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Les repentis


L’histoire réelle de Maixabel Lasa, la veuve de Juan Maria Lauregui, un homme politique assassiné par l’organisation terroriste ETA en 2000. Onze ans plus tard, l’un des auteurs du crime qui purge sa peine en prison, demande à la rencontrer, après avoir rompu ses liens avec le groupe terroriste.

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Entretien avec la réalisatrice, Iciar Bollain

Dans les repentis, vous racontez une histoire qui s’est passée de 2000 à 2011. Pensiez-vous à ce film depuis longtemps ?
Iciar Bollain – C’est Isa Campo, ma coscénariste, qui m’a suggéré l’idée de raconter cette histoire. Je me souviens avoir lu des interviews dans le journal El País à propos de ces rencontres entre terroristes de l’ETA et victimes, c’était dans les années 2012-2013 et j’avais été marquée par ces entretiens : ils étaient tellement puissants, racontaient une histoire incroyable qui consistait pour les deux bords à s’asseoir ensemble et à parler… Mais à l’époque, je ne pensais pas du tout en faire un film. Et puis quand des producteurs m’ont approchée il y a quelques années, je me suis dit que c’était la bonne occasion de faire ce film. On a alors décidé de raconter l’histoire vraie de Maixabel Lasa qui était l’une des onze personnes qui avaient accepté de parler avec les ex-membres de l’ETA, car son histoire était encore plus remarquable. La plupart de ces onze personnes ont rencontré des ex de l’ETA qui n’étaient pas liés directement aux attaques dont elles furent victimes alors que Maixabel a été confrontée à l’homme qui avait assassiné son mari. L’issue de leur histoire était également extraordinaire et cela nous a vraiment donné l’envie de raconter cette histoire-là.

Maixabel est le personnage central du film, mais vous consacrez aussi une bonne partie du film aux ex-terroristes. Était-ce fondamental pour vous de raconter les deux côtés de l’histoire ? 
À l’évidence, on a d’abord approché Maixabel et sa fille, mais dans la conversation, ceux de l’autre côté nous sont également apparus forts. On a alors creusé et fait des recherches sur ces hommes qui avaient embrassé la lutte armée et on s’est aperçu qu’on en savait peu sur eux. Déjà, il y avait une dissidence au sein même de l’ETA. Il y avait environ 600 membres de l’ETA en prison et la plupart considéraient qu’ils ne faisaient plus partie de l’organisation mais ne voulaient pas que ce soit rendu public. Le gouvernement leur a offert la possibilité d’être emprisonnés dans une prison plus proche du Pays Basque à condition de dire publiquement qu’ils quittaient l’ETA, qu’ils regrettaient leurs actions criminelles et qu’ils renonçaient définitivement à la violence comme moyen politique. Sur les 600 membres emprisonnés, seulement une vingtaine ont accepté cet accord. Ça me semblait intéressant de connaître le cheminement de ces vingt hommes, d’où ils venaient, comment ils étaient passés (pour les Basques nationalistes) du statut de héros à celui de traître, comment réagissaient leurs familles… Ils avaient justifié leurs assassinats au nom de l’indépendance du Pays Basque, mais comment réagissaient-ils après avoir réalisé et reconnu que leurs actions violentes étaient horribles et injustifiables ?
Là, vous n’êtes plus un héros de la guerre d’indépendance, vous êtes un traître à la cause, doublé d’un assassin. Comment vivre ça ? Tout ce trajet existentiel des exETA était très puissant et j’ai réalisé que si je racontais aussi ce cheminement, les rencontres avec les victimes seraient d’autant plus fortes.

On ne peut ni remonter le temps, ni ressusciter les victimes tuées. Qu’attend Maixabel de ces rencontres avec les hommes qui ont assassiné son mari ? Et vous-même, que pensiez-vous en filmant ces rencontres ? 
Maixabel est une femme extraordinaire. En allant à ces rencontres, elle ne cherchait pas à pardonner mais à donner à ces hommes une seconde chance. Elle croit profondément aux deuxièmes chances et c’est ce qu’elle voulait offrir à ceux qui lui avaient causé les pires dommages, qui ont quasiment détruit sa vie. Elle nous a dit qu’en allant à ces rencontres, elle n’attendait aucun bénéfice personnel. Mais pour elle et toutes les victimes qui ont participé à cette opération, cela représentait un certain soulagement, l’idée d’avoir tenté quelque chose, d’obtenir des informations sur ce qui s’est exactement passé, de confronter les bourreaux aux souffrances qu’ils ont causées. Et aussi d’obtenir des réponses à leurs questions basiques : pourquoi, comment ?
J’ai commencé ce film en me disant qu’il traiterait des conséquences de la violence sur les victimes de l’ETA, mais au final, son sujet est l’inanité de la violence pour tout le monde, bourreaux inclus. Car les membres de l’ETA n’ont rien gagné politiquement, et ceux qui ont tué doivent ensuite porter un terrible fardeau toute leur vie. Dans ces rencontres, victimes et bourreaux se livrent à un immense exercice d’humanité.

Peut-on comparer Maixabel à une figure comme Nelson Mandela, au sens où elle aussi refuse la vengeance, tente de dialoguer avec ceux qui lui ont causé du mal et cherche une forme de paix sinon de réconciliation ?
Leurs histoires personnelles sont différentes, ne serait-ce que parce que Mandela a subi directement une oppression. Mais il est certain que ces deux personnes appartiennent à la catégorie de ceux qui aspirent à la paix, à la compréhension, au vivre-ensemble malgré les divergences. Maixabel voudrait qu’Espagnols et nationalistes basques coexistent sans violence, elle pense à l’après. La question est aussi, comment raconter l’histoire ? Qui la raconte ?
Doit-on entendre ceux qui justifient la violence, qui pensent qu’elle était nécessaire, ou ceux qui disent une bonne fois pour toutes que c’était une impasse, une erreur ?
Les gens comme Mandela ou Maixabel sont des bâtisseurs de la société, des personnes constructives. Ayant tellement souffert, elles sont prêtes à écouter plutôt qu’à penser en termes de revanche. Je les admire parce qu’à titre personnel, je ne sais pas si je serais capable de faire comme eux. Il faut avoir vécu ce genre de drame pour savoir si on saurait résister à l’esprit de vengeance.

Maixabel est l’héroïne du film, mais Ibon Etxezarreta est un personnage presqu’aussi important et peut-être encore plus fascinant car il suit un parcours moral plus difficile. 
Quand on creuse le personnage d’Ibon Etxezarreta, ou celui de Luis, son compère de l’ETA qu’il retrouve en prison, cela leur a pris des années pour changer de point de vue, prendre pleine conscience de leurs actes et adopter une position autocritique. Leur trajectoire est un voyage extraordinaire qui méritait d’être raconté. Maixabel est très forte et digne du début à la fin du film. Mais il est bon qu’un personnage et une histoire soient traversés par du conflit. Et le personnage lui-même coupé en deux par un conflit intérieur, c’est Ibon. D’abord, il refuse de changer de prison et d’accepter le deal du gouvernement. Finalement, il accepte, ce qui est déjà un immense pas pour lui. Puis il fait face à Maixabel dont il a tué le mari : encore un pas immense. En donnant de l’espace à Ibon, on raconte mieux cette histoire, et le message anti-violence est plus fort. Ibon réalise les souffrances qu’il a causées, et il souffre lui-même.

Dans le rôle de Maixabel, Blanca Portillo est magnifique. Pensiez-vous à elle dès l’écriture ? 
Elle est fantastique, c’est à la fois une merveilleuse actrice et femme. Elle a su incarner une telle histoire avec le maximum de vérité, de sincérité. Je dirais d’ailleurs la même chose de Luis Tosar qui joue Ibon C’était la cinquième fois que je travaillais avec lui. Et Urko (Olazabal), qui joue Luis, a été une découverte formidable. Il a 40 ans mais a peu joué car il a interrompu sa carrière pour enseigner. Ce n’est pas un acteur connu mais il est très émouvant dans le film.

Vous avez travaillé avec le chef opérateur Javier Agirre. Quelles étaient vos options principales ?
Notre collaboration a été riche. Habituellement je connais à l’avance mes mises en place, je fais moi-même mes storyboards. Avec Javier, on a effectué ce travail ensemble, à quatre mains : c’était formidable parce que Javier a amené un autre regard, une autre sensibilité. On avait une référence plastique commune qui était Dark waters, le film de Todd Haynes, avec sa colorimétrie de bleu, de gris et de brun. On s’est inspiré de ce film pour la sobriété chromatique.

Comment le film a-t-il été reçu en Espagne et au Pays Basque ? 
Formidablement. Pour vous dire la vérité, on pensait que nous serions plus largement et violemment critiqués, on s’attendait à être matraqués par certains secteurs de notre société. Or, pas du tout. Le film a été bien accueilli dans toutes les zones du spectre politique, de la droite radicale à la gauche radicale. C’était unanime. On craignait que certains nous reprochent d’avoir donné une image trop positive de l’ETA, mais le film montre bien que les années de violence ont été une impasse. Les critiques de certaines victimes portaient plus sur l’action de Maixabel : ces gens-là n’ont jamais cru à la repentance, ni à l’utilité de ces rencontres victimes-terroristes, le film ne leur a pas fait changer d’avis. Mais la grande majorité des médias et du public ont soutenu le film, y compris la gauche radicale basque. Malgré les restrictions dues au covid, le film a fait 500 000 entrées en Espagne, c’est énorme. Au Pays Basque, le film a été cathartique : les gens étaient en larmes dans les salles, tout le monde chantait en chœur la chanson de la fin, c’était très puissant émotionnellement. C’est une vieille chanson populaire basque que tout le monde connaît. Elle parle d’un hommage à un ami disparu.

Drame, biopic de Iciar Bollain. 3,6 étoiles sur AlloCiné.

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