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A plein temps


Julie se démène seule pour élever ses deux enfants à la campagne et garder son travail dans un palace parisien. Quand elle obtient enfin un entretien pour un poste correspondant à ses aspirations, une grève générale éclate, paralysant les transports. C’est tout le fragile équilibre de Julie qui vacille. Elle va alors se lancer dans une course effrénée, au risque de sombrer.

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Entretien avec le réalisateur, Eric Gravel

À plein temps commence par un son, le bruit du souffle endormi de Julie, votre personnage principal...
Il s’agissait de révéler le personnage graduellement, de l’intérieur, de façon macroscopique et sensorielle, avec ce souffle profond et enveloppant qui annonce qu’on sera collé à elle tout au long du film. Être au plus près de sa respiration et du grain de sa peau. Et puis, c’est le calme avant la tempête. À plein temps est un élan et cette première scène, précède le mouvement. On est dans ce seul moment où Julie est au repos, dans ce moment unique et trop bref où elle peut recharger les batteries. Après, il n'y aura plus jamais de répit. À travers le prisme de cette femme, seule avec ses enfants, j’interroge nos rythmes de vies et nos combats quotidiens. Tout comme Julie, j’habite la campagne. J’ai voulu parler de mes voisins et de ces gens que je croise dans le train au quotidien et qui font le pari d’habiter loin de la capitale pour une meilleure qualité de vie. C’est un équilibre difficile à trouver et tous n’y parviennent pas.

Avez-vous écrit À plein temps pour Laure Calamy ?
Au moment où j'écrivais mon scénario, je n'avais pas d'actrice en tête. Lorsque j'ai commencé à réfléchir à des noms de comédiennes, celui de Laure s’est imposé. C’est une actrice hors norme, elle a un registre immense du drame en passant par la comédie, elle excelle. Le côté pétillant qu’insuffle Laure à ses rôles, permettait d’équilibrer le personnage de Julie qui, tout en traversant une période difficile, laisse apparaître de la lumière à son personnage. En fait, on ne connaît pas grand chose de cette femme, juste qu’elle vit au présent avec sans cesse en tête l'idée d'assurer le lendemain. Et puis, Laure est une actrice et une femme pleine de vie, par conséquent, c'était pour moi intéressant de la mettre dans la peau de cette femme qui traverse un moment très chaotique de sa vie, que les Américains résument par l'expression "the perfect storm", quand vous accumulez en un seul moment tous les problèmes possibles et imaginables et qu’il va bien vous falloir résoudre.

À plein temps joue aussi sur la temporalité du jour et surtout de la nuit. 
Mon histoire devait se dérouler à l’automne ou au début de l’hiver, dans ce moment où la routine du travail s’installe, que les vacances sont loin et que les nuits rallongent. Habiter loin de son lieu de travail, c’est partir tôt et rentrer tard chez soi. Installer les départs et les retours de Julie chez elle dans la nuit, permettait de ressentir ces journées à rallonge, de comprendre les problèmes de logistique que la garde des enfants engendre et d’appréhender l’envers de la médaille de la vie à la campagne. Cette temporalité me permettait également d’installer les levers et les couchers du soleil dans les transports, de structurer aisément les journées qui se succèdent de plus en plus rapidement, sans perdre le fil de l’histoire.

La musique tient une part importante dans votre film, elle lui donne une tension particulière... 
À plein temps est un film sensoriel. En créant une trame musicale au service du quotidien stressant de Julie, on se rapproche du film de genre. Je savais dès l’écriture que je voulais une musique électronique, répétitive qui s’accorde avec le beat du personnage et son rythme de vie, ses répétitions. C’est sa musique intérieure, une succession de vagues qui  nous transporte dans son expérience. J’avais très envie de collaborer avec un artiste de la scène électro qui apporte sa propre signature et la musique d’Irène Drésel porte intrinsèquement cette tonalité en elle. Au départ, j’ai monté le film sans musique, en étant uniquement porté par le rythme du personnage. Irène s’est donc retrouvée avec un espace de travail vierge, sans une tonalité imposée, ce qui lui a laissé la liberté d’installer sa signature, de façon très organique, un peu comme pour un concert. Et ainsi a émergé une véritable collaboration créant cette sensation de continuité musicale tout au long du film.

Et dans la mise en scène, vous êtes toujours au plus près de votre personnage principal... 
Je souhaitais une caméra vivante, qui puisse détecter ses moindres gestes, ses courses, ses feintes et restituer son état d’esprit. Je voulais l’accompagner un peu comme dans un film d’action, être au plus près d’elle, avec une grande liberté de mouvement, du plus fluide au plus saccadé, en travelling ou en zoom. J’ai souvent restreint le champ de vision sur elle. Cela permettait que tout ce qui est autour d'elle, devienne une matière sensorielle hors champ. J’ai beaucoup utilisé de très longues focales, surtout dans ses déambulations en ville. C’était une façon simple de densifier la ville et de créer un Paris anxiogène. Julie vit la ville de cette façon, elle a l'impression d'être immédiatement accueillie par sa violence à chaque fois qu'elle descend de son train. Cela explique aussi pourquoi elle souhaite une autre vie pour ses enfants. Elle veut maintenir, quoi qu'il en coûte, son lieu de vie sur un territoire plus apaisé, au rythme plus humain. Je voulais que le spectateur comprenne cela sans la juger.

Paris est filmée de façon très inhabituelle, coupante, métallique, pourtant c'est une ville essentiellement minérale.
En réalité, le lieu urbain que je filme n'est pas vraiment Paris, cela aurait pu être n'importe quelle grande ville. Je me suis inspiré de la façon dont on filmait New York dans certains films des années 70. Paris est dans les gris orangers, et mon parti pris a été de le rendre plus froid, plus brut. Cela correspond bien à l'état d'esprit de Julie qui se trouve en terrain hostile dès qu'elle foule ce territoire. J'ai également exploité ce parti pris dans les séquences qui se déroulent au palace. Au départ, ces scènes devaient être de couleurs plus variées, différant selon les chambres, mais les teintes froides ont fini par s’imposer ici aussi. C’était une façon de faire basculer ce lieu, à priori très chaleureux, du point de vue de ceux qui y travaillent.

À plein temps, c'est aussi filmer un personnage tout le temps en mouvement... 
C’est une guerrière. Pour elle, tous les moyens sont bons, y compris s'arranger parfois avec la vérité. Julie est une héroïne du quotidien que je voulais montrer sous toutes ses facettes. On la voit avec ses enfants, avec ses collègues, avec ses amies, en entretien. À chaque fois, elle n’est pas tout à fait la même femme, et c’est l’ensemble de ces femmes,  qui nous dit qui elle est. Elle a ses torts, elle est par moments sa propre ennemie, sa ténacité équivaut parfois à de l'acharnement. Elle est à la fois forte et faillible. Et Laure est une actrice très physique. On sent dans son travail l’expérience de la scène de théâtre, elle sait s’emparer de l’espace. Avec elle, je travaillais sans cesse les rythmes de ses déplacements, mais pas seulement. Le rythme du film allait bien au-delà. Le film comporte beaucoup de scènes, le montage est très elliptique et l’énergie et la psychologie du personnage devait être raccord entre les séquences. Julie, de par ses galères, doit constamment se projeter dans le futur, c'est une joueuse d'échecs, elle a souvent plusieurs coups d'avance.

Drame d'Eric Gravel. 2 prix et 2 nominations au Mostra de Venise 2021 (édition 78). 4 étoiles sur AlloCiné.

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