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La rémunération fixée au contrat de travail peut être différente de celle envisagée dans une lettre d’intention


Une société rachète une entreprise et embauche son dirigeant en CDI après avoir signé une lettre d’intention stipulant l’octroi de primes annuelles finalement non reprises dans le contrat de travail. Après avoir quitté l’entreprise le salarié réclame les primes prévues dans la lettre d’intention. La Cour d’appel lui donne raison mais pas la Cour de cassation.

Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre sociale du 13 avril 2022. Pourvoi n° : 20-20.201

[…]

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 22 juin 2020), l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée [Z] (l'Eurl), gérée par M. [Z], ayant été approchée par la société Serba, désireuse de lui racheter son fonds de bureau d'étude technique et d'ingénierie, une lettre d'intention a été signée entre la société Serba et M. [Z], le 3 juin 2015.

3. Le 9 octobre 2015 l'acte de cession du fonds libéral a été conclu entre l'Eurl et la société AP6 se substituant à la société Serba. Le même jour, M. [Z] a été engagé en qualité de responsable ingénieur commercial par la société AP6 suivant contrat de travail à durée indéterminée à effet du 2 novembre 2015. Le 28 juillet 2017, le salarié a démissionné.

4. Le 11 janvier 2018, il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement d'un complément de primes annuelles.

5. Le 28 septembre 2020 une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'égard de la société AP6, Mme [X] étant désignée en qualité de liquidatrice.

Examen des moyens 

[…]

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches. Enoncé du moyen

7. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la lettre d'intention du 3 juin 2015 lui est opposable et de le condamner à payer au salarié une certaine somme à titre de solde de primes annuelles 2016 et 2017 et à lui remettre un bulletin de paie rectifié, alors :

« 3°/ que les stipulations du contrat de travail priment sur tout document précontractuel ; qu'en l'espèce, il est constant que si la lettre d'intention du 3 juin 2015 signée par la société Serba et M. [Z] envisageait le versement à celui-ci, en plus d'une rémunération mensuelle de 6 000 euros, de primes annuelles calculées sur le chiffre d'affaires réalisé, le contrat de travail conclu en définitive entre la société AP6 et M. [Z] prévoyait le versement d'un salaire mensuel de 6 000 euros, de primes de vacances et de primes d'assiduité, mais pas le versement de primes annuelles fonction du chiffre d'affaires ; qu'en retenant néanmoins que la société AP6 était tenue de verser des primes annuelles conformément aux termes de la lettre d'intention du 3 juin 2015, peu important que l'engagement de verser des primes sur le chiffre d'affaires n'ait pas été repris dans le contrat de travail qu'elle a conclu avec M. [Z], la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil (devenu 1103) dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ que l'employeur ayant toujours la faculté de verser au salarié des gratifications bénévoles en plus des éléments de salaire obligatoires, le paiement d'une prime ne peut valoir reconnaissance, par l'employeur, du caractère obligatoire du paiement de cette prime ; qu'en affirmant encore que "la société AP6 a effectivement reconnu devoir une prime annuelle à M. [Z] ainsi qu'il ressort du solde de tout compte adressé à ce dernier", cependant que le seul versement d'une prime n'implique aucune reconnaissance par l'employeur du caractère obligatoire du versement de cette prime, la cour d'appel s'est fondée sur des motifs tout aussi inopérants qu'erronés, en violation de l'article 1134 du code civil (devenu 1103) dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

8. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

9. Pour condamner la société AP6 à payer au salarié une certaine somme pour solde des primes annuelles 2016 et 2017 et à lui remettre un bulletin de paie rectifié, l'arrêt retient que, conformément à la faculté de substitution prévue par la lettre d'intention du 3 juin 2015, la société AP6 a été constituée le 1er juillet 2015 pour se porter acquéreur du fonds libéral de l'Eurl aux lieu et place de la société Serba, que le contrôle de la société AP6 par la société Serba ne fait aucun doute et que c'est en exécution de cette lettre d'intention que, non seulement, l'acte définitif de cession du fonds libéral a été établi, mais également, que M. [Z] a été embauché dans le cadre d'un accompagnement de vingt-quatre mois contre une rémunération brute mensuelle de 6 000 euros. Il en déduit que la société AP6 a accepté de se substituer à la société Serba dans l'exécution de la lettre d'intention du 3 juin 2015.

10. Après avoir relevé que la clause de la lettre d'intention relative à l'engagement particulier de l'acquéreur de rémunérer l'activité de M. [Z] au sein de la société prévoit le versement d'une prime annuelle fonction du chiffre d'affaires, il retient encore que la société AP6 a effectivement reconnu devoir une prime annuelle à M. [Z] ainsi qu'il ressort du solde de tout compte adressé à ce dernier, que, toutefois, le montant proposé est erroné puisque calculé sur la portion du chiffre d'affaires excédant la somme de 300 000 euros, alors que la clause susvisée stipule une prime calculée sur le montant total du chiffre d'affaires à partir du moment où le montant de celui-ci excède la somme de 300 000 euros.

11. Il conclut que le salarié est fondé à réclamer la condamnation de la société AP6 à lui payer un complément de salaire au titre de ses primes annuelles.

12. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'elle avait constaté que les parties avaient signé un contrat de travail, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si ce contrat de travail reprenait l'engagement contenu dans la lettre d'intention du 3 juin 2015 de payer une prime annuelle fonction du chiffre d'affaires ni caractérisé l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur de payer ladite prime, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que la lettre d'intention du 3 juin 2015 est opposable à la société AP6 et déboute celle-ci de ses demandes reconventionnelles, l'arrêt rendu le 22 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre autrement composée ;

Condamne M. [Z] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-deux.

Photo : Sora Shimazaki - Pexels.

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