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Novembre


Une plongée au cœur de l’Anti-Terrorisme pendant les 5 jours d’enquête qui ont suivi les attentats du 13 novembre.

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Entretien avec le réalisateur, Cédric Jimenez

Comment ce projet est-il né ?  
Le projet est né sans moi. Olivier Demangel  et le coproducteur Mathias Rubin  sont venus me proposer le scénario qui était déjà très avancé. Mais le sujet est évidemment très important pour tout le monde et personne ne peut y être insensible. C’est aussi peutêtre la raison pour laquelle j’avais des réserves quant à l’idée d’en faire un film avant la lecture du scénario. Et en même temps, il était impossible de ne pas lire ce qu’Olivier avait fait d’un tel sujet, et c’est son écriture qui m’a totalement convaincu. J’ai été très surpris par le scénario, par son angle et son parti pris. Il ne traite pas des attentats en eux-mêmes, en tout cas pas frontalement, mais des cinq jours qui ont suivi. Ce qui m’a passionné, c’est qu’au-delà du choc, l’enquête de la police a représenté un travail titanesque, et en termes de responsabilités, la tension était incroyable pour ce service. Le scénario parle de cela. C’est ce qui m’a donné envie de le mettre en scène. Je me suis mis à la place des enquêteurs et me suis demandé comment je réagirais face à l’obligation de résultat et à la crainte d’un désastre si ce même résultat n’est pas au rendez-vous.  

Vous avez retravaillé le scénario  avec Olivier  Demangel. Quel fut votre apport ?  
Oui. Nous avons travaillé ensemble sur la densité de l’enquête et sur son amplitude.  L’impossibilité de trouver deux hommes recherchés dans une métropole comme Paris. Et ce, sans connaître leur identité. C’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin. J’ai entretien avec Cédric Jimenez demandé à Olivier de potentialiser l’envergure de cette enquête. À la base le scénario était un peu moins ample mais tout était là. Toute la dramaturgie. Le fait que ce soit purement un film d’enquête, qu’il y ait très peu de personnages développés, en tout cas dans leur intimité et que l’intrigue se passe sur cinq jours. En fait j’ai juste ouvert le scope du scénario.  

Les attentats sont filmés hors champ, voire inexistants, la question de les montrer s’est-elle posée ?  
Jamais. J’aurais trouvé cela obscène, véritablement obscène… Si j’avais lu le moindre effet en ce sens, je n’aurais jamais fait le film. Ce qui m’a plu c’est que c’était le contre point de vue. On ne mettait pas en scène les attentats, ni les victimes. Le seul moment où le film le fait c’est dans l’hôpital mais c’est uniquement dans la perspective de l’enquête. Et c’est bord cadre, en essayant d’être le plus pudique possible. 

Le fait que le scénario soit à la fois très factuel, très précis dans la chronologie, vous a-t-il aidé à construire la mise en scène ? À trouver la pulsation du film ?  
Bien sûr. J’ai voulu recréer ce que m’avaient  raconté les membres de la brigade anti-terroriste.  Ils parlent « d’effet tunnel », je trouve le terme très parlant et j’ai voulu le restituer à l’image. Le fait qu’ils rentrent chez eux et qu’ils n’aient aucune intimité avec leur famille me paraissait important pour raconter cela. Car c’est vraiment ce qu’ils ont vécu 24h sur 24 sans interruption. Ils ont mis tout de côté, même leur ressenti par rapport à ça. Ils sont entrés dans une mission. C’était une gageure pour moi, même à la mise en scène, de recréer ce mouvement en avant sans aucune place pour les états d’âme. On ne sait pas qui ils ou elles sont. C’est un choix de mise en scène, un choix narratif, un parti pris. J’aime les partis pris francs. Le parti pris c’était l’enquête. Les personnages sont là, ils existent, mais toujours au service de l’enquête.  

Tous les personnages, en dehors des terroristes dont on connaît les noms, ont été inventés. Ce sont des personnages de fiction. 
Tous ces personnages existent dans un sens. Dans la vraie vie, ils  sont protégés et vivent sous une autre identité. Car lorsqu’on travaille pour l’anti-terrorisme, on fait face à des menaces particulièrement importantes. Donc, dans le film, on les protège aussi de ce qu’on peut reconnaître d’eux. Mais ils sont tous inspirés de véritables personnes. Tout comme la témoin. Son nom n’est pas le sien. Avec les éléments du film, souvent vrais, nous avons pris le soin de les maquiller assez pour les protéger.  Il fallait d’évidence ne pas révéler ce qui pourrait être préjudiciable pour ce service et pour l’instruction judiciaire.

Face à un tel sujet, une telle tragédie, que peut apporter la fiction par rapport au documentaire ?
Le documentaire se doit de raconter les vrais gens, avec leurs vrais noms par exemple. La fiction permet l’inverse et intervient pour raconter ce que l’on ressent et ce que l’on a envie de raconter par rapport à cela. Sinon on ne fait pas de film. Sinon on est journaliste. Le journaliste est là pour relater les faits. Le cinéaste ou le romancier sont là pour les interpréter. C’est inhérent à la raison pour laquelle on fait ce métier. On a envie de s’approprier les choses ne serait-ce qu’un minimum, tout en les respectant et en restant à sa place, à la bonne distance. Imaginez bien que pour ce film j’ai fait attention à tout. J’ai tout pesé au millimètre. Mais si j’arrête de raconter quelque chose qui sort de mes tripes, je ne peux plus faire de film.  

La question de l’auto censure se pose-t-elle ? 
Je ne dirais pas cela. Je parlerais plutôt de précaution. De dignité. Lorsque j’aborde des sujets nés de ma propre imagination,  je suis libre. Mais pour traiter  d’un sujet comme  celui-là, on  ne peut pas faire n’importe quoi. Pas question de blesser ni de manquer de respect d’aucune façon. Ne pas vouloir blesser quelqu’un, ce n’est pas pour autant se censurer. Mais je ne veux pas non plus me cacher car si j’ai décidé de faire ce film, c’est aussi pour faire du cinéma. Avec le plus de respect possible. 

Avant de faire le film, vous avez  rencontré certains des policiers impliqués dans cette enquête. Pour quelles raisons ?  
Pour l’exactitude déjà. Comme c’est un service qui est excessivement secret, il n’y a aucune documentation qui existe. Il n’y a rien d’écrit dessus. Mais je n’aurais pas pu inventer tout ce qui le caractérise. Cela aurait été absurde. Olivier Demangel  avait déjà sollicité leur aide. C’est lui qui me les a présentés. J’ai retranscrit leurs gestes, la façon dont fonctionnent ces unités… Ils ne m’ont bien sûr pas donné accès à tous leurs dossiers mais tout ce qui concerne le fonctionnement, l’organigramme et la façon dont ils opèrent est véridique.  

Dans cette enquête où la logistique est très conséquente, vous mettez  en avant la valeur  de l’instinct,  le poids de l’intime conviction… 
Oui c’est vrai. Le dispositif de surveillance, tous ces appels téléphoniques, l’appel à témoins… C’est le résultat de tout ce dispositif qui fait que d’un coup, un témoin émerge et devient la clé de l’enquête. Un  témoin que certains croient,  d’autres non. Tout comme le film le raconte. Il a même été question de mettre ce témoin en garde à vue  car ce qu’elle  disait été vraiment très gros. Sa version pouvait même ressembler à un piège. Mais certains enquêteurs ont  néanmoins pensé qu’il fallait suivre cette piste. C’est donc aussi la victoire d’un jugement humain et instinctif. 

La mise en scène passe beaucoup par le subjectif des protagonistes…  
Presque toujours en effet. Je n’aime pas beaucoup être véritablement objectif dans la grammaire filmique. Comme je ne voulais aucune emphase dans la mise en scène et aucune intimité avec les personnages, il fallait donc que j’amène un regard. Sans  quoi on tombait dans une approche trop clinique. La dramaturgie consiste ici à plonger avec eux dans ce tunnel de cinq jours. Cela passe donc en effet par ces plans subjectifs où l’on voit ce qu’ils voient. Ou par ces gros plans qui me permettent de rentrer dans leur esprit en quelque sorte. Une immersion quasi animale dans l’instant. Car cinq jours c’est court. On n’évolue pas. On ressent c’est tout. L’adrénaline prend le dessus. 

Comme par exemple lors de la séquence de l’assaut ?
Dans toutes les actions de haute intensité l’instant présent ne peut être remplacé par aucune forme d’analyse. J’avais envie de respecter a minima ce que m’ont raconté les policiers qui ont donné l’assaut. Ce temps qui s’arrête où tout devient à la fois flou et très clair. On ne pense plus à rien d’autre. J’ai voulu mettre le spectateur dans cet état d’apnée. Un état où on bloque tout pour se consacrer sur sa seule respiration.   

Un mot sur la musique du film, partition organique, gutturale et qui semble intégrer les bruits environnants, le réel sonore… 
 Quand le scénario a été fini, je l’ai envoyé à Guillaume Roussel qui a signé la musique de tous mes films. Je l’ai juste prévenu que, pour une fois, le scénario pourrait se passer de musique et qu’il en aurait paradoxalement besoin. C’était son cahier des charges. L’idée était que la musique devait trouver sa place et se fondre au tout. Que parfois elle soutienne ou optimise. Guillaume a travaillé presque six mois dessus. Il a continué pendant le montage. Et cela a donné cette partition très organique. Une musique assez industrielle qui, quand elle est là,  réussit à être assez présente,  tout en se fondant sans s’imposer dans l’univers du film.

Thriller, policier de Cédric Jimenez. 3,4 étoiles. 1 nomination au Festival de Cannes 2022 (édition 75).

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