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La passagère


Chiara vit sur une île de la côte atlantique, là où son mari Antoine a grandi. Ils forment un couple heureux et amoureux. Elle a appris le métier d’Antoine, la pêche, et travaille à ses côtés depuis vingt ans. L’arrivée de Maxence, un nouvel apprenti, va bousculer leur équilibre et les certitudes de Chiara…

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Entretien avec la réalisatrice, Héloise Pelloquet

Vos trois courts-métrages, comme une grande, l’âge des sirènes et côté cœur, semblent annonciateurs de la passagère. Portiez-vous cette histoire en vous depuis longtemps ?
J’ai commencé à écrire le scénario de la passagère après mon troisième court-métrage, côté cœur, avec l’aide de mon coscénariste Rémi Brachet. Ce film portait en germe des motifs que j’avais envie de creuser davantage : un couple mal assorti et la rencontre de deux milieux distincts.
En ce qui me concerne, l’histoire naît toujours d’un personnage : ici une femme d’une quarantaine d’années, une travailleuse, qui va vivre une histoire d’amour adultère avec un très jeune homme. J’avais envie d’écrire le plaisir d’une femme qui ne se l’autorise pas facilement. Avec l’idée de faire de Chiara une femme moderne, dans la vie active, et non le schéma classique d’une bourgeoise désœuvrée à la Emma Bovary, ou d’une femme au foyer adultère par ennui.
Quand on s’épuise à la tâche, quelle place reste-t-il pour la jouissance ? Le simple fait de se poser la question du droit au bonheur est parfois un luxe. J’aimais que cette femme, sans qu’elle ait à le théoriser, revendique son droit au plaisir de façon naturelle, en suivant son élan, et que cela ne provienne pas d’une blessure intime à panser ou d’une réflexion élaborée. C’est aussi une femme qui a le courage de déplaire. L’épilogue du film raconte qu’elle a assumé son choix, qu’elle est libre. Et je l’admire pour cela.

L’idée de la différence d’âge entre Chiara et Maxence s’est elle imposée à vous d’emblée ? 
Oui, d’abord comme un obstacle supplémentaire à leur histoire, puis pour ce que ça met en valeur chez Chiara, sa sensualité, son rapport à son corps, son désir de transgression peut-être. J’aimais aussi ce que ça apportait au personnage de Maxence, cette simplicité et cette sincérité avec laquelle il tombe amoureux d’elle. 
Il fallait, bien sûr, qu’il n’y ait rien de malsain ou de déséquilibré. En y prenant garde, j’ai pu poser un regard bienveillant sur cette relation, et la douceur de ce regard me permet d’affirmer qu’il n’est pas question ici de morale. 
Plus qu’une simple histoire d’amour entre une femme d’âge moyen et un jeune homme, ou un triangle amoureux, c’est vraiment la trajectoire de Chiara jusqu’à l’épilogue final qui a été le moteur de l’écriture. C’est une aventure qui s’offre à une femme qui ne la refuse pas et qui opère un grand virage dans sa vie.

Comment avez-vous pensé les scènes d’amour très assumées ?
 La dimension érotique et sensuelle est au cœur du film. Je voulais que ces scènes soient très réalistes, qu’elles donnent à voir le désir de communion de deux corps, avec ses ratés et ses jouissances, et ce que ça peut avoir de joyeux. Il était important que ces scènes donnent une image juste, et non fantasmée, d’une sexualité féminine. 
Il était aussi très important qu’elles nous parlent du plaisir féminin, à l’heure où le droit des femmes à jouir de leur corps est sans cesse violemment remis en cause.

Allait-il de soi que Chiara n’ait pas d’enfant ? 
Elle n’a pas d’enfant, car le couple qu’elle forme avec Antoine se suffit à lui-même. Et un enfant aurait déplacé le tiraillement de Chiara ailleurs, ce n’était pas le sujet.

Maxence est en apprentissage. Cette idée, déjà présente dans l’âge des sirènes, semble vous tenir à cœur. 
Oui, parce que j’aime filmer les gestes du travail. Pour moi le savoir faire a énormément de valeur, tout comme sa transmission. Maxence aspire à faire une chose concrète de ses deux mains, et Antoine est très fier de pouvoir lui transmettre son métier.

La séquence du mariage à l’église où Maxence joue du hautbois fait écho à une séquence de comme une grande, où vous filmiez déjà la naissance du désir entre deux personnages dans un contexte public… 
Le hautbois a une sonorité proche de la voix humaine, et quelque chose de rare, de gracieux. Dans l’église, Maxence joue une romance de Schumann. Chiara est très émue. C’est précisément le moment du film où elle sait qu’elle va avoir du mal à lutter contre ce désir. Quant à ces moments de séduction en public, c’est sans doute parce que le désir est souvent encore plus fort lorsqu’il est secret.

Cette histoire d’amour s’inscrit dans un milieu où les éléments se font puissamment sentir : la mer, le vent, la pluie participent à l’atmosphère sensuelle de votre film.
J’avais envie d’un film climatique et romanesque. Cette histoire d’adultère, aussi commune soit elle, est une aventure pour ceux qui la vivent. Je voulais un film qui flirte légèrement avec le mélo. La mer est évidemment un motif romantique. Lorsque Maxence arrive, la météo est instable. Il débarque un jour de tempête annoncée. Les saisons passent et l’idylle a lieu au printemps, lors de la saison des amours.

Comme vos courts-métrages, la passagère est tourné à Noirmoutier. Est-ce pour vous un territoire familier ? 
Oui. Je vis désormais à Paris, mais ne me sens pas citadine et je préfère filmer des lieux avec lesquels j’ai un rapport intime. Le nom de l’île n’est jamais cité, c’est un lieu de fiction. Ce n’est pas Noirmoutier, c’est une île plus petite, plus isolée, à laquelle on accède par bateau alors que Noirmoutier est reliée au continent par un pont. Malgré tout, tourner à Noirmoutier, en territoire familier, me permet d’ancrer mon récit dans le réalisme, de mêler le romanesque au naturalisme. C’est la raison pour laquelle je fais aussi appel à des acteurs non professionnels, originaires du coin, pour certains rôles.

Pourquoi avoir choisi de filmer cette petite communauté à l’ère du Brexit ? 
C’est à nouveau une question de réalisme. Je voulais ancrer le film dans son époque. La pêche s’industrialise chaque jour davantage et le Brexit ajoute des difficultés aux travailleurs de la mer.

Drame, romance de Héloise Pelloquet. 3,5 étoiles sur AlloCiné. 1 nomination au Festival du Film Francophone d'Angoulême 2022 (édition 15).

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