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Notre-Dame brûle


Le long métrage de Jean-Jacques Annaud, reconstitue heure par heure l’invraisemblable réalité des évènements du 15 avril 2019 lorsque la cathédrale subissait le plus important sinistre de son histoire. Et comment des femmes et des hommes vont mettre leurs vies en péril dans un sauvetage rocambolesque et héroïque.

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Entretien avec le réalisateur, Jean-Jacques Annaud

L’aventure incroyable de ce film démarre le 15  avril  2019, le jour de l’incendie de Notre-Dame de Paris
J’étais en Vendée pour quelques jours, dans une maison où la télévision était en panne. En branchant la radio pour écouter le discours du Président Macron, j’ai découvert le drame qui se nouait à Notre-Dame. Je n’ai pas vu la tragédie ce soir-là  : je l’ai imaginée. Je connais très bien la Cathédrale. Enfant, j’ai étrenné mon premier appareil photo, un « Brownie Kodak » en fixant sur la pellicule la Stryge de la Galerie des Chimères. 

Comment vous est venue l’idée d’en faire un film ?
Fin décembre 2019, Jérôme Seydoux, président de Pathé, m’appelle. Il est mon partenaire privilégié de longue date. Il me fait une proposition qui me surprend. Il a l’idée d’un film de montage d’archives à grand spectacle pour écrans larges et son immersif sur l’incendie de Notre-Dame. Mon premier réflexe est de craindre qu’il n’existe pas suffisamment d’images variées pour construire un film de 90 minutes, mais j’écoute. Je repars avec une pochette de documentation, des articles en français et en anglais. Avant d’aller me coucher, j’y jette un œil. Je dévore le tout jusqu’au milieu de la nuit. Il était trop tard ou trop tôt pour appeler, mais ma décision était prise. 

Qu’est-ce qui vous convainc dans ces premiers documents ?
Ce que j’y ai découvert était inimaginable. Une fascinante cascade de contretemps, d’obstacles, de dysfonctionnements. Du pur invraisemblable mais vrai. Avec par-dessus le marché tous les composants d’un scénario de fiction : dans le rôle-titre, une star internationale, Notre-Dame de Paris. Son adversaire  : un démon redoutable et charismatique, le feu. Entre les deux, des jeunes gens humbles prêts à donner leur vie pour sauver des pierres. Du «  cinoche  » comme tout scénariste peut en rêver, un opéra visuel avec suspens, drame, générosité, cocasserie. Tout m’apparaît fou, grandiose, burlesque, humain… Je dois maintenant vérifier, me concentrer sur l’exactitude de ces faits rocambolesques. Je comprends d’emblée qu’il me faudra réunir toutes les informations, tous les témoignages, toutes les hypothèses auprès de celles et ceux qui ont vécu ces heures stupéfiantes.

De quelle manière alors avez-vous procédé ?
Dans un premier temps, j’ai décidé de me limiter aux faits en me lançant dans une chronologie des événements. J’avais un mal fou à obtenir les heures exactes du déroulé  : en recoupant les différents témoignages dont je disposais à ce stade, il m’apparaissait que chacun donnait sa version de la première apparition de la fumée, des flammes, de l’arrivée des secours… J’ai vite compris que dans l’intensité de la catastrophe, personne n’a le temps de regarder sa montre. J’ai fait lire à Thomas Bidegain, le scénariste attitré de Jacques Audiard, une première version embryonnaire du scénario. « Mais qu’est-ce que je peux apporter de plus moi là-dedans  ?  » me demande-t-il après lecture. Je lui explique que j’ai besoin de l’œil critique d’un juge sévère et des apports bénéfiques d’un auteur de talent.

En passant en revue les divers événements qui ont ponctué ce 15  avril  2019, que découvrez-vous d’étonnant ?
L’incendie a été détecté au début de la Messe du Lundi Saint, à 18h17, et n’a été porté à la connaissance des pompiers qu’une demi-heure plus tard par un ami du Général en vacances à Florence. Dès le matin se met en place une dramaturgie implacable, où tout semble réuni pour conduire à une catastrophe inévitable  : c’est le premier jour de travail à Notre-Dame du nouveau surveillant de la sécurité incendie, chargé de veiller sur un tableau électronique où les alertes se mettent en route en cas de sinistre. Il n’a jamais visité la Cathédrale, il est étranger aux termes techniques de l’Architecture gothique. Quand l’alarme se déclenche et que s’affiche un code indéchiffrable, il appelle son supérieur. Le responsable n’est pas joignable et ne retourne l’appel qu’un quart d’heure plus tard. Le «  gardien de levée de doute  » chargé de vérifier la réalité d’un départ de feu comprend à travers les grésillements de son talkie-walkie qu’il doit se rendre dans les combles de la sacristie, alors que le feu s’est déclaré dans les combles de la nef. Ce n’est que le début d’un stupéfiant non-alignement des planètes…

Reste une question épineuse : quelle est la cause exacte de l’incendie ? Et là, près de 3  ans après, on ne sait toujours pas officiellement… 
Les services de Justice poursuivent leur enquête. Le film n’a jamais été envisagé comme une enquête destinée à se substituer aux procureurs. Les preuves manquent. Les différentes pistes probables sont évoquées. Notre-Dame brûle traite de ce que nous connaissons dans le détail  : l’épopée du sauvetage. Nous racontons comment la Cathédrale a été sauvée, pas comment ou pourquoi elle a failli être détruite. 

Le film est une fresque spectaculaire dans laquelle Notre-Dame de Paris joue le rôle principal. Vous avez pu tourner quelques scènes à l’intérieur mais il vous a surtout fallu reconstruire à l’identique une partie de la cathédrale en studio… 
Le bâtiment restait inaccessible par l’omniprésence du plomb et des risques d’effondrement… Mais de toute façon, il fallait noyer l’édifice dans la fumée, recouvrir le sol de cendres et de poussière, y faire chuter des tonnes de poutres enflammées, inonder le dallage. Nous avons reconstruit à l’identique. Nous avons enflammé nos décors avec des centaines de tuyères. Nous avons reconstruit en studio à l’échelle 1, une grande partie de la nef, les escaliers en colimaçon, les coursives extérieures et la charpente du transept Nord, et l’intérieur du colossal beffroi des cloches de la scène finale. Bref tous ces lieux emblématiques de Notre-Dame qui ont été au cœur de la catastrophe et qu’il fallait absolument montrer avant et pendant l’incendie.

Faut-il soi-même être croyant pour s’attaquer à un tel sujet ?
Il faut croire au cinéma. Je viens d’une famille complètement athée, totalement laïque et républicaine. Le sens de l’au-delà était chez nous une notion abstraite mais j’ai en mémoire que vers l’âge de 10-12 ans, j’ai ressenti une sorte de manque… J’ai compensé en développant un grand attrait pour l’architecture médiévale. Je consacrais les « petits sous » de mon argent de poche à acheter des disques de musique sacrée, les cantiques grégoriens, les psalmodies tibétaines, les mélopées du Sahel, les oratorios de Bach, les toccatas de Frescobaldi. L’été, à ma demande, plutôt que d’aller à la plage nous partions faire la tournée des calvaires bretons ou des basiliques romanes d’Auvergne… Je suis incapable de réciter la moindre prière mais j’éprouve le plus grand respect pour le recueillement et la foi des autres… D’où mon heureuse harmonie avec les moines bouddhistes de 7 ans au Tibet, avec les bédouins du désert d’or noir ou les bénédictins de stricte obédience du nom de la rose… À l’intérieur d’un temple, d’une mosquée ou d’une église, j’aime ressentir le mystère de la foi que je n’ai pas, la sérénité du recueillement de la prière. Les religieux que j’ai rencontrés à l’occasion de Notre-Dame brûle, ne sont pas étonnés que ce soit moi qui aie fait ce film-là… Et parmi ce que nous sacralisons encore, on trouve les pompiers. Intéressant de voir que les deux se conjuguent sur ce projet…

Drame de Jean-Jacques Annaud. 3,5 étoiles sur AlloCiné.

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