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Rien à perdre


Sylvie vit à Brest avec ses deux enfants, Sofiane et Jean-Jacques. Une nuit, Sofiane se blesse alors qu’il est seul dans l’appartement. Les services sociaux sont alertés et placent l’enfant en foyer, le temps de mener une enquête. Persuadée d’être victime d’une erreur judiciaire, Sylvie se lance dans un combat pour récupérer son fils.

 

Entretient avec la réalisatrice Delphine Deloget 

D’où vient l’histoire de Rien à perdre ?

Au début, il y avait l’envie de filmer ce qui reste d’une famille quand tout explose et de raconter une famille qui apprend, dans la douleur, à vivre les uns sans les autres. L’histoire du placement est venue plus tard, au cours de l’écriture pour dire cette difficulté, la douleur, mais aussi la nécessité de quitter ceux qu’on aime. 

Vous montrez les groupes de paroles réunissant des personnes vivant le même genre de situations. 

Oui, Sylvie n’est pas un cas isolé et en même temps, chaque histoire est différente. J’ai assisté à des réunions, mais aussi à des échanges sur les réseaux sociaux entre parents. Il y a le déni, la honte, la colère, la culpabilité, l’acceptation puis la soumission. Leur combat est un combat perdu d’avance. D’un point de vue extérieur, ces parents resteront marqués au fer rouge pour la vie. Encore une fois, le film parle de la défaillance et pas de la maltraitance. Même si la frontière entre les deux peut être poreuse.

Pourquoi avoir choisi Brest ? 

Je tenais à filmer cette histoire sur un territoire à part, une terre où les rêves ont un horizon mais se butent à une géographie particulière. Brest, c’est le bout du monde. Après Brest, il n’y a plus rien, juste le vide. Brest est une ville étudiante, militaire, portuaire. C’est une ville contraignante par sa météo, sa géographie, par son architecture d’après guerre, mais c’est aussi une ville qui laisse respirer ses personnages dans des paysages ouverts. Brest est également une ville underground qui aime la nuit et la musique. Et j’aimais l’idée de filmer cette histoire comme un lendemain de fête difficile.

Dans quel monde évolue vos personnages ?  

Sylvie fait partie d’un monde que l’on considère à tort à la marge de la société. Je ne voulais pas filmer une province sous-cultivée, en lutte permanente pour sa survie ou rendre Sylvie victime de sa condition sociale ou de sa condition féminine. La précarité de Sylvie n’est pas avérée, mais elle est toujours présente. Le film interroge la marge, la norme et se demande à quel moment on bascule. À quel moment pour la société, sommes-nous plus « apte », hors-jeu ? L’un des frères de Sylvie, Hervé, en a fait un mode de vie quand l’autre frère est rentré dans le moule… Mais il n’y a pas de jugement à cet endroit-là : c’est aussi courageux d’entrer dans le moule que d’y renoncer. 

Un mot sur la musique, qui est importante dans la vie des personnages.

La musique n’est pas qu’un decorum, c’est une matière vivante, c’est un endroit où le corps parle, où on peut être en transe. La musique a toujours revêtu une dimension un peu sociale et c’est aussi l’espace de la transgression. C’est un personnage du film pour moi, un personnage bruyant, mais vivant. J’ai sollicité le groupe Franky Gogo, Tatiana Mladenovitch, pour venir jouer en live dans le film. Il y a aussi El Maout, un musicien très talentueux de Douarnenez. Quant à Nicolas Giraud, il était le trompettiste de Tony Allen. Et puis, il y a Corrine qui a composé la chanson Oh Mon amour, avec le guitariste Christophe Rodomisto. J’aime ces rencontres musicales, elles sont essentielles pour moi.

À quel genre appartient ce film ?

Pour moi, c’est une sorte de western social et familial, avec des règlements de compte, des trahisons et des personnages en état urgence, réjouissants même si seuls au monde dans leur combat. C’est peut-être une récurrence dans mes travaux, ce besoin d’aller chercher l’instinct de survie chez les gens que je filme. Et cette vie qui résiste, qui persiste malgré tout génère au final autant du drame que des moments de comédie. J’avais besoin de filmer des personnages totalement en prise avec la vie, dans leur insouciance, dans leur travers pour trouver l’équilibre, la justesse entre la brutalité du réel et la beauté du romanesque.  

Drame de Delphine Deloget. Propos reccueilli par André-Paul Ricci, Tony Arnoux et Pablo Garcia-Fons. 3,8 étoiles Allociné.

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