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La nuit du 12


À la PJ chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante. Pour Yohan c’est le meurtre de Clara. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas, et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, le crime a eu lieu la nuit du 12.

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Entretien avec le réalisateur, Dominik Moll

Le film est adapté du livre de Pauline Guéna : «18.3 - une année à la PJ»…
Oui, c’est une adaptation particulière puisque le film est tiré d’une petite trentaine de pages sur un livre qui en fait plus de cinq cents. Pauline Guéna a passé une année en immersion dans les services de la PJ de Versailles. Elle relate un quotidien fait de routine et de situations éprouvantes. Comme David Simon dans Homicide, son regard est à la fois documentaire et incroyablement fictionnel. On se retrouve plongé dans un immense réservoir d’histoires humaines fortes qui racontent aussi le monde dans lequel on vit.

Vous avez retenu une enquête en particulier, l’assassinat d’une jeune femme qui a été immolée par le feu tandis qu’elle rentrait chez elle… 
Oui. Pauline retrace brièvement cette enquête et s’attarde sur un des policiers, Yohan. C’est le rapport de cet homme à cette affaire qui m’a touché. J’avoue que l’aspect sordide du crime m’a fait hésiter, je suis souvent dérangé par la fascination de certains films pour la violence. Mais après avoir lues ces quelques pages, elles ont commencé à me hanter comme la mort de cette jeune femme hante Yohan. Le livre disait que chaque enquêteur tombe un jour sur un crime qui fait plus mal que les autres, que pour une raison mystérieuse, il se plante en lui comme une écharde, et que la plaie n’en finit pas de s’infecter. J’ai senti qu’il ne s’agissait pas seulement de trouver le nom d’un assassin, que le film pouvait raconter l’obsession et le trouble grandissant d’un enquêteur scrupuleux face à un crime irrésolu.

Les personnages féminins sont très marquants, il s’agit presque pour chacune d’elles de scènes à la fois bouleversantes et déterminantes. 
Le film suit ce groupe d’enquêteurs exclusivement masculin, et les différents suspects qu’ils interrogent sont eux aussi des hommes. Mais oui, les femmes jouent un rôle central. Il y a bien sûr Clara, la victime, qui plane sur toute l’histoire. Et puis Nanie, sa meilleure amie, interprétée par Pauline Serieys, qui craque et fait passer le film dans une autre dimension.

Comment avez-vous choisi les comédiens pour le groupe d’enquêteurs ? 
J’avais envie de nouveaux visages. Les deux directrices de casting, Agathe Hassenforder et Fanny de Donceel, ont auditionné presque deux cents comédiens, aussi bien pour les enquêteurs que pour les suspects. La plupart étaient excellents d’ailleurs. Mais il fallait un groupe, et nous avons fait revenir les comédiens qui nous intéressaient le plus pour des essais à trois ou quatre. Je voulais que la dynamique fonctionne et que des personnalités différentes émergent. Quand j’ai fait une immersion d’une semaine à la PJ de Grenoble, j’ai pu constater que l’esprit de groupe y est crucial. C’est une seconde famille. Il fallait retrouver cette énergie là. Et ça a très bien fonctionné. Parfois même un peu trop, sur le plateau il leur arrivait de se comporter comme une bande de sales gosses avec un humour qui n’avait rien à envier à celui de la PJ !

En quoi cette immersion à la PJ de Grenoble était-elle importante ?
Le livre de Pauline Guéna est déjà extrêmement documenté, mais il me tenait à cœur de voir de mes propres yeux un groupe d’enquêteurs au travail. Mon immersion à moi était bien sûr très courte, mais elle m’a permis d’observer ce monde de près : la lourdeur de la procédure et des PVs, les relations au sein d’un groupe, le contraste entre la tension des interrogatoires et la trivialité des moments de relâchement qui permettent d’évacuer la pression. Être avec eux m’a permis d’être précis et plus juste dans le ton du film, de ne pas être faussement spectaculaire à la recherche d’artificielles bouffées d’adrénaline, mais au contraire plus proche de l’humain, des malaises et des passions qui animent les enquêteurs. 

Pourquoi le choix de Grenoble et de la vallée de la Maurienne ? 
Je voulais sentir les montagnes. Leur présence est à la fois oppressante et majestueuse. Saint-Jean-de-Maurienne est une ville assez industrialisée, il y a une usine d’aluminium, Trimet, qui emploie 700 personnes, il y a des habitats très variés, des barres d’immeubles, des quartiers résidentiels plus cossus, les stations de ski juste au-dessus. J’aime ce mélange d’ambiances, c’est un monde miniature, à la fois singulier et universel. Et il y avait aussi cette idée que Yohan fasse du vélo, d’abord sur piste, dans un vélodrome, où, comme le dit Marceau, il tourne en rond comme un hamster, et à la fin dans la nature lorsqu’il retrouve un nouvel élan et découvre le plaisir de l’ascension des cols alpins, en l’occurrence le Col de la Croix de Fer.

La musique d’Olivier Marguerit va également dans ce sens, quelque chose de lumineux.
Tout à fait. J’avais très envie de travailler avec Olivier après avoir vu «DIAMANT NOIR» et «ONODA» d’Arthur Harari dont il avait signé les B.O. J’aime énormément son sens de la mélodie, cette lumière teintée de mélancolie, c’est exactement ce que je cherchais. Olivier a composé les premiers morceaux dès la lecture du scénario, avant même le tournage, et beaucoup de ses premières compositions sont dans le film aujourd’hui. Il a eu l’intuition d’utiliser des voix, inspiré par l’idée des fantômes qui nous hantent, et aussi de l’essoufflement de Yohan sur la piste du vélodrome. Et de la tonalité du thème principal qui ouvre et clos le film se dégage presqu’un sentiment d’allégresse, d’envie d’aller de l’avant, de voir plus haut.

Thriller, policier de Dominik Moll. 1 nomination au Festival de Cannes 2022 (édition 75). 4,4 étoiles sur AlloCiné.

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