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Agent commercial et rupture de contrat


La Cour de cassation, suivant la position de la Cour de Justice de l'UE, vient de prendre le contrepied de sa jurisprudence : désormais, un agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.

Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre commerciale du16 novembre 2022. Pourvoi n° : 21-17.423.

[…]

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 mai 2021) et les productions, la société Acopal exerçait, depuis 2008, l'activité d'agent commercial pour le compte de la société Terdis devenue ultérieurement Paniers Terdis. Le 3 mai 2013, les sociétés Acopal et Terdis, ont conclu un contrat dénommé « contrat de prestation merchandising », par lequel la société Terdis a confié à la société Acopal l'optimisation de la mise en place de ses produits dans les rayons, et, le 7 mai suivant, un contrat d'agence commerciale. Le 11 octobre 2013, un contrat d'agence commerciale et un contrat de « merchandising » ont été conclus entre la société Paniers Terdis et la société Acopal.

2. La société Paniers Terdis a, par lettre reçue le 4 mars 2016 par la société Acopal, résilié le contrat d'agence commerciale les liant.

3. La société Acopal a assigné la société Paniers Terdis en paiement des indemnités de rupture et de préavis et en communication de pièces.

Examen des moyens

[…]

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche. Enoncé du moyen

8. La société Acopal fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnité compensatrice de rupture, alors « que les dispositions de droit interne transposant une directive de l'Union européenne doivent être interprétées à la lumière de celle-ci, notamment lorsqu'elle a elle-même été interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne ; que dans l'arrêt CJUE, arrêt du 28 octobre 2010, Volvo Car Germany Gmbh, C-203/09, la Cour de justice a dit pour droit que "l'article 18, sous a), de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, s'oppose à ce qu'un agent commercial indépendant soit privé de son indemnité de clientèle lorsque le commettant établit l'existence d'un manquement de l'agent commercial, ayant eu lieu après la notification de la résiliation du contrat moyennant préavis et avant l'échéance de celui-ci, qui était de nature à justifier une résiliation sans délai du contrat en cause", après avoir exposé, dans les motifs de sa décision, que le législateur européen" entendait exiger l'existence d'une causalité directe entre le manquement imputable à l'agent commercial et la décision du commettant de mettre fin au contrat afin de pouvoir priver l'agent commercial de l'indemnité prévue à l'article 17 de la directive" (§ 39), qu'"en tant qu'exception au droit à indemnité de l'agent, l'article 18, sous a), de la directive est d'interprétation stricte (...) partant, cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l'indemnité non expressément prévue par cette disposition" (§ 42) et que "lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l'agent commercial qu'après la fin du contrat, il n'est plus possible d'appliquer le mécanisme prévu à l'article 18, sous a), de la directive (...) par conséquent, l'agent commercial ne peut pas être privé de son droit à indemnité en vertu de cette disposition lorsque le commettant établit, après lui avoir notifié la résiliation du contrat moyennant préavis, l'existence d'un manquement de cet agent qui était de nature à justifier une résiliation sans délai de ce contrat" (§ 43) ; que les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, qui sont issus de la transposition en droit interne de la directive susvisée, doivent donc être interprétés en ce sens que seule une faute grave commise avant la rupture du contrat et connue du mandant peut être considérée comme ayant provoqué la rupture, excluant le droit à indemnité de l'agent commercial ; qu'en l'espèce, en estimant au contraire, pour repousser la demande d'indemnité compensatrice de rupture, qu'il importait peu que le manquement qu'elle qualifiait de faute grave – soit la représentation par la société Acopal d'un concurrent du mandant sans que ce dernier en ait prétendument eu connaissance –, n'ait été découvert que postérieurement à la rupture, quand cette circonstance excluait toute causalité directe entre le manquement litigieux et la rupture du contrat, la cour d'appel a violé les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, lus à la lumière des articles 17 et 18 de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, ensemble l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 134-12, alinéa 1, et L. 134-13 du code de commerce, transposant les articles 17, § 3, et 18 de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants :

9. Aux termes du premier de ces textes, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. Selon le second, la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due notamment lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

10. La chambre commerciale, financière et économique juge régulièrement que les manquements graves commis par l'agent commercial pendant l'exécution du contrat, y compris ceux découverts par son mandant postérieurement à la rupture des relations contractuelles, sont de nature à priver l'agent commercial de son droit à indemnité (Com., 1er juin 2010, pourvoi n° 09-14.115 ; Com., 24 novembre 2015, pourvoi n° 14-17.747 ; Com., 19 juin 2019, pourvoi n° 18-11.727).

11. Toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 28 octobre 2010, Volvo Car Germany GmbH, C-203/09, points 38, 42 et 43), a rappelé, que, « aux termes de l'article 18, sous a), de la directive, l'indemnité qui y est visée n'est pas due lorsque le commettant a mis fin au contrat » pour « un manquement imputable à l'agent commercial et qui justifierait, en vertu de la législation nationale, une cessation du contrat sans délai », que « en tant qu'exception au droit à indemnité de l'agent, l'article 18, sous a), de la directive est d'interprétation stricte. Partant, cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l'indemnité non expressément prévue par cette disposition » et considéré que « lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l'agent commercial qu'après la fin du contrat, il n'est plus possible d'appliquer le mécanisme prévu à l'article 18, sous a), de la directive. Par conséquent, l'agent commercial ne peut pas être privé de son droit à indemnité en vertu de cette disposition lorsque le commettant établit, après lui avoir notifié la résiliation du contrat moyennant préavis, l'existence d'un manquement de cet agent qui était de nature à justifier une résiliation sans délai de ce contrat. »

12. La CJUE a aussi énoncé, dans un arrêt (CJUE, arrêt du 19 avril 2018, CMR c/ Demeures terre et tradition SARL, C-645/16, § 35), que « toute interprétation de l'article 17 de cette directive qui pourrait s'avérer être au détriment de l'agent commercial était exclue. »

13. En considération de l'interprétation qui doit être donnée aux articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, il apparaît nécessaire de modifier la jurisprudence de cette chambre et de retenir désormais que l'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.

14. Pour rejeter la demande d'indemnité de rupture formée par la société Acopal, l'arrêt retient qu'il importe peu que, découvert postérieurement à la rupture, un manquement à l'obligation de loyauté ne soit pas mentionné dans la lettre de résiliation si ce manquement, susceptible de constituer une faute grave, a été commis antérieurement à cette rupture.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

[…]

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes formées par la société Acopal en paiement de l'indemnité compensatrice de rupture, de communication de pièces et au titre du droit de suite, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Condamne la société Paniers Terdis aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Paniers Terdis et la condamne à payer à la société Acopal la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.

Photo: Pixabay.

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