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Renoncer à une mise à pied conservatoire ne la transforme pas en mise à pied disciplinaire


Une procédure de licenciement, avec mise à pied conservatoire, est engagée contre un salarié. La société renonce ensuite à la mise à pied conservatoire en demandant au salarié de reprendre le travail parallèlement à la procédure de licenciement en cours. Le salarié estime qu’après avoir repris le travail, sa mise à pied conservatoire doit être requalifiée comme disciplinaire lui permettant ainsi de prétendre que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse. La Cour de cassation contredit la Cour d’appel : la mise à pied prononcée par l'employeur dans l'attente de sa décision dans la procédure de licenciement engagée, a un caractère conservatoire. Le fait d’y renoncer ensuite n'a pas pour effet de requalifier la mesure en mise à pied disciplinaire.

Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre sociale du 18 mai 2022. Pourvoi n° 20-18.717

[...]

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 juin 2020), [X] [D] a été engagé en 1984 par la société Instruments et Controls dont il est devenu directeur général en 2005. En 2011, il a en outre été nommé gérant de la société Insco services, filiale alors créée par la société Instruments et Controls en Algérie.

3. Le 18 avril 2016, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement. Par lettre du 24 mai 2016, il a été licencié pour faute grave.

Examen des moyens. Sur le second moyen du pourvoi principal et le pourvoi incident

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche. Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner à lui payer diverses sommes à titre de rappels de salaire sur mise à pied, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de contrepartie pécuniaire de la clause de non concurrence, alors « que l'article L. 1332-3 du code du travail prévoit la possibilité pour l'employeur de prononcer une mise à pied conservatoire à effet immédiat lorsque les agissements du salarié la rendent indispensable, dans l'attente de l'issue de la procédure ; que la mise à pied présente un caractère conservatoire et non disciplinaire dès lors qu'elle a été immédiatement suivie de l'ouverture d'une procédure de licenciement, dans l'attente du prononcé d'une sanction ; que, dans ces conditions, le fait que le salarié reprenne le travail postérieurement à la notification de la mise à pied conservatoire n'a pas pour effet de la requalifier en mise à pied disciplinaire ; qu'au cas présent, par courrier recommandé du 18 avril 2016, la société Instruments et controls a convoqué le salarié à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 3 mai 2016, en même temps qu'elle lui notifiait sa mise à pied conservatoire ; que le salarié a néanmoins repris le travail dès le 21 avril 2016 ; que, nonobstant la reprise du travail par le salarié, la mise à pied conservatoire ne présentait pas la nature d'une sanction et n'avait pas pour effet d'épuiser le pouvoir disciplinaire de l'employeur ; qu'en considérant néanmoins qu'« il en résulte que la mise à pied prononcée a été interrompue par une reprise du travail et que le licenciement a été prononcé pour des faits similaires à ceux ayant motivé la mise à pied de sorte que la mise à pied conservatoire doit être requalifiée en mise à pied disciplinaire», la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à retirer à la mesure son caractère conservatoire et à entraîner sa requalification en mise à pied disciplinaire, a violé les articles L. 1332-2 et L. 1332-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Vu les articles L. 1332-2 et L. 1332-3 du code du travail :

7. La mise à pied prononcée par l'employeur dans l'attente de sa décision dans la procédure de licenciement engagée dans le même temps a un caractère conservatoire. Le fait pour l'employeur de renoncer à la mise à pied conservatoire, en demandant au salarié de reprendre le travail n'a pas pour effet de requalifier la mesure en mise à pied disciplinaire.

8. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le salarié, après avoir été mis à pied, a continué à travailler pour son employeur, en se déplaçant en Algérie en vue de l'ouverture de plis d'appels d'offres, en adressant des courriels aux partenaires des sociétés afin de les informer de sa présence au bureau et en établissant une procuration, en sa qualité de directeur général de la société Instruments et Controls, afin de permettre à son correspondant de retirer un appel d'offres. Il en déduit qu'ayant été interrompue par la reprise du travail pour le compte de l'employeur, la mise à pied doit être requalifiée en mise à pied disciplinaire et que le licenciement ne peut donc pas être justifié par les faits ainsi déjà sanctionnés.

9. En statuant ainsi, par des motifs impropres à priver la mise à pied de son caractère conservatoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. La cassation prononcée ne s'étend pas au chef du dispositif de l'arrêt qui rejette la demande présentée au titre de la contrepartie pécuniaire de la clause de non concurrence, lequel est sans lien avec la requalification de la mise à pied ou l'appréciation de la cause du licenciement.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne l'employeur à payer au salarié les sommes de 4 300 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied et 430 euros à titre de congés payés afférents, 16 125 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 612,50 euros à titre de congés payés afférents, 55 815,10 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 80 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, l'arrêt rendu le 17 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [J] [D], M. [M] [D] et Mme [R], en leur qualité d'ayants droit de [X] [D], aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.

Photo : Ekaterina  Bolovtsova - Pixabay.

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