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Un homme heureux


Alors que Jean, maire très conservateur d'une petite ville du Nord, est en campagne pour sa réélection, Edith, sa femme depuis quarante ans, lui annonce une nouvelle qu’elle ne peut plus taire… Au plus profond de son être, elle est - et a toujours été - un homme. Jean pense d’abord à une plaisanterie mais réalise rapidement qu’Edith est sérieuse et déterminée à mener sa transition jusqu’au bout. Il comprend alors que son couple, mais aussi sa campagne électorale, risquent d’être sacrément chamboulés…

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Entretien avec le réalisateur, Tristan Séguéla

Racontez-nous la genèse du film.
À l’origine, les scénaristes Guy Laurent et Isabelle Lazard m’ont confié avoir eu l’idée d’écrire ce film après avoir été inspirés par le parcours d’une personne de leur entourage qui a fait sa transition de genre à cinquante ans passés et qui a tout fait pour préserver son couple.

Malgré l’évolution de la société, le sujet reste sensible. Diriez-vous qu’il est encore plus traité sous l’angle de la comédie ? 
La comédie reste encore un moyen merveilleux de traiter d’un sujet brûlant. Enfin brûlant… j’espère que le film prouvera que ça ne l’est pas forcément. Mais ce qui m’a particulièrement emballé dans le scénario, et ce à quoi j’ai essayé de rester fidèle, c’est que cette histoire fait la part belle au mari, Jean Leroy (Fabrice Luchini), un maire conservateur et arc-bouté sur ses valeurs. Dès le tout début du film, Jean reçoit cette nouvelle hallucinante, désarçonnante, effarante – on pourrait multiplier les qualificatifs ! - que lui annonce sa femme (Catherine Frot). Comment va-t-il réagir ? C’est la question que pose sans cesse le film. Et, contrairement aux apparences, c’est Jean qui va devoir se remettre en question. Pas Edith. Et ce qui est drôle, c’est que ça tombe sur lui, si bien que c’est toujours de lui qu’on rit, mais jamais avec lui.

Vous n’hésitez pas en effet à égratigner le politique cynique qu’est Jean Leroy, mais vous ne vous moquez jamais d’Edith/Eddy. 
Je n’ai pas eu peur d’appuyer là où ça fait mal du côté de Jean et de ses collaborateurs, qui ne manquent pas de tares, mais, c’est vrai, j’ai été très attentif au rire que pourrait provoquer le personnage d’Edith/Eddy. J’ai veillé à ce qu’on ne tombe jamais dans la moquerie, et même si le film est avant tout une comédie, c’est une comédie qui j’espère fera réfléchir.

Avez-vous tout de suite pensé à Catherine Frot et à Fabrice Luchini pour incarner le couple Leroy ? 
Ils se sont imposés à moi comme une évidence, d’autant que c’est la première fois que ces immenses comédiens sont réunis à l’écran. J’ai toujours été fan de Catherine. Sa sensibilité, sa profondeur, sa manière unique de rendre chacun de ses rôles uniques font d’elle une très grande artiste. Je savais aussi qu’elle allait apporter une forme de douceur et de féminité à ce rôle qui n’en appelait pas forcément. Quant à Fabrice, que dire si ce n’est que c’est un monument de finesse, d’intelligence, de folie douce et de drôlerie. Une drôlerie, qui ne connaît pas la vulgarité. Qui mieux que lui pouvait rendre si tendre et irrésistible un personnage a priori aussi engoncé dans ses vieilles lunes ?

Ce qui est formidable chez lui - et chez son adjoint (Philippe Katerine) - c’est qu’il n’est jamais à bout de ressources. D’abord, il convainc Edith/Eddy de cacher au public sa transition, puis, mis au pied du mur, il établit une stratégie totalement machiavélique.
Il accomplit un voyage assez incroyable qui le mène de la panique au cynisme absolu jusqu’à être pris au piège de l’amour et des sentiments. Sacré périple. On nage en eaux troubles et cela me plaît.

C’était un personnage complexe et renversant à construire pour Catherine Frot. Comment avez-vous travaillé avec elle ?
La première question que je me suis posée était de savoir qui est cette personne qui passe pour être la femme du maire et qui révèle soudain être un homme ? Comment s’habille-t-elle ? Comment se coiffe-t-elle ? Edith Leroy est une jolie femme, une bonne épouse, une mère dévouée, une joueuse de golf élégante. Et Eddy Leroy est un homme, ou en tous cas pense l’être et veut l’être. Ça peut paraître étrange, mais c’est comme ça. J’ai ainsi imaginé pour Catherine une silhouette un peu trouble, en trench, jeans, chemisiers et chaussures sans talons, les cheveux à peine travaillés, courts mais pas trop, le visage à peine fardé. Une silhouette qui, du point de vue de son personnage, ne fait pas de vagues, n’attire pas les regards, et qui, lui permet de composer avec son entourage.

Une zone grise… 
Exactement ! Vient ensuite Eddy. Au-delà des changements formels – les cheveux qui raccourcissent, les poils qui poussent, la voix qui mue, la garde-robe qui se renouvelle - j’ai souhaité une forme d’épanouissement au moment où le personnage prend enfin son enveloppe définitive.

Le travail avec Fabrice Luchini était sans doute plus facile… 
N’allez pas croire ça ! Rien n’est plus difficile que de faire rire. Fabrice y a mis tout son immense talent et toute son incroyable énergie.

À tour de rôle, Edith/Eddy puis Jean participent à un groupe de parole en compagnie de personnes transgenres. Ces groupes existent-ils vraiment ? 
Bien sûr, comme il en existe pour à peu près tout aujourd’hui. J’ai tenu à ce que l’ensemble des comédiennes et des comédiens de ces scènes soient des personnes transgenres ou non binaires. Ce sont des moments que j’affectionne particulièrement, quand la fiction se confond avec le documentaire.

Depuis vos débuts, on vous sent attiré par le thème de la différence : la différence générationnelle dans seize ans ou presque, sociale dans docteur ?… 
C’est un grand vecteur de la comédie humaine. La différence provoque toujours des étincelles, des frottements. J’aimerais que chaque spectateur se mette à la place de ce couple.

Ici, pour la première fois, vous mettez en scène un couple… 
Absolument ! Un couple qui, dès le début du film, est sérieusement menacé. Von- t’ils tenir ? Vont-ils vieillir ensemble ? Se séparer ? On peut dire dans ce sens que le film s’inscrit dans la plus pure tradition des comédies de remariage. Comment réagirait-il en pareille circonstance ? À chacun sa réponse, mais j’aime l’idée que la question se pose.

Comédie de Tristan Séguéla. 3 nominations au Festival International du Film de Comédie de l'Alpe d'Huez 2023 (édition 26).

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