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Chronique d'une liaison passagère


Une mère célibataire et un homme marié deviennent amants. Engagés à ne se voir que pour le plaisir et à n’éprouver aucun sentiment amoureux, ils sont de plus en plus surpris par leur complicité...

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Entretien avec le réalisateur, Emmanuel Mouret

Votre titre annonce une histoire d’amour éphémère, mais votre film, lui, semble traversé par un courant continu, souvent surprenant, en jouant sur un véritable suspense… 
L’idée d’une chronique me séduisait parce qu’elle propose une progression dramatique par sauts, par ellipses, où à chaque nouveau rendez-vous des amants, le spectateur doit être attentif à une somme de petites choses qui évoluent au fur et à mesure, où il lui faut en quelque sorte recréer par l’imagination l’entre-deux de ces moments. Le mot « liaison » est un mot qui me plaît beaucoup. «  Les liaisons dangereuses  » ou «  Liaison secrète  » étant de si beaux titres, j’aimais l’idée d’y adjoindre la notion d’éphémère, quand bien même une liaison est passagère par définition, afin que le titre suggère d’emblée l’enjeu dramatique du film. Ainsi, le spectateur sait que les moments heureux donnés à vivre aux personnages sont promis à une fin annoncée. J’aimais que le suspens soit donné dès le titre. Quant à cette sensation de fluidité que vous évoquez, elle est le fruit d’un flux quasi ininterrompu de paroles et de déplacements des personnages.

Ce film parvient à densifier la notion de quotidien, à faire éprouver une sensation de présent pleinement investi. 
Ce que je trouvais particulièrement excitant dans ce projet est le fait qu’on ne s’intéresse qu’aux moments où les deux amants se retrouvent. Quand le film débute, nous assistons à leur premier rendez-vous seul à seul. Ils posent ainsi les bases de leur mode opératoire  : ils veulent une relation qui ne repose que sur le plaisir, une relation sans engagement, sans sentiment amoureux, sans projection dans le temps. Ils font, l’un et l’autre, preuve d’un certain volontarisme à être dans l’instant, à ne pas regarder au-delà du moment présent. Dès lors, l’enjeu pour le spectateur est de voir si leur contrat va être respecté ou non. Et l’on découvre dans un premier temps que cela se passe très bien entre eux  ! On les voit avoir beaucoup de plaisir à se retrouver chaque fois ! Puis, conséquence de ces moments heureux, on assiste à la naissance de sentiments qu’ils ne peuvent pas exprimer, puisque ce contrat le leur interdit. Jusqu’à quel moment cette relation d’entente et de légèreté va-t-elle durer ? Peut-on vivre une relation uniquement consacrée au plaisir ? Peut-on aimer sans se projeter ? Ce sont les questions que je trouvais intéressantes de développer au fil de ces rendez-vous. J’y voyais là un film à suspense autour de personnages éprouvant des sentiments amoureux qu’ils se doivent de contenir.

La notion de fantasme intervient tôt dans les dialogues, et devient, plus tard, un pivot narratif… 
Le fantasme est l’expression d’une fantaisie, d’une liberté, d’une récréation, d’une envie d’aller voir plus loin ensemble, quelque chose qui les affranchit d’une vie réglée, quelque chose qui les lie aussi. Ce sont sans doute les seules projections qu’ils s’autorisent ensemble.

Le langage est central dans votre cinéma, et dans ce film en particulier… 
J’aime l’idée que mes personnages aiment autant parler que faire l’amour. Parler, c’est se raconter, se chercher, se découvrir dans le regard de l’autre. Quand on s’aime, on a envie de découvrir l’autre et de se dévoiler. C’est une façon de se mettre à nu et de s’entrelacer. Cependant, on n’arrive jamais à se mettre complètement à nu, on veut plaire, on ne veut pas dire des choses blessantes. Comme ils se retiennent de s’avouer qu’ils s’aiment, ils tournent autour de ce qu’ils essayent d’exprimer. Ils veillent sans cesse à ne pas livrer l’essentiel, que seraient des mots d’amour.

Dans leurs conversations, Simon et Charlotte font preuve d’une grande ouverture d’esprit… 
Ce qui m’intéressait, c’était de raconter une relation particulière, voire exceptionnelle, dans laquelle mes personnages se sentent libres de parler de tout. Charlotte et Simon font feu de tout bois, d’une certaine manière. Et dans cette liberté de parole intervient un plaisir qui les surprend eux-mêmes. Ce que je trouvais beau, c’est qu’abordant toutes sortes de sujets, ils parviennent aussi à nouer un lien très intime et profond.

Les mots de ce film sont-ils les vôtres ?
J’en partage une partie avec Pierre Giraud. En 2015, on m’a proposé d’animer un atelier d’écriture. Pierre faisait partie des participants. Dans ce cadre, il a écrit deux scènes entre un homme de cinquante ans et une femme de trente ans. À la fin de l’atelier, il voulait en faire un court-métrage, tandis que je voyais là le point de départ d’un scénario de long, que je lui ai suggéré d’écrire. Pierre a fait un premier travail, puis, aimant beaucoup ses deux personnages, je lui ai proposé de prendre le relai et d’adapter son récit à ma façon pour pouvoir le réaliser. Comme je l’avais fait avec le texte de Diderot pour Mademoiselle de Joncquières, j’ai donc adapté librement le scénario ébauché par Pierre.

Comment s’est fait le choix de vos comédiens ? 
La grande difficulté de ce film est qu’il repose sur deux acteurs, présents dans chaque scène. Ce film n’aurait donc pas pu se faire sans deux acteurs exceptionnels, et il m’a fallu beaucoup de temps avant de trouver l’évidence du couple. Quand j’ai pensé à Sandrine Kiberlain face à Vincent Macaigne, avec qui j’avais tourné dans Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, ce fut un déclic. Tous deux sont porteurs d’une fantaisie qui apporte de la comédie et confère au film une tonalité à la fois drôle et grave, légère, sentimentale, sincère et profonde, sans être pesante. J’aimais aussi le contraste entre les énergies de ces deux acteurs. Sandrine a une vivacité, une fraîcheur, une vitesse particulière, qui diffèrent de Vincent, qui est plus rond et doux qu’elle dans ce film. La bonne surprise, c’est que ce fut très fluide entre eux dès la première lecture. Pour interpréter Louise, il me fallait une actrice capable d’exprimer à la fois la réserve et l’audace de cette femme qui se lance dans cette aventure sexuelle. Je suis heureux d’avoir rencontré Georgia Scalliet, qui a été sociétaire de la Comédie-Française et a une grande expérience du théâtre. Je la trouve particulièrement émouvante dans ce rôle.

Votre image est printanière. Comment avez-vous travaillé sa lumière et sa colorimétrie ?
La direction artistique du film a été pensée très en amont. C’est l’avantage de travailler avec la même équipe depuis longtemps : Laurent Desmet, mon chef-opérateur, David Faivre, mon chef décorateur, Bénédicte Mouret, ma cheffe costumière. Tout comme l’équipe du son, ainsi que Martial Salomon, mon chef-monteur. Nous prolongeons de film en film un dialogue ininterrompu, et tous préparent le film ensemble, personne ne travaille dans son coin.

Comment avez-vous choisi les musiques qui composent votre bande-son ?
Le choix des musiques est souvent guidé par le hasard, à part Ravi Shankar, qui figurait dans le scénario. Pierre Giraud y avait pensé et cette idée m’a plu, car j’ai grandi avec des parents qui écoutaient sa musique. Quant à La Javanaise, qui revient comme une ritournelle, c’est une idée de mon monteur, qui s’est inspiré d’une interview dans laquelle je citais ce titre. Ce thème nous plaisait à tous les deux. Et Mozart, il se trouve que j’écoutais ses sonates au réveil pendant le tournage, il me semblait déjà qu’elles entraient en résonance avec le film. Ce qui est beau dans cette légèreté mozartienne, c’est qu’elle est profonde. J’aime le fait que ces sonates sont sentimentales sans trop en dire, qu’elles sont douces sans être sirupeuses. Elles apportent une subtilité encore plus grande aux sentiments des personnages.

Comédie dramatique, romance de Emmanuel Mouret. 1 nomination au Festival de Cannes (édition 75). 4 étoiles sur AlloCiné.

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