Haoui.com

Utama : la terre oubliée


Dans l’immensité des hauts plateaux boliviens, Virginio et Sisa veillent sur leur troupeau de lamas. Jusqu’ici, rien n’a pu les détourner de cette vie âpre, héritée des traditions : ni leur âge avancé, ni le départ des habitants de la région, chassés par la sécheresse. Aussi accueillent-ils avec méfiance la visite de Clever, leur petit-fils de 19 ans, venu les convaincre de s’installer en ville avec le reste de la famille. Réticent à l’idée de quitter sa terre, Virginio se montre inflexible. à tel point que le jour où il tombe gravement malade, il décide de le cacher à Sisa et Clever...

Repertoire Image

Entretien avec le réalisateur, Alejandro Loyza Grisi.

Comment avez-vous eu l’idée du film ? Quels étaient les thèmes majeurs que vous souhaitiez aborder ? 
À l’origine, lorsque le projet tenait encore en une seule phrase, je voulais raconter l’histoire d’un amour sincère se  déroulant au cœur de l’Altiplano bolivien. J’ai mis ce projet de côté parce que j’ai eu la chance de sillonner la Bolivie pour tourner des documentaires, dont la plupart abordaient des sujets liés à l’environnement et à la société. Je crois que voyager à travers le pays et découvrir en profondeur les différentes réalités d’un territoire aussi contrasté que la Bolivie permet de comprendre le pays et ses traditions à travers un prisme totalement inédit. Ces voyages se sont révélés de formidables sources d’inspiration et m’ont donné furieusement envie de raconter des histoires. Puis, l’histoire d’amour que je souhaitais porter à l’écran s’est nourrie d’un contexte social et environnemental beaucoup plus large qui me permettait d’aborder des questions liées à mon pays et à l’impact du changement climatique qui me préoccupent. Ces questions semblent très loin de nous, alors qu’elles sont terriblement proches et que nous y sommes confrontés dans de nombreuses régions du monde : l’abandon de la langue et de la culture, la migration forcée des populations rurales, les conflits intergénérationnels entre préservation des traditions et volonté d’assimilation   Raconter une histoire qui épouse le point de vue de ces gens, qui sont très proches de nous, mais qui vivent encore à la campagne et souffrent terriblement en constatant que leur mode de vie est en train de disparaître, est vital pour comprendre le lourd tribut que le changement climatique inflige à l’espèce humaine. Un tel projet nous permet de prendre en considération les dégâts collatéraux liés à notre mode de vie actuel et d’envisager différemment notre statut d’habitants de La Paz(et de citadins, en général, qui vivons dans des conditions comparables).

Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer de la photographie à la réalisation de votre premier long métrage ?
Tout s’est passé de manière très naturelle. Je crois que mon désir de passer à la fiction m’a contraint à changer de forme d’expression et à me frotter à de nouveaux formats. Avec l’image animée, on capte des émotions et des instants de vie d’une manière différente. Mes photos ont toujours été d’inspiration documentaire et, quand j’ai commencé à travailler comme chef-opérateur, je me suis orienté dans cette voie, et puis j’ai découvert les possibilités qu’offrent l’éclairage artificiel et la mise en scène dans un environnement contrôlé. Mais c’est surtout la dramaturgie qui m’a passionné. Enfin, après avoir observé plusieurs réalisateurs en tournage(essentiellement mon père et des amis), j’ai compris que je préférais avoir davantage de responsabilités et de décisions à prendre sur un plateau. Et je me suis donc consacré à la réalisation. Même s’il m’a fallu parcourir un long périple avant de devenir metteur en scène, il a eu ses avantages. Je crois que mon expérience de photographe et ma pratique de nombreux dispositifs optiques m’a permis de mieux comprendre le cadre et la composition au cinéma, tandis que mon expérience de chef-opérateur et de premier assistant m’ont permis de bien cerner les étapes du tournage et les tensions auxquelles un réalisateur est confronté.

Parlez-nous de votre collaboration avec la directrice de la photo Barbara Alvarez.
On a eu beaucoup de chance que l’une des meilleures chefs-opératrices d’Amérique latine accepte de participer au projet. Barbara est une immense professionnelle et c’était extraordinaire de travailler à ses côtés. On s’est tout de suite bien entendus et, surtout, on avait la même vision du film. Elle aune très belle sensibilité et nous avons la même conception d’un tournage. J’avais entièrement story-boardé le film et, pendant la prépa, alors qu’elle était déjà sur les lieux de tournage, on a détaillé ensemble le story-board, en passant en revue chaque plan.C’est à ce moment-là qu’on a ajouté certains plans et supprimé d’autres. Du coup, quand on a démarré le tournage, on avait tout planifié minutieusement, ce qui ne nous a pas empêchés d’être ouverts à l’improvisation et aux accidents de parcours. 

Quelle est la symbolique du condor ? Pourquoi Virginio considère-t-il qu’il est fondamental d’expliquer son cycle de vie à Clever ?
Le condor est un animal sacré en Bolivie. C’est le protecteur de la montagne et il incarne la source de vie, à l’image du dégel qui, chaque année, redonne vie à la nature environnante. Il est également associé à l’immortalité et au changement de cycle. Étant donné qu’il revient dans son nid perché en haut de la montagne pour mourir, on considère qu’il s’agit d’une mort symbolique et non réelle. C’est pour cela que le condor est aussi important aux yeux de Virginio qui est conscient qu’il est temps, pour lui et Sisa, d’entamer un nouveau cycle. D’autre part, le condor est une espèce en voie de disparition. C’est donc une métaphore de ce qui est en train de se passer dans la montagne : avec le dégel qui tend à s’accélérer, le cycle de la nature est, lui aussi, menacé d’extinction. Si le condor meurt, il n’y aura plus de renouvellement du cycle, il n’y aura plus de protecteur de la montagne, et il n’y aura plus de vie dans la montagne. Cela peut sembler apocalyptique, mais c’est la réalité.

Drame d'Alejandro Loayza Grisi. 3,6 étoiles sur AlloCiné.

">