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La tresse


Trois vies, trois femmes, trois continents. Trois combats à mener. Si elles ne se connaissent pas, Smita, Giulia et Sarah sont liées sans le savoir par ce qu'elles ont de plus intime et de plus singulier.


Entretien avec la réalisatrice Laetitia Colombani

Comment le récit de ces trois femmes, appartenant à des cultures et des contextes différents, est-il né dans votre imaginaire ?

Il est né en janvier 2015, le jour où j’ai accompagné une de mes très proches amies dans un magasin de perruques : elle venait d’apprendre qu’elle avait un cancer et elle entamait une chimiothérapie. Elle a choisi une perruque naturelle en cheveux indiens. Je me suis alors souvenu d’un documentaire vu à la télévision des années auparavant, qui montrait comment des cheveux offerts par des pèlerins dans un temple indien voyageaient hors du pays et servaient de base à la confection des perruques. De là m’est venue une idée de récit sur trois continents : une Indienne qui offrait ses cheveux dans un temple, une Occidentale qui les recevait, une ouvrière travaillant ces cheveux. J’avais l’idée de la donation des cheveux dans un temple depuis longtemps, mais il me manquait les autres maillons de l’histoire.

Quelle est la symbolique de la chevelure ?

De tout temps, les cheveux sont associés à une certaine image de la féminité. Pour avoir suivi le parcours de cette amie qui a perdu ses cheveux, je sais à quel point cette perte peut être douloureuse et renvoie à la maladie. J’aimais ce symbole de la féminité, mais aussi celui de la résistance : la kératine est une matière très résistante, et l’idée de ce cheveu à la fois très fin et solide me plaisait, car c’est aussi une métaphore de mes trois personnages.

Vous êtes-vous documentée sur la caste des Intouchables, qu’on pourrait d’ailleurs surnommer les Invisibles ?

Ils sont en effet mis à l’écart de la société alors qu’ils sont des millions. Je me suis beaucoup documentée, d’autant que je suis passionnée par l’Inde, pays qui me fascine et me bouleverse à la fois. J’y vais presque tous les ans, j’ai souvent traversé des villages d’Intouchables, et je me suis entretenue avec des membres de cette communauté et notamment des jeunes femmes, des gens à qui on ne donne pas la parole, qui sont invisibilisés, tenus à l’écart de la vie sociale. Ils sont cantonnés à leurs quartiers dans les villages, ils n’ont pas la possibilité de s’extraire de leur caste, le statut d’Intouchable est noté sur leurs papiers d’identité. Je ne connais pas d’autre ségrégation institutionnalisée à si grande échelle ailleurs dans le monde. C’est un phénomène qui n’évolue pas dans la société indienne. 

C’est un tournage qui s’est déroulé sur trois continents. Comment l’avez-vous abordé ? Comment vous êtes-vous préparée ?

Le tournage a été reporté plusieurs fois en raison des confinements successifs. On s’est d’abord rendus en Inde, puis au Canada et en Italie. Au total, la production s’est étalée sur six mois. C’était à la fois une course de vitesse et un marathon de fond. Quand on tournait dans un pays, on préparait le tournage dans le pays suivant. En raison des différents fuseaux horaires, on avait des journées de travail avec des amplitudes délirantes : on se levait souvent à 5 heures du matin pour terminer des réunions en Zoom à 23 heures. Je l’ai vécu très intensément car j’ai eu le sentiment de réaliser trois films en un. On a passé deux mois en Inde et sans transition, on s’est retrouvés au Canada, en perdant 35 degrés d’un coup, avec un fonctionnement à l’américaine, d’autres décors, d’autres techniciens, d’autres comédiens, si bien que c’était un exercice intellectuel et physique très fort. Enfin, on a rejoint le sud de l’Italie. Cela nous a aussi contraints à une gymnastique de langue et j’ai d’ailleurs pris des cours d’italien pour comprendre mes techniciens. J’ai savouré chacun de ces moments et j’ai beaucoup appris. 

L’univers sonore est également très palpable. Comment s’est-il mis en place ?

J’ai collaboré avec Claude La Haye, grand ingénieur du son canadien, qui travaille notamment avec Denis Villeneuve et qui a une oreille très fine. Pour la partie indienne, on a été très attentifs à capter tout une palette de sons qu’on n’entend que là-bas. Je me suis inspirée de La leçon de piano et de la façon dont le son est utilisé pour nous plonger dans le bush néozélandais : des sons d’oiseaux notamment, très spécifiques, nous immergent dans cet univers singulier. Je voulais un travail semblable pour la partie indienne : le matin, vers 7 heures, on percevait des chants d’oiseaux qui n’étaient pas les mêmes que ceux du soir ; dans le sud du pays, les cris des singes étaient différents de ceux du nord. On a apporté une grande attention à ces sonorités afin de donner une couleur particulière aux ambiances. En Italie, Claude partait à la recherche de cloches d’église, dont aucune n’est semblable, et qui sont très présentes dans cette région du sud. Il a aussi beaucoup travaillé sur la résonance des pièces dans les vieux bâtiments comme ceux où on a reconstitué l’atelier ou recréé la maison de Giulia. Ces endroits ont une acoustique particulière.

Comédie dramatique de Laetitia Colombani. Propos reccueilli par la BCG presse. 4,1 étoiles Allociné.

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