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Placés


Parce qu’il a oublié sa carte d’identité, Elias ne peut passer les épreuves du concours d’entrée à Sciences Po. À la recherche d’un job en attendant de pouvoir se présenter à nouveau, il devient éducateur dans une Maison d’Enfants à Caractère Social. Confronté à un milieu dont il ignore le fonctionnement, Elias ne sait pas encore à quel point cette expérience va changer sa vie.

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Entretien avec le réalisateur, Nessim Chikhaoui

Après « Les Tuche » 2, 3 et 4, dont vous êtes l’un des coscénaristes, on ne vous attendait pas forcément sur un premier long métrage autour du parcours d’un éducateur… 
Tout est parti d’une rencontre avec mon producteur, Matthieu Tarot. Nous discutions de tout et de rien et, au fil de la conversation, je lui ai raconté mon passé d’éducateur spécialisé - dix années auprès de jeunes placés en Maison d’Enfants. A quel point j’avais aimé cette époque, et combien les facettes de ce métier étaient méconnues du grand public. Je lui ai aussi dit que j’avais commencé à écrire un peu sur ce sujet… Et là Matthieu s’est emballé et m’a dit : « C’est ça le film que tu dois faire. 10 ans dans la vie d’un éducateur. Fonce ! ». Pour nous deux, c’était devenu une évidence.

« Placés » adopte d’emblée un ton particulier. 
En France, les Maisons d’Enfants à Caractère Social (MECS) - et tout ce qui touche d’une manière générale au social - sont presque toujours présentées de façon caricaturale. On est dans le drame, dans le gris. J’avais, au contraire, envie de montrer qu’il peut y avoir aussi de la vie, de la joie, de la bonne humeur, sans pour autant occulter les moments difficiles. C’est sûrement pour cela que, pour moi, ces 10 années passées auprès des jeunes sont – et cette expression avait beaucoup plu à mon producteur - les plus belles années de ma vie. Parallèlement, j’ai voulu ancrer le film en banlieue. De là d’où je viens, et d’en présenter une image différente, pleine de bienveillance ; à rebours du cocktail des clichés habituels drogue, bagarres et émeutes.

Vous placez Elias (Shaïn Boumedine), le héros, dans la même position que le spectateur : il a raté son concours d’entrée à Sciences Po pour une ridicule histoire de carte d’identité oubliée et découvre, comme nous, ce milieu. Est-ce un souvenir personnel ? Une habileté scénaristique ? 
Un peu des deux. Sans avoir raté Sciences Po, j’ai débarqué dans ce métier par hasard, et l’ai aussitôt aimé. Mais cela me plaisait de faire d’Elias un étudiant à la fois plutôt brillant et sans réelle ambition. « On m’a dit que je n’arriverai pas à décrocher une licence, alors je l’ai fait », dit-il. Et comme on lui a aussi affirmé que Sciences Po ouvrait des portes, il a tenté sa chance. Son seul désir à ce moment-là, est de faire mieux que son père et de prouver qu’on peut réussir sa vie, même en venant de banlieue. Et c’est en arrivant dans ce foyer d’enfants qu’il trouve sa voie. Cette idée, primordiale à mon sens, se réaliser. 

On est tout de suite surpris par le caractère chaleureux de la maison qui accueille ces enfants placés et dans laquelle débarque Elias. 
Lui-même s’étonne : « Je ne voyais pas du tout ça comme ça », dit-il. Comme la plupart des gens, il imaginait un bâtiment froid avec des néons… alors que la plupart des maisons d’enfants sont de vraies maisons, - des « foyers » au sens littéral du mot, conviviaux, souvent jolis, gais. Le premier endroit où j’ai travaillé, à Athis-Mons, ressemblait beaucoup à la maison du film - en meulière, avec plusieurs étages. Ce sont souvent des biens préemptés par les mairies. Cela aide beaucoup les jeunes de vivre dans ce genre d’ambiance où tout est fait pour qu’ils se sentent bien.

Certains - comme François (Moussa Yattassaye) et Viorel (Elyes Aguis) - sont très jeunes. On comprend mal pourquoi, malgré leur passé difficile, ils ne sont pas placés en familles d’accueil plutôt qu’en foyer. D’autres, comme Emma (Lucie Charles-Alfred), se plaignent d’en avoir été chassés. Comment expliquer cela ? 
Je me suis inspiré de jeunes dont je me suis réellement occupé. C’était plutôt des cas très difficiles on les récupérait souvent car les familles d’accueil craquaient. Les MECS, c’est une équipe très structurée d’une dizaine d’éducateurs, différents les uns des autres. Le jeune peut se sentir plus facilement des affinités avec l’un ou avec l’autre. Et, surtout, ces personnes lui sont dédiées. Ce qui n’est pas le cas des familles d’accueil, où, deux parents élèvent souvent leurs propres enfants en même temps que les enfants accueillis (jusqu’à 3 enfants par famille en théorie, mais en pratique souvent plus). On leur confie en priorité des enfants en bas âge qui ont davantage besoin d’un cadre familial traditionnel. En France, 330.000 jeunes relèvent de la protection de l’enfance, d’où l’importance que chaque placement soit étudié, au cas par cas, avec le juge pour enfants.

On ne voit jamais les parents dans le film… 
C’était un parti pris. On connaît leurs dossiers mais on ne les voit pas. On reste avec les jeunes.

Et les dossiers sont lourds : folie, dépression, violence, prison, prostitution… 
Certains parents tentent de faire du chantage affectif avec leurs enfants. La mère de Laura, par exemple, menace sa fille (Syrine Verrouste) de se suicider lorsqu’elle ne la prend pas au téléphone, mais l’abreuve d’horreurs quand elle accepte de lui parler. Cela fait partie des raisons qui poussent les éducateurs à interdire les téléphones dans les foyers.

Malgré tout ce passif, on mesure à quel point ces adolescents avancent, s’attachent et réussissent à créer des liens grâce à la bienveillance des éducateurs… 
Vivre avec ces jeunes, c’est cuisiner avec eux, manger avec eux, partager des activités, des nuits, tout un quotidien, durant lequel, même si l’on prend en compte l’histoire de chacun, on essaie de les considérer comme des ados comme les autres et de tous les traiter de la même façon. On n’est pas dans le pathos, on ne favorise personne et ça les aide énormément.

Il y a, dans « Placés », une scène très drôle, où les ados racontent ce qu’ils veulent faire plus tard : de la téléréalité, le tapin, le braqueur. Il y a beaucoup de dérision vis-à-vis de leurs propres histoires. 
De façon générale, les ados n’ont plus vraiment les rêves que nous avions à leur âge – devenir footballeur, astrophysicien, acteur. Beaucoup se disent : « C’est la crise, alors, on va faire un truc concret – serveur, plombier, mécanicien… » J’ai repris un peu ça dans le film. Marc (Philippe Rebbot), sur le ton de l’humour, dit même « dératiseur c’est ça qu’il faut leur conseiller de faire ! ». En réalité, beaucoup de jeunes dont je me suis occupé et avec lesquels je suis resté en contact, exercent maintenant des métiers en lien avec l’humain et souvent avec la petite enfance. Soit, on plonge, soit on trouve une résilience. Moi, j’ai plutôt vu de la résilience. Au milieu de l’écriture, il m’est arrivé de me demander si je ne donnais pas une vision trop angélique des foyers. Des appels d’anciens pensionnaires m’ont rassuré : l’un d’eux se rendait au mariage de son meilleur ami avec lequel il avait grandi en foyer ; un autre me rappelait combien il avait été heureux toutes les années qu’il avait passé chez nous. Cela m’a conforté. Sans être le monde des Bisounours le positif, l’espoir, l’avenir, existent dans ces liens tissés, dans ces endroits-là.

Cela n’empêche pas Elias de craquer à un certain moment en giflant l’un des jeunes.
Les moments de craquage existent alors qu’il ne faut pas que cela arrive. Toute la difficulté est là : ne pas craquer. C’est interdit. Elias en est conscient et sa première réaction est de donner sa démission parce qu’il ne se sent pas au niveau. C’est un aspect difficile à traiter mais j’ai décidé de jouer cela à fond. Il ne fallait pas occulter la maltraitance. Beaucoup de documentaires se sont récemment emparés du sujet en dénonçant des sévices qui peuvent être exercés par des éducateurs dans certains foyers ; car oui, cela existe même si ça n’en concerne heureusement qu’une minorité.

Avez-vous eu vous-même des moments de découragement quand vous exerciez ce métier ?
Tous les éducateurs en connaissent. Il arrive de rentrer chez soi dans un état tel qu’on devient invivable pour ses proches tellement on a accumulé de tensions dans la journée. Ce métier, n’est fait que d’émotions fortes. Chaque fois qu’un ado fugue, on se sent personnellement responsable, touché. C’est très dur. Alors, soit on démissionne très vite pour vivre des choses plus normées et plus tranquilles, soit on reste et on s’accroche. C’est ce que j’ai essayé de faire.

Comédie dramatique de Nessim Chikhaoui. 4,1 étoiles sur AlloCiné.

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