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Goliath


France, professeure de sport le jour, ouvrière la nuit, milite activement contre l’usage des pesticides. Patrick, obscur et solitaire avocat parisien, est spécialiste en droit environnemental. Mathias, lobbyiste brillant et homme pressé, défend les intérêts d’un géant de l’agrochimie. Suite à l’acte radical d’une anonyme, ces trois destins, qui n’auraient jamais dû se croiser, vont se bousculer, s’entrechoquer et s’embraser.

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Entretien avec le réalisateur, Frédéric Tellier

Depuis quand aviez-vous GOLIATH en tête et comment l’idée du film est-elle née ? 
Sans que ce soit un cap que je me fixe, mes films jusqu’ici, partent ou traitent d’une histoire vraie. Ils passent donc par une longue phase d’immersion et d’enquête avant de voir si un sujet qui m’intéresse, m’intrigue ou me dérange, va pouvoir concrètement donner naissance à un film. Goliath  n’a pas échappé à cette règle. J’étais en train d’écrire L’affaire sk1 quand j’ai découvert cette question des pesticides en tombant fortuitement sur un petit livre de constat qui ne parlait pas exclusivement des pesticides mais plus largement de l’alerte sur le milieu agricole et sur ce qu’on mange.

Comment se met en route votre travail à partir de là ? 
Cette lecture a d’abord commencé par bouleverser ma vie de citoyen et de consommateur. Je me disais que ce constat sur l’état de notre agriculture, de notre civilisation, sur notre manière de consommer, notre capacité à ne pas voir le chaos autour de nous, correspondait en fait à notre histoire individuelle autant que collective. Je parle assez vite de ce choc personnel à mon ami et producteur Julien Madon. Et c’est lui qui me suggère d’en faire un film. Je me lance alors dans une enquête qui va durer plus ou moins 5 ans car le milieu est très opaque. Peu de livres parlent du milieu des lobbies, et très peu de lobbyistes de l’agrochimie, d’hommes politiques soi-disant engagés ou de journalistes spécialisés acceptent de raconter, de témoigner. Je pensais d’ailleurs au départ enchaîner L’affaire sk1 et Goliath mais Sauver ou périr est allé plus vite, ou plutôt Goliath du fait de cette enquête compliquée a demandé plus de temps… Ce travail d’enquête a en tout cas donné lieu à une première version de récit de 70 pages avec une dizaine de personnages, et avec l’idée qu’il s’agirait d’un film mosaïque où tout s’imbriquerait pour observer comment la force du mal s’immisce chez les hommes en général, comment on arrive paradoxalement à produire une agriculture si performante, alors qu’on jette tant d’excédents de cette production à chaque fin de mois, et que dans un silence très dérangeant un agriculteur se suicide tous les deux jours, de désespoir, d’épuisement, de dettes. Simon Moutaïrou (co-scénariste) est arrivé à ce moment-là, pour qu’on entre plus précisément ensemble dans la dramaturgie de Goliath.

Pourquoi avoir choisi de faire appel à lui ?
Simon m’avait été présenté par Julien Madon avec qui il travaillait sur plusieurs films, au moment de L’affaire sk1. On n’avait finalement pas travaillé ensemble mais j’avais aimé son énergie, sa simplicité, son honnêteté, son érudition et sa culture. Et quand on se retrouve pour Goliath, je vois tout de suite qu’il connaît le sujet car sa mère est très engagée sur cette question. Il possède cette âme humaniste indispensable pour moi à l’écriture de ce film, par-delà ses compétences et son talent de scénariste.

Comment se fait le travail d’écriture à deux ?
Ma méthode de travail à l’écriture consiste à faire quelque chose qui pourrait vraiment ressembler à des séquences de psychanalyse appliquées aux personnages et au récit lui-même. Pour comprendre au nom de quoi chacun agit. Et pourquoi telle ou telle situation arrive. Pendant plusieurs mois, avec Simon donc, on n’écrit pas, on se parle et on prend juste des notes. On torture systématiquement nos idées. Je ne remercierai jamais assez mon producteur de comprendre et d’accepter ce temps-là au terme duquel Simon s’est lancé dans une première attaque de mes 70 pages initiales. Simon a alors proposé de fondre mes 10 personnages en trois principaux, et 4 secondaires (Zef, la jeune agricultrice, l’insider, la journaliste AFP). Nous avons ensemble travaillé presque deux ans pour parvenir au scénario tel que je l’ai finalement tourné.

Comment s’est imposé ce trio central de personnages ? 
Je crois que mes films racontent toujours le même face-à-face des hommes civilisés et des hommes non-civilisés. Dans Goliath, la figure d’un lobbyiste - soit quelqu’un de pire, de plus pitoyable à mes yeux que l’entrepreneur qui l’emploie - s’est tout de suite imposée, tout comme un autre personnage qui allait se situer à son opposé et pâtir de cette situation : une femme qui se serait retirée de la ville en espérant avoir une belle vie mais qui se retrouve à se battre contre ceux qui ont provoqué le cancer de son homme. Et au milieu de ces deux-là, un troisième personnage : celui qui représente la loi et mène son enquête. Ça aurait pu être un journaliste mais cette figure a été beaucoup vue au cinéma, ça aurait aussi pu être un homme politique, mais on a finalement opté pour un avocat. Quelqu’un de droit. Et à ce trio, j’avais choisi d’adjoindre deux jeunes agricultrices. Elles m’ont été inspirées par une amie qui a repris l’exploitation de ses parents avec sa sœur. J’y ai rajouté l’amour. J’ai choisi d’en faire un couple pour le projet de vie qu’elles bâtiraient ensemble, et aussi cette idée que l’industrie pour s’en défendre allait à un moment avoir la dégueulasserie et la petitesse de réfléchir à utiliser l’argument de la bonne morale contre elles, avant de comprendre que sur ce sujet-là l’évolution de la société fait heureusement que l’industrie n’aurait que des coups à prendre.

Quel type de musique avez-vous eu très tôt en tête pour l’accompagner ?
Une musique très écorchée qui soit un personnage à part entière. Après avoir co-composé les BO de mes deux premiers films, j’ai choisi ici de faire appel à Bertrand Blessing. De prendre le risque – et là encore mon producteur m’a suivi ! – d’un compositeur qui n’est pas un spécialiste de la musique de film. Même si c’est devant un film que j’ai eu cette idée car Bertrand a composé la bo d'en guerre de Stéphane Brizé. J’avais adoré sa musique donc, en rentrant chez moi, je suis allé regarder sur Internet son travail. Et j’ai été conquis par sa démarche, sa folie, son univers. Dès notre premier contact, je l’ai senti très sensible au sujet et à ma démarche. Bertrand a commencé à travailler très en amont, bien avant le tournage, en s’appuyant sur le scénario et une petite playlist que je lui avais fournie tout en l’encourageant à faire quelque chose qu’il ressentait lui. Puis, pendant le tournage, je l’appelais souvent et je lui envoyais des bouts de rushes. Il a composé une soixantaine de morceaux en tout. On en a gardé 20. Bertrand a ce côté rock romantique que je recherchais.

Thriller de Frédéric Tellier. 3,6 étoiles sur AlloCiné.

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