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La montagne


Pierre, ingénieur parisien, se rend dans les Alpes pour son travail. Irrésistiblement attiré par les montagnes, il s’installe un bivouac en altitude et décide de ne plus redescendre. Là-haut, il fait la rencontre de Léa et découvre de mystérieuses lueurs.

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Entretien avec le réalisateur, Thomas Salvador

Quelle est la genèse du projet ? 
Je me passionne pour la montagne depuis l’adolescence. Ça m’est venu d’un coup, comme ça. Je me suis abonné à des revues d’alpinisme, sans jamais avoir grimpé ou être allé en montagne. Puis je me suis mis à l’alpinisme, avec bonheur et une forme d’évidence. Je ne pensais qu’à ça et au cinéma. Au collège puis au lycée, à la question « profession envisagée ? », je répondais «guide de haute montagne, cinéaste, et cinéaste de haute montagne’’… Ma première idée de long-métrage était naturellement un film de montagne. Je voulais proposer le film à Patrick Berhault, un alpiniste que j’adorais adolescent et avec qui je m’étais lié lors du tournage d’un documentaire pour Arte. Il y aurait joué son propre rôle, parti à la recherche d’un jeune alpiniste qui ne voulait plus redescendre des montagnes, que j’aurais moi-même interprété. Malheureusement, Patrick Berhault est mort en montagne quelques semaines avant le rendez-vous où j’allais lui proposer l’idée. C’était il y a presque 20 ans. J’ai mis du temps à me remettre de sa disparition, ainsi qu’à envisager un autre film. Après Vincent n’a pas d’écailles, j’ai décidé de revenir à mon film de montagne, en l’adaptant bien sûr à mes préoccupations du moment et à l’époque que nous vivons. J’ai vite su qu’il explorerait aussi une dimension fantastique, une rencontre avec l’inconnu, et la naissance d’un amour.

As-tu pensé Pierre différemment de tes personnages précédents ?
Les personnages que j’écris et que je joue me ressemblent beaucoup je crois, du moins sont confrontés à des épreuves et des enjeux qui me concernent profondément. L’évolution de leur rapport au monde se fait donc naturellement, sans que j’aie à y penser. J’ai bien senti pendant l’écriture que la tonalité serait ici plus grave, même s’il y a des moments qui font rire ou sourire. Le ton est moins léger probablement aussi par la dimension initiatique du récit. À propos de tonalité je précise que j’avais découvert a posteriori la dimension burlesque de Vincent n’a pas d’écailles, qui m’avait échappé à l’écriture et au tournage… Sans doute parce que je procède intuitivement et que j’essaie de ne rien forcer, que ce soit dans l’écriture ou ma manière de jouer.

Le film reste très concret, très au présent, et pourtant s’ouvre sur les multiples interprétations symboliques ou mythologiques que l’on peut en faire. 
C’est ce que j’essaie toujours de faire, de me concentrer sur le récit, l’incarnation, et de laisser au spectateur le travail de l’interprétation… Et puis dans un film avec peu de dialogues, il faut parvenir à ce que la mise en scène et les silences prennent en charge beaucoup de la psychologie et de l’évolution des personnages, et donc rester très concret. J’ai tâché par exemple de rendre sensible la trajectoire de Pierre en précisant la topographie des lieux (la vallée, l’aiguille du Midi, le campement etc.), et en choisissant des décors qui, par petites touches, sont de plus en plus déconnectés de la civilisation. Et pour renforcer « l’appel » de la montagne et la nécessité de son parcours, je n’ai pas fait de Pierre un paria ou un homme en crise. Au contraire il semble avoir une vie « normale », avec un métier plutôt intéressant, des amis etc.

Les créatures qui habitent la montagne, pourquoi Pierre les rencontre-t-il ? 
Je les appelle les «lueurs». Dès le scénario j’ai préféré les appeler ainsi plutôt que «créatures», afin de les libérer des connotations associées à ce mot. Pour moi, ces lueurs étaient là bien avant l’homme, comme une forme de vie primitive, ou pourquoi pas originelle. Toujours selon moi, elles vivent dans les montagnes jusqu’à ce qu’elles en soient délogées lors d’effondrements. Elles apparaissent au pied des parois écroulées, mais personne ne les voit car on ne reste pas sur les lieux d’un énorme éboulement. Sauf Pierre…, qui se trouve comme « appelé » par la montagne, autant qu’affecté par son effondrement. Il va même essayer de sauver une lueur en la libérant de sous un rocher. Puis il les suit chez elles, dans le cœur de la montagne, jusqu’à presque devenir lueur à son tour. Elles accueillent Pierre s’il désire les suivre, de même qu’elles le ramènent sur terre s’il veut revenir au monde des hommes. Ce qui les distingue de nous, c’est qu’elles ne cherchent pas à posséder et encore moins à conquérir.

Comment as-tu visualisé les lueurs à l’écriture et quel a été le cheminement pour les incarner ?
Je les souhaitais très simple, très élémentaires et minérales. Et surtout pas anthropomorphisées, afin qu’elles incarnent autant que possible un ailleurs, une autre forme de vie. J’ai pensé à de la lave aussi. D’ailleurs, le granit des montagnes est une roche volcanique. Pour les représenter, j’ai eu l’idée d’éclairer des matières réfléchissantes, en donnant l’impression qu’elles produisent elles-mêmes ces éclats rouges et blancs. Le dispositif étant par contre difficilement transportable en haute montagne, nous les avons créées en 2 temps. Sur le tournage, pour produire l’interaction lumineuse avec le décor et le personnage, nous avons conçu des boules lumineuses rouges que nous déplacions avec de la ficelle. Et une fois le montage de ces séquences terminé, nous avons filmé les vraies lueurs en studio. Avec une marionnettiste, nous les avons manipulées en reproduisant le déplacement des boules lumineuses, avant de les intégrer dans les plans du tournage en montagne. Cette manière de les faire exister « à la main » permettait de créer un mouvement et un fourmillement lumineux aléatoire, si ce n’est organique, impossible à produire avec la 3D.

La scène où Pierre pénètre dans le cœur de la montagne est particulièrement impressionnante visuellement... 
L’entrée dans la glace a été tournée avec des effets spéciaux mécaniques et « naturels », dans une salle des fêtes près de Chamonix. La glace est un mélange de silicone, de plexiglass et de gel échographique. Et quand Pierre est totalement immergé et « flotte » dans le cœur de la montagne, j’étais suspendu à un harnais et circulais au milieu de gros blocs de polystyrène et de toiles peintes. J’étais recouvert de paillettes et éclairé par des poursuites. Le tout était filmé au travers de pains de glace dont nous travaillions la texture pour trouver un équilibre entre abstraction et figuration. Je voulais que l’on ne sache pas toujours ce que l’on voit sans pour autant perdre Pierre de vue. La diffraction de la lumière à travers la matière de la glace produit ces artefacts optiques. Nous avons réalisé ces effets sans aucune intervention numérique. Tout a été fait au tournage, « à l’ancienne » comme disent certains.

Les acteurs semblent venir d’horizons variés. Peux-tu nous dire un mot sur ce choix ?   
Avec Vincent n’a pas d’écailles, j’ai découvert que j’aimais le mélange et la variété de registres. Louise a ce côté terrien et très incarné. Elle a cette capacité à habiter simplement un personnage, ou à rendre évident le métier de Léa, son rapport à la montagne. Les acteurs qui jouent la famille de Pierre viennent du théâtre, et, les seconds rôles sont des non professionnels qui jouent leur propre rôle pour ainsi dire. Cette diversité fait que chacun vient avec sa particularité, son propre hors champ, ce qui renforce et enrichit les interactions entre les personnages.

Léa et Pierre, c’est une histoire d’amour rendue possible par la montagne ? 
Oui, le film est bien sûr une histoire d’amour. Ça me semble important de le souligner. Les trajectoires de Pierre et de Léa se croisent, s’entremêlent et finissent par se rejoindre en un même mouvement. La première fois qu’on voit Léa, elle est tournée vers les montagnes. Elle vit à moitié là-haut, à moitié en bas. Elle a trouvé un équilibre entre son métier, sa vie avec son fils et la montagne. En ce sens elle a comme de l’avance sur Pierre, qui cherche aussi cet équilibre. Nous voulions d’ailleurs qu’elle ait comme une prescience de ce qu’il allait vivre, comme si ce parcours ne lui était pas étranger. Il y a donc aussi quelque chose de magique dans leurs retrouvailles. Au moment où Pierre disparaît, il est mort pour les autres mais pas pour elle qui est dans la vie et pense à lui. Elle a envie de le revoir et pour cela il faut le sortir de là où il est. Léa le ramène tout simplement à la vie. Je profite de parler de Léa pour dire à quel point je suis heureux que Louise Bourgoin l’interprète. Elle lui apporte sa lumière (je m’amusais sur le tournage à dire que c’était elle la créature lumineuse [rires]) Et surtout, elle lui offre de nombreux visages en étant tour à tour douce, forte, intense et mystérieuse.

Drame, fantastique de Thomas Salvador. 1 nomination au Fantastic' Arts - Festival du Film Fantastique de Gérardmer 2023 (édition 30). 1 nomination et 1 prix à la Quinzaine des Réalisateurs 2022 (édition 24). 3,9 étoiles sur AlloCiné.

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