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Autorité de la chose jugée au pénal sur le civil


Un salarié ayant eu une altercation, filmée à son insu, avec un employé d’une autre entreprise, est licencié pour faute grave pour violences volontaires. Il conteste aux prud’hommes son licenciement au motif que la preuve utilisée par l’employeur était illicite. Mais parce qu’il avait été parallèlement définitivement condamné au pénal, la Cour de cassation confirme que l’autorité absolue de la chose jugée au pénal s’oppose  à ce que le salarié soit admis à soutenir devant le juge prud’homal l’illicéité du mode de preuve reconnu probant par le juge pénal.

Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre sociale du 21 septembre 2022. Pourvoi n° 20-16.841.

[…]

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 30 avril 2020), M. [U] a été engagé par la société Jung, à compter du 1er septembre 2009, en qualité de conducteur routier.

3. Le 7 mars 2017, une altercation l'a opposé à un chauffeur, salarié d'une autre entreprise. Le 3 avril 2017, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire puis son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre du 28 avril 2017.

4. Contestant le bien-fondé de ce licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

5. Par jugement du 6 septembre 2018, le tribunal de police a déclaré les deux salariés coupables de violences volontaires.

Examen des moyens

[...]

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche. Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et de le débouter de ses demandes d'indemnités au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que l'enregistrement du salarié à son insu constitue un procédé déloyal et illicite qui le rend irrecevable devant le juge civil, auquel il incombe de se prononcer sur la loyauté et la licéité de la preuve qui lui est soumise, quelle qu'en soit l'appréciation précédemment portée par le juge pénal devant lequel l'enregistrement obtenu à l'insu d'une personne est recevable ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reproche au salarié des coups portés à M. [Y] et s'appuie exclusivement sur le film pris par ce dernier avec son téléphone à l'insu du salarié ; que la cour d'appel a énoncé que le juge pénal avait considéré qu'il ressortait "des éléments de la procédure et du film visionné à l'audience à la demande des parties que les coups ont été portés réciproquement sans qu'il soit possible de déterminer précisément l'origine" et qu'elle ne pouvait pas rechercher si le salarié était à l'origine des coups échangés, puisqu'analysant le film, le tribunal de police ayant porté, sur ce moyen de preuve, une appréciation liant le juge prud'homal, et qu'il n'y avait donc pas lieu d'écarter ce moyen de preuve ou d'ordonner une expertise technique ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, la licéité de l'enregistrement vidéo sur lequel s'appuyait la lettre de licenciement, la cour d'appel a violé ensemble les articles 9 du code de procédure civile, 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et par fausse application, le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal et les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé. L'autorité de la chose jugée au pénal s'étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision.

9. La cour d'appel ayant constaté que le licenciement était motivé par les faits de violences volontaires commis le 7 mars 2017, pour lesquels le salarié avait été condamné par le tribunal de police, c'est à bon droit qu'elle a décidé que l'autorité absolue de la chose jugée au pénal s'opposait à ce que le salarié soit admis à soutenir devant le juge prud'homal, l'illicéité du mode de preuve jugé probant par le juge pénal.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi incident. Enoncé du moyen

11. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement n'est pas fondé sur une faute grave, alors :

« 1°/ que la participation volontaire à une rixe peut être constitutive d'une faute grave sans qu'il soit nécessaire de démontrer que le salarié est à l'origine de celle-ci ou a porté les premiers coups ; qu'en écartant la faute grave au motif qu'il n'était pas possible de déterminer de façon certaine qui était à l'origine de la rixe, quand la société Jung faisait valoir qu'au mépris des instructions formelles qu'il avait reçues, le salarié, à l'intérieur d'un site classé Seveso, était volontairement descendu de son camion, chargé d'un produit dangereux, en laissant les portes ouvertes et le moteur en fonctionnement, pour aller s'expliquer avec M. [Y], sans rechercher si ce comportement, à lui seul ne caractérisait pas une faute grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1234-1 du code du travail ;

2°/ que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'aux éléments constitutifs de l'infraction poursuivie et ne fait pas obstacle à ce que d'autres éléments étrangers à cette dernière soient soumis à l'appréciation de la juridiction civile ; qu'en s'estimant liée par les motifs du jugement pénal indiquant n'avoir pu déterminer qui de M. [Y] ou du salarié avait initié la bagarre du 7 mars 2017 et en refusant de statuer elle-même sur ce point, au besoin par l'examen de la vidéo réalisée par M. [Y] après avoir statué sur l'admissibilité de cette preuve, la cour d'appel a violé par fausse application le principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée par la juridiction pénale, ensemble les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et implique son éviction immédiate.

13. La cour d'appel, après avoir constaté qu'il était établi que le salarié avait donné des coups à M. [Y], sans qu'il soit avéré qu'il se défendait d'une agression, a retenu que ces faits s'étaient produits hors de l'entreprise, qu'ils avaient opposé l'intéressé à un tiers et non à un collègue et que l'employeur, comme il l'indiquait dans la lettre de licenciement, était informé d'une situation de tension entre ces deux chauffeurs. Elle a ensuite relevé que le salarié avait immédiatement porté plainte le 7 mars 2017, quelques heures après l'altercation, alors que l'autre chauffeur avait attendu près d'un mois, lors de son audition par les services de gendarmerie, pour porter plainte et que le salarié, en plus de sept années de collaboration, n'avait fait l'objet d'aucune sanction.

14. Elle a pu en déduire, sans être tenue de préciser lequel des deux protagonistes était à l'origine de l'altercation, que les faits ne rendaient pas impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par Mme Mariette, conseiller doyen en ayant délibéré, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du président empêché, en l'audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux.

Photo : Sang Hyun Cho - Pixabay.

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