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Sous le tapis


Odile se prépare à fêter son anniversaire. Alors que ses enfants et petits enfants sont en route pour la soirée, Jean, son mari, décède brutalement. Incapable de faire face à cette réalité, elle le cache sous son lit...

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Entretien avec la réalisatrice, Camille Japy

Sous le tapis est votre premier long métrage à la réalisation. Qu’est-ce qui vous a poussé à sauter le pas ?
Parce que c’était le moment. Je ne saurais le dire autrement. Une évidence. En apparence un concours de circonstance, en profondeur, une autorisation enfin à sortir de ma place d’actrice. Et puis les planètes qui s’alignent... Une rencontre avec une productrice, Isabelle Grellat, qui m’a fait confiance. J’ai pu écrire et réaliser mon court métrage, ensuite ça s’est enchaîné assez vite avec l’écriture et la réalisation de ce premier film. 

Odile, l’héroïne, n’a aucune envie de célébrer quoi que ce soit. 
Odile est en état de choc. Son mari meurt si brutalement, en quelques secondes, au moment où elle prépare le diner pour sa fête d’anniversaire, heureuse et insouciante. Quand elle le découvre raide mort, son cerveau disjoncte, il n’arrive pas à intégrer cette information. Son mari était son équilibre, sa bouée. Il la protégeait de ses démons. Alors quand sa famille arrive pour fêter son anniversaire, prise de panique, elle le cache sous son lit, le fait disparaitre à ses yeux et aux yeux de tous. Elle efface l’évènement, l’information, et retrouve une illusion de paix. Mais la réalité ne peut que la rattraper... 

Le déni, chez ce personnage, atteint quand même des proportions incroyables. 
Oui. On fait tous des petits dénis dans la vie, on ne voit souvent et n’entend que ce que l’on peut voir ou veut entendre. C’est comme ça. Dans cette histoire, le déni d’Odile et c’est cela qui m’intéressait, constitue ce que les psychologues appellent un déni traumatique, un déni de deuil, d’une autre ampleur bien sûr. En disjonctant, elle appuie sur pause. Elle n’est pas folle, elle veut juste encore un peu de temps, du temps d’amour, du temps comme avant, faire comme si... Comme font les enfants : « On dirait qu’il est juste endormi... » 

Autant Odile entretient une relation difficile avec sa fille (Bérénice Bejo), autant on la sent en totale osmose avec son fils (Thomas Scimeca) et avec ses petits-enfants. 
Odile essaye d’aimer sa fille Sylvie mais elle n’y arrive pas. Tout son corps la rejette. C’est une souffrance pour Sylvie qui le sent et donne le change. Sylvie est dans la réalité, cartésienne, elle avance comme un bon petit soldat, elle veut comprendre, pose des questions. Tout l’inverse d’Odile qui veut fuir. Son fils Lucas en revanche est comme elle d’une certaine manière, il fuit les responsabilités. Il est infiniment poétique et enfantin. Il la rassure. Elle se raccroche à lui, à ses petits-enfants, redevient une petite fille elle-même pour s’échapper.

Parlez-nous du choix d’Ariane Ascaride pour interpréter Odile. 
J’aime sa force, sa fragilité aussi et sa drôlerie ; j’aime son humanité. Ariane, c’est une terrienne, elle est dans la vie, elle habite son corps. J’ai aimé filmer son visage qui se transforme sans arrêt. Tout le monde peut s’identifier à elle. Et c’est une bosseuse. Ariane a lu le scénario en une journée et m’a appelée dès le lendemain : « Je ne vous connais pas, m’a-t-elle dit, mais c’est oui. Vous me faites un cadeau magnifique. » C’est elle qui m’a fait un cadeau. Elle s’est plongée à corps perdu dans ce rôle, m’a laissée filmer sa féminité, son côté enfantin, ses zones d’ombres. Elle a même fait des cascades ! C’est pour vous dire. Elle m’a tout donné. 

On sent que vous accordez beaucoup d’importance au son. 
Le son est essentiel pour moi. Il fait partie intégrante de la mise en scène. Les hors champ sonores sont très présent dans le film. J’ai accentué les respirations d’Odile pour faire partager son angoisse aux spectateurs. Pour créer une intimité. À d’autres moments, j’ai diminué les bruits de la maison pour donner une impression de solitude, accentué parfois aussi les bruits des enfants qui jouent autour, les chants des oiseaux - ceux du matin, du soir, de la nuit -, le bruissement du vent. Seule la nature a le pouvoir de raconter l’invisible, l’impalpable. Dans ce film, je voulais que les sens prennent le dessus sur l’intellect. Que le spectateur entre de manière sensorielle dans cette histoire. 

Comment s’est déroulé le montage ? 
Avec Camille Toubkis ma monteuse, incroyable de sensibilité et de finesse, nous avons très vite trouvé le film. Notre souci a été de trouver le bon dosage pour que l’on puisse passer du rire à l’émotion, à la poésie, le bon rythme, comme dans un morceau de musique. Pour que le spectateur soit toujours balayé d’une émotion à l’autre, sans qu’il ne s’en rende compte. Et bien sûr trouver le bon équilibre entre la mère et la fille, que tous les personnages existent à leur juste place. 

C’est -M- qui a composé la musique. 
J’ai eu la chance qu’il me dise oui ! Quel cadeau ! 
Je voulais un rocker pour cette histoire de famille - toujours cet amour des contrastes -. Pour sortir des codes du film de famille et rendre les choses plus organiques, universelles. Matthieu est un immense artiste, puissant. Sa musique est si puissante et généreuse. Il a visionné le film et il a tout compris, instantanément. Il a trouvé la couleur qu’il fallait. Il a pris sa guitare, improvisé des notes sur les images, tout était déjà là... Fascinant. Sa musique emporte le film loin.

Comédie dramatique de Camille Japy. 2 nominations au Festival du Film et de la Musique de la Baule 2023 (édition 9).  3,1 étoiles sur AlloCiné.

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