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Les enfants des autres


Rachel a 40 ans, pas d’enfant. Elle aime sa vie : ses élèves du lycée, ses amis, ses ex, ses cours de guitare. En tombant amoureuse d’Ali, elle s’attache à Leila, sa fille de 4 ans. Elle la borde, la soigne, et l’aime comme la sienne. Mais aimer les enfants des autres, c’est un risque à prendre.

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Note d'intention de la réalisatrice, Rebecca Zlotowski

J’ai commencé par adapter le roman de Romain Gary, Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable. Un roman qui regardait en face et sans détour l’impuissance d’un homme. Mais quelque chose résistait. Non pas que je n’arrivais pas à me projeter dans cet homme qui n’arrivait plus à bander ou craignait de ne plus… Mais peut-être parce que je m’y projetais trop. Et progressivement m’est apparue ma propre impuissance, celle d’une femme de 40 ans sans enfants qui en désire un et élève en partie ceux d’un autre, ceux d’une autre.

Une belle-mère, sans être mère elle-même. Aussi banale, douloureuse et honteuse que l’impuissance masculine, cette situation n’en était pas moins le point de départ d’une histoire digne d’être racontée. Elle avait été peu racontée.

Pas même vraiment nommée. Car le lien qui peut nous unir aux enfants d’un autre, homme aimé dont on partage la vie et donc la famille, m’a semblé non seulement ne pas posséder de nom, (on parle de maternité, de paternité, pas de belle-maternité, de belle-paternité), mais aussi être orphelin de représentation.

Il y avait une sorte de trou entre la représentation du dessin animé, la méchante belle-mère des films Disney, héritière d’un monde dans lequel les femmes mouraient en couches et étaient remplacées par des « malgré-elles », des jeunes femmes mal équipées pour aimer des enfants qui n’étaient pas les leurs, des fardeaux, et de l’autre la belle-mère débordée des familles recomposées des comédies romantiques plus ou moins réussies. Où était cette femme qui nouait un lien intime et précieux avec des enfants, les élevait une semaine sur deux pendant quelques années, sans en avoir elle-même, en acceptant de prendre le risque de devoir nécessairement s’effacer de l’équation une fois la relation amoureuse avec leur père finie ? Que faisait-on de ce lien quand il pèse sur une décision amoureuse ? Comment vivre dans la même ville que ceux qu’on a bordés, aimés, soignés, mais qui ont déjà d’autres protagonistes dans leur vie ?

J’ai voulu écrire le film de ce personnage secondaire du récit avec les outils du cinéma. Un cinéma de personnage secondaire, contre un certain cinéma de protagonistes, vivant passions et excès dans la brûlure et le conflit. Faire triompher une autre grille d’émotions : l’amitié entre hommes et femmes, la tendresse entre femmes, le dépit davantage que la trahison, la mélancolie des rendez-vous ratés avec l’existence, mais aussi l’excitation des rendez-vous réussis avec le désir, l’érotisme, la joie consolatrice. Les amours de transition, ceux qu’on vit entre deux grandes histoires, et que les américains appellent les « rebonds ». La rebond girl, le rebond boy.

J’ai pensé Les Enfants des Autres dans sa dimension mélodique, littéraire. Il faut lire pleinement tous les fondus au noir, les ouvertures à l’iris, les cieux dans lesquels les saisons passent, comme des chapitres d’un compte à rebours lancé dans la vie d’une femme, d’un couple, son désir. J’ai beaucoup pensé à certaines études de mœurs dans lesquelles les américains ont si bien excellé, Shoot the moon d’Alan Parker, Kramer contre Kramer, Une femme Libre... Des films définitifs sur des expériences banales, collectives. Avec une forme de générosité musicale et de simplicité classique dans la construction, une modestie dans la peinture de ces relations qui se nouent, se délitent, se brisent et luttent.

Les Enfants des Autres doit quasiment tout à ses interprètes, ça n’est pas le cas de chaque film. Roschdy Zem, mon grand allié depuis Les Sauvages, Chiara Mastroianni, qui a accepté de venir pour quelques scènes car en les tournant nous nous disions qu’on déjouait la règle selon laquelle il n’y a souvent de place que pour un seul grand rôle féminin, pas deux.

Le film a surtout réparé -et j’allais dire vengé !- le rendez-vous raté il y a des années avec Virginie Efira, qui apporte ici son « cerveau érotique », pour reprendre l’expression de la romancière Anne Berest (qui joue dans le film elle aussi). Son intelligence de jeu, sa générosité, sa dignité en faisaient l’héritière des figures de ces études de mœurs dont l’ombre planait, tutélaire, au-dessus du film : Jill Clayburgh, Meryl Streep, Diane Keaton. Des femmes qui m’émeuvent et en qui je me reconnais, pour qui la féminité n’est pas une donnée, mais leur propre invention. Démarche, diction, réactions, séduction : il n’y a pas d’en-soi de la féminité chez Virginie, mais une volonté, farouche et obstinée, de l’être. De construire la personne qu’on veut être. Et je l’ai aimée.

Par une ironie du sort, alors que je ne l’espérais plus, j’ai découvert en préparation que j’étais enceinte et j’ai tourné ce film en attendant un enfant qui est né quelques jours après la fin du mixage. J’ai eu la sensation de filmer cette lettre d’amour, de solidarité aux femmes sans enfant -des nullipares, comme disent les médecins - tout en n’appartenant déjà plus tout à fait à leur communauté, sans appartenir encore à l’autre.

J’ai voulu faire, avec Les Enfants des Autres, un film qui m’avait tout simplement manqué.

Drame de Rebecca Zlotowski. 4 nominations au Mostra de Venise 2022 (édition 79). 4,1 étoiles sur AlloCiné.

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