes voix de son temps et par conséquent, on ne pouvait pas lui rendre service avec les enregistrements de mauvaise qualité, avec des voix qui n’étaient pas à la hauteur du défi. Nous avons donc découvert la musique de Myslivecek progressivement, ensemble. Et plus nous avancions, plus nous étions convaincus qu’il fallait réussir à trouver le financement pour faire ce film.

Evoquer le jeune Mozart est indispensable dans votre film, quand on regarde le vrai parcours de Myslivecek ?
Absolument. Je ne pouvais pas m’y soustraire. L’influence de Myslivecek sur Mozart était réelle, leur amitié également. Puis je voulais parler de ces deux déterminismes en miroir : l’un est fils de minotier qui n’était pas du tout encouragé dans sa vocation, l’autre est dressé par le père éducateur et impresario. Le jeune Mozart que l’on voit dans mon film est certes très doué mais c’est un compositeur éduqué et inspiré par les voyages qu’organise pour lui son père, depuis son plus jeune âge. Il écoute et lit toute la musique qu’il peut et travaille tous les jours. Ce n’est pas un hurluberlu qui travaille sous la dictée des cieux. Je montre que la création est une affaire d’étude, d’influences, de modes, de goûts d’une époque, d’échange intellectuel, d’entraide et d’emprunts. La scène que l’on voit dans mon film est fondée sur la réalité  : Mozart a pris l’ouverture de La Nitteti de Myslivecek pour en faire l’ouverture de son premier opéra italien Mitridate.

Comment ce film a-t-il été ressenti en République tchèque dans les terres même du « Boemo » ?
Les petits pays sont toujours très sensibles aux histoires de compatriotes qui ont réussi à l’étranger. C’est pour cela que Myslivecek est connu en Bohême. Une légende vague d’un Myslivecek grand conquérant d’Italie flattait l’égo national pendant trop longtemps. Mais personne ne ressentait le besoin de prendre sérieusement connaissance de son œuvre. Par conséquent, mon film y était très attendu. Je crois que nous sommes arrivés à réveiller un intérêt réel pour l’œuvre de Myslivecek et rappeler son histoire. Nous avons fait également publier, à l’occasion de la sortie du film, deux livres de l’américain Daniel Freeman sur Myslivecek, d’abord un livre de vulgarisation, puis un ouvrage plus volumineux de musicologie pour un public plus exigeant. Nous avons monté, mon producteur, la décoratrice de mon film et moi même, une exposition bilingue tchèque-anglais sur Myslivecek et sur son époque. Elle a été ouverte à Prague pendant plusieurs mois. Le film a fait un très bon score en salle, l’attention des médias pour le film était assez importante. L’Italie, en revanche, est un pays où Myslivecek est devenu l’auteur d’une immense œuvre. Il participé à l’émulation artistique de la Péninsule. Qu’on le veuille ou non, il a été en réalité plus important pour l’Italie où il donnait ses opéras que pour son pays d’origine où il a passé les premières vingt-six années de sa vie. Mais notre manière de réduire trop souvent les personnes et les œuvres à leur nationalité nous empêche de le comprendre. Il nous reste encore du travail pour mieux faire connaître Il Boemo sur ses terres d’adoption. Pour ma part, il ne me reste qu’une seule chose à faire : je voudrais mettre en scène au moins un opéra du « Boemo » et le montrer en Italie, en République tchèque et en France.

Biopic, historique de Petr Vaclav. 3,9 étoiles sur AlloCiné.

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