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Le retour


Khédidja travaille pour une famille parisienne aisée qui lui propose de s’occuper des enfants le temps d’un été en Corse. L’opportunité pour elle de retourner avec ses filles, Jessica et Farah, sur cette île qu’elles ont quittée quinze ans plus tôt dans des circonstances tragiques.  Alors que Khédidja se débat avec ses souvenirs, les deux adolescentes se laissent aller à toutes les tentations estivales : rencontres inattendues, 400 coups, premières expériences amoureuses. Ce voyage sera l’occasion pour elles de découvrir une partie cachée de leur histoire.

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Entretien avec la réalisatrice, Catherine Corsini.

Dans la fracture, Aïssatou Diallo Sagna, qui est aidesoignante et que vous filmiez pour la première fois, apportait du documentaire dans la fiction. Y avait-il, à l’origine du retour, le désir de faire naître la fiction de son visage ?
Absolument. Il y a eu plusieurs chemins qui m’ont amenée à faire ce film, mais le cœur du retour s’est mis à battre quand je me suis dit que j’écrivais pour Aïssatou. L’expérience de la fracture, qui avait mêlé des acteurs confirmés à des acteurs non professionnels, m’a permis de faire émerger des personnalités qui m’ont beaucoup touchée humainement. Aïssatou a obtenu un César. Or, on le sait, on peut consacrer quelqu’un, puis passer vite à autre chose dans cette profession. J’avais à cœur de ne pas l’oublier, et surtout de l’emmener ailleurs : vers le romanesque, la fiction. Aïssatou m’a aussi ouverte à sa vie, à son histoire. Sa famille est d’ailleurs venue sur le tournage. J’ai découvert grâce à elle plein de détails sur les cultures guinéenne et sénégalaise, le rapport à la terre d’origine, ou des choses plus concrètes comme les coiffures des femmes. Pour moi, c’était très beau de poursuivre le travail que nous avions entrepris ensemble sur la fracture.

Comment avez-vous dessiné, avec Naïla Guiguet, votre coscénariste, cette cellule familiale composée d’une mère et de ses deux filles adolescentes ? 
Naïla est une jeune scénariste de trente-cinq ans, diplômée de la femis, dont la mère est d’origine sénégalaise. J’ai écrit cette histoire avec elle, car je me sentais trop loin de cette jeunesse qui m’intéresse. Elle m’a beaucoup nourrie  ; nous avons, d’ailleurs, emprunté le prénom de Khédidja à sa mère. Je me suis aussi inspirée de ma propre histoire, qui est assez compliquée. J’ai été élevée dans un conflit de loyauté. J’ai deux sœurs ; un père corse, qui est mort dans un accident quand j’étais très jeune ; une mère qui ne supportait pas la Corse, où elle se sentait enfermée… Autant d’éléments qui dessinent des circuits et interrogent ce territoire complexe, comme le sentiment de se sentir étranger quelque part. J’ai voulu montrer comment des femmes, par amour, peuvent s’assujettir à un endroit, et comment deux sœurs peuvent se comporter différemment  : l’une se construit dans la contestation et une relative violence, et l’autre, en s’intégrant. J’ai longtemps été comme Farah et me retrouve dans ces deux personnages.

Ce trio de femmes a évolué dans le silence. C’est la parole retrouvée qui les conduit vers la réconciliation. 
Plus j’ai travaillé au montage du film, plus le personnage de Khédidja s’est construit autour de ce silence mystérieux, qui engendre du romanesque et des interrogations. Quelque chose devance Khédidja et l’emmène, inconsciemment, à retourner à cet endroit, où chacune va être conduite à avancer dans sa construction intime. Une espèce de catharsis opère, avant que cette famille puisse retrouver son équilibre dès lors que la mère a parlé. Je pense que le silence, comme le mensonge, ne crée que du malheur et de la confusion. Les femmes ont souvent été habituées à ne pas tout dire, et Khédidja se tait d’autant plus qu’elle se situe au bas de l’échelle sociale.

Vos personnages se sont construits sur une absence : Khédidja et ses filles, mais aussi Gaïa, qui a perdu sa mère, et MarcAndria, qui a grandi sans père, comme Farah et Jessica. 
C’est sans doute un peu inconscient de ma part, mais il est certain que l’absence de mon père a bâti chez moi quelque chose qui court dans mes films. Je me souviens d’avoir trouvé très oppressant le terme de «  veuve  » dont certains qualifiaient ma mère. Cela a sans doute nourri mon imaginaire. En vieillissant, on s’ouvre aussi à des choses intimes et l’on a moins peur d’aller creuser en profondeur et de parler de soi à travers une fiction.

Comment avez-vous choisi vos jeunes comédiennes et comédiens ?
Au début, je voulais trouver des acteurs en casting sauvage, avec Julie Allione, ma directrice de casting qui est très douée pour ça. Je voulais des visages inconnus au cinéma. Nous avons collé des affiches partout, mais nous avons eu beaucoup de mal à faire venir les jeunes filles. J’ai finalement rencontré des actrices et leur ai fait faire des essais. C’est ainsi que j’ai découvert Esther Gohourou, qui avait déjà tourné dans mignonnes de Maimouna Doucouré. Quant à Suzy Bemba, elle s’est d’abord présentée pour jouer la sœur de Khédidja dans une scène que je n’ai pas gardée. J’ai vu qu’elle était très bonne actrice et lui ai proposé de remplacer une autre jeune fille non professionnelle, qui m’avait d’abord plu pour le rôle de Jessica, mais dont les toutes premières répétitions ne se sont, hélas, pas révélées suffisamment convaincantes pour ce rôle difficile, où il y avait plein d’émotions et d’états différents à jouer. Pour Gaïa, je souhaitais une jeune actrice qui représente une certaine classe sociale. J’ai choisi Lomane de Dietrich, qui terminait le Conservatoire et a peu tourné. Ce qui m’a plu chez elle, c’est une certaine décontraction, un aplomb et un naturel singulier.

Comment avez-vous choisi vos acteurs corses ? 
Nous avons fait un casting en Corse, toujours avec Julie Allione. Pendant les essais j’ai trouvé les comédiens très réservés. Une fois que le travail a commencé, c’était tout l’inverse  ; ils ont été d’une tendresse incroyable et surtout très attentifs à mes indications. J’ai adoré cette expérience avec eux, comédiens comme figurants. Au moment des rumeurs et de la polémique, suite à la suspension provisoire de la compétition cannoise, tous m’ont écrit des lettres de soutien bouleversantes. Harold Orsoni, qui est le fils de Julie Allione, vit à Paris mais il est corse, d’où son accent. Je l’avais vu travailler dans le restaurant de son village, en Haute-Corse, j’ai écrit le personnage d’Orso en pensant à lui.

Comment avez-vous travaillé à l’image du film et à la lumière ? 
Jeanne est extrêmement douée pour filmer les lumières extérieures. Avec elle, la lumière devient presque un personnage du film, qui raconte à la fois la violence de la Corse et quelque chose de plus secret. Je voulais aussi qu’on ressente la chaleur, la matière environnante, comme les rochers, la pierre épaisse des maisons. Nous avons eu énormément de plaisir à filmer les actrices. Notre question était comment faire naître le secret de leur visage. C’est dans les scènes de nuit qu’elles livrent le plus leur profondeur. Je les trouve puissantes chacune à leur endroit, à la fois fortes et fragiles. J’étais conquise par leur jeu, je voyais une grâce en elles. J’ai veillé, avec Jeanne, à les magnifier.

Comment avez-vous travaillé au rythme du film ?
Avec Frédéric Baillehaiche, on cherche toujours le sens du film, la structure, puis on fait tomber ce qui est inutile. Je souhaitais que le film chemine vers ce plan final où ces trois femmes ne forment plus qu’un seul corps. Que le récit avance comme une pierre qui roule sans être stoppée.

Drame de Catherine Corsini. 5 nominations au Festival de Cannes2023 (édition 76). 3,1 étoiles sur AlloCiné.

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