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Reste un peu


Après trois années à vivre l’American dream Gad Elmaleh décide de rentrer en France. Sa famille et ses amis lui manquent. Du moins, c’est la réponse officielle pour justifier son retour… car Gad n’est pas (seulement) rentré pour le couscous de sa mère. Non, c’est une autre femme qu’il vient retrouver à Paris… la Vierge Marie.

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Entretien avec le réalisateur, Gad Elmaleh

Avez-vous eu une éducation talmudique ? 
Oui, j’ai étudié le Talmud, je suis allé à la Yeshiva, qui est un centre d’étude de la Torah, j’ai pris des cours d’hébreux, j’ai lu les textes, je continue à les lire et à les étudier. Je n’aurais jamais pu faire ce film si je n’avais pas été en prise directe avec cette matière-là. J’ai grandi au Maroc, il y a toujours eu des synagogues, des églises et des mosquées dans le paysage, on vivait ensemble, juifs, chrétiens et musulmans, ça coulait de source. Chacun avait sa foi et ses croyances, tout le monde respectait ça, on était riche de ça. Aujourd’hui, quand on parle des religions, c’est souvent pour les opposer les unes aux autres, c’est souvent dans des moments de tension ou d’insécurité. Moi, j’aime en parler parce que ça me touche, et parce que je pense que c’est en étant au contact d’autres communautés et curieux de la foi des autres qu’on apprend à mieux se connaître soi-même.

C’est cette curiosité qui vous pousse d’abord à aller à l’église ?
Oui. J’ai l’impression qu’avec ce film, je joue vraiment avec le feu, avec des notions sensibles comme le sacré, l’idolâtrie, la passion, la tentation. Parler de ma fascination pour Marie, moi qui suis juif, d’une certaine manière, c’est un jeu interdit. C’est le péché ultime, l’idolâtrie, dans la religion juive ! Mais, je pense que c’est en s’approchant de ce qui brûle et pas de ce qui brille qu’on peut provoquer des réactions et des débats.

C’est l’un des enjeux de votre film : surprendre votre public et faire naître un débat sur la foi ?
Dans mon nouveau spectacle, je parle de la foi, de la religion, des religions, je parle notamment de ce blocage qu’ont juifs et musulmans à entrer dans les églises, je parle de la beauté des obsèques catholiques, de leur solennité, que je ne moque pas mais qui m’amuse autant qu’elle me fascine. En fait, j’ai toujours abordé ces sujets-là à travers mes personnages et mes films, mais là, avec ce film, j’y vais plus frontalement, j’y vais sans le bling-bling de COCO ou la casquette du vieux papy juif à l’accent marocain de mon premier spectacle. J’ai toujours été voir ailleurs : je suis parti du Maroc, jeune homme, pour le Canada, puis pour la France et ensuite pour les Etats-Unis. J’ai rencontré des gens de tous les horizons, de différentes confessions, j’ai embrassé plusieurs cultures. C’est dans ma nature profonde. C’est comme ça que je me sens bien.

Vous vous mettez à nu et la forme du film s’en ressent puisqu’elle est très dépouillée, elle flirte avec le documentaire ou le mockumentaire…
Je ne me suis jamais dit “ Tiens, si je faisais un mockumentaire sur la foi et l’identité ? “. Mais c’est vrai que je tenais à ce que le dispositif soit plus léger et que ça ne soit pas une superproduction comme COCO par exemple. Je ne voulais pas faire une comédie sur la religion avec des gags et des personnages, d’autres le font très bien. J’adore LA VERITE SI JE MENS même si, en réalité, ce n’est pas un film qui parle de la religion juive ni de l’identité juive mais plutôt de la culture juive séfarade, des traditions, des coutumes. J’avais envie de faire autre chose, un film plus modeste, plus proche des sujets que j’avais envie de traiter. J’ai conscience que ça peut être déroutant pour les spectateurs, je ne suis pas là où ils m’attendent, mais j’avais envie de faire tomber le masque et raconter ce que j’ai au fond du cœur, des doutes existentiels, et un véritable amour pour les religions et pour Marie en particulier. Ce film-là, je n’aurais pas pu le faire avant mes 50 ans. J’avais besoin de prendre du recul, de grandir.

Vous n’avez pas eu peur de l’autoportrait ?
Au contraire, ça m’évitait de tomber dans la caricature ! Mais je dois dire que la rencontre avec le scénariste Benjamin Charbit a été déterminante dans la vie du film. Benjamin m’a permis de trouver une structure, d’injecter de la fiction et du cinéma dans ce qui, au départ, ressemblait à une chronique ou une farce. Il a structuré mes idées, il a créé la trame du film, les différentes étapes par lesquelles je passe.

Le film parle de votre rapport à la foi juive et de votre profonde affection pour Marie, mais c’est aussi un film sur l’identité, et la vôtre est définitivement plurielle… 
Oui, c’est un film sur l’identité au sens large. Je m’interroge ici, et avec beaucoup de sincérité, sur ma place, en tant qu’homme de 50 ans, dans la société, dans ma famille, dans le monde, dans la géographie, dans l’Histoire, dans mon histoire, dans mon rapport à ma judéité. Comme je vous le disais, je parle des mêmes choses depuis trente ans, sauf que là, je crois que j’en parle avec plus de courage, sans me cacher derrière des artifices. C’est comme si je revenais à mes premiers amours. Si vous saviez tout ce que j’ai retiré comme gras au montage, comme gags, comme grimaces ! Il y a de l’humour dans le film, mais l’humour naît naturellement des situations, le trait n’est pas forcé. C’est la situation que j’étire, mais pas tant pour l’effet comique que pour la réflexion que ça peut engager en chacun. Je vais être franc, ceux qui s’attendent à voir COCO ou CHOUCHOU vont être déçus ! J’ai pris le revers, le contrepied, parce que ça me semblait plus sincère pour traiter de ces sujets. C’est un film qui est vraiment intime.

Un genre de journal intime… 
Exactement, et c’est d’ailleurs le titre d’un de mes films préférés de Nanni Moretti. J’adore ce cinéaste. J’ai beaucoup pensé à lui en faisant le film, comme j’ai beaucoup pensé à Woody Allen qui lui aussi met en scène ses doutes, ses errances et ses questionnements sur le monde, Dieu, l’amour… Loin de moi l’idée de cracher dans la soupe, mais c’est vrai que le cinéma que j’ai fait jusqu’ici est très loin du cinéma que j’aime regarder : les films d’Alain Cavalier, de Nanni Moretti, de Woody Allen.

Comment avez-vous convaincu vos parents et vos proches de jouer dans le film ?
Je leur en ai parlé comme d’un film sur la crise de la cinquantaine. Ils ne savaient pas vraiment de quoi il était question. Je voulais capter leur surprise et leur trouble aussi. Je les ai un peu arnaqués (rires) ! Ma mère est vraiment bien dans le film, très naturelle. Tout était écrit dans le scénario, il y avait des dialogues, mais je ne leur ai pas donné de texte à apprendre, ça aurait ôté de leur spontanéité à l’image. Je leur donnais un cadre, des situations. Ma mère n’a pas réfléchi, elle a joué, comme le font les enfants, comme le font les acteurs. Mes parents étaient heureux, on était chez eux, il y avait un peu de monde, on faisait à manger. Ça a été un tournage très joyeux. Je vais vous raconter une anecdote : j’étais chez mes parents, je faisais des repérages avec mon chef opérateur, Thomas Brémond. Ma mère était dans la cuisine, Thomas lui a demandé de s’asseoir sur une des chaises de la cuisine, et elle lui a répondu : “ Mais, en vrai, je ne m’assois jamais ici ! ”. Ce n’était pas un caprice, elle avait raison, et on a pensé le plan autrement. Tout le film, ça n’a été que ça, on s’est adapté à la vie de mes parents, aux décors de leur vie, le canapé, le salon marocain. Ça m’a beaucoup aidé d’être avec eux et d’être chez eux. J’ai découvert une méthode de mise en scène et de direction que j’adore, et je crois que par le passé, j’ai perdu beaucoup d’énergie à essayer de construire des scènes au cinéma avec trop de monde. Ce film, il fallait le faire avec une économie réduite, en équipe réduite, avec deux caméras légères, avec mes proches et pas des acteurs professionnels ultra identifiés. J’en suis convaincu.

Qu’est-ce qui vous a le plus plu ? 
Faire jouer les non-acteurs, c’était la chose la plus bouleversante et gratifiante. Le Père Barthélémy par exemple. Il est vraiment animé par une pensée. Au départ, il ne devait pas jouer dans le film, mais à mesure de nos rencontres et discussions, je me suis dit qu’il serait parfait pour jouer le prêtre que je vais voir pour me faire baptiser. Cet homme, je l’aime profondément, il est passionnant, on a eu une véritable connexion. Comme avec Sœur Catherine, avec qui je rigole bien dans le film et qui est une personnalité très attachante. J’ai également fait intervenir Delphine Horvilleur parce que je la trouve brillante et que je discute souvent avec elle. Elle a lu le script, elle a compris mon chemin, elle n’a pas tout de suite accepté de jouer dans le film, mais finalement, elle a dit oui, ça valait le coup, ça me touche beaucoup. Comme pour Pierre-Henri Salfaty, professeur de talmud mais aussi réalisateur et scénariste. Je le connais depuis longtemps. Ni Père Barthélemy, ni Delphine, ni Pierre-Henri, ni Sœur Catherine ne sont des dogmatiques. Ils accueillent les doutes, ils les comprennent. Quand mon père va voir Pierre-Henri Salfaty pour lui demander ce qui cloche chez moi, il lui répond avec beaucoup d’esprit que rien ne cloche puisque je cherche la présence du divin et qu’il n’y a pas de mal à ça ! Je n’ai voulu trahir la personnalité de personne, je n’ai pas voulu faire de ma mère, de ma sœur, des curés ou des rabbins des personnages. Je voulais qu’on soit hors des clichés, je voulais faire intervenir des gens qui sont eux-mêmes, alors que, moi, dans le film, je ne sais plus vraiment qui je suis.

C’est Ibrahim Maalouf qui signe la musique du film. Comment s’est passée votre collaboration ?
Ibrahim a composé presque en temps réel, je lui envoyais les rushs, on parlait du film ensemble. On se connaît bien avec Ibrahim, j’adore ce mec, j’adore son travail et sa musique. On parle souvent ensemble du Liban, de la culture libanaise, de l’histoire de ce pays, berceau de plusieurs religions et cultes. Bref, Ibrahim a été touché par ma démarche et par le film et il a accepté d’en faire la musique. C’est une musique très belle, douce et puissante. Elle accompagne le film, elle ne le surcharge pas, elle n’étouffe pas l’émotion. C’est ce qu’on recherchait. Rien qui ne soit lourd.

Comédie de Gad Elmaleh. 1 nomination au Festival du Film Francophone d'Angoulême 2022 (édition 15). 3,7 étoiles sur AlloCiné.

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