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Maestro(s)


Chez les Dumar, on est chef d’orchestre de père en fils : François, le patriarche, achève une longue et brillante carrière internationale, tandis que Denis, le fils, vient de remporter une énième Victoire de la Musique Classique. Quand François apprend qu’il a été choisi pour diriger la Scala, son rêve ultime, son Graal, il est fou de joie. Heureux pour son père, et en même temps envieux, Denis déchante vite lorsqu’il découvre qu’il y a méprise et que c’est en réalité lui qui est attendu à Milan…

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Entretien avec le réalisateur, Bruno Chiche

D’où vous est venue l’idée de Maestro(s) ? 
Je venais de finir une comédie et mon producteur et ami Philippe Rousselet me demande à quoi je pense pour la suite. J’ai alors envie de raconter l’histoire d’un père et son fils, mais un vieux fils comme moi et donc un vieux père…
Et il m’apprend qu’il a pris une option sur les droits de remake de Footnote du réalisateur et scénariste israélien Joseph Cedar dont je pourrais m’inspirer. Je regarde le film et je trouve effectivement qu’il y a quelque chose, en tout cas un biais à travers le postulat, un quiproquo qui va mettre en porte-à-faux un fils vis-à-vis de son père, et il y a surtout la thématique du dépassement. Je ne me voyais pas me lancer dans un remake, d’autant que dans le film de Cedar, les deux personnages sont des chercheurs universitaires qui travaillent sur la Torah. J’imaginais plus, pour leur domaine de compétence, la médecine -mon père étant chirurgien-dentiste et mon frère, chirurgien.
Puis, comme je suis passionné d’histoire, je bifurque sur un père et un fils historiens dont l’un des deux recevrait le prix Beaumarchais. Je pitche le projet à une amie chanteuse lyrique qui me dit que c’est l’histoire de son beau-père et de son mari… tous deux chefs d’orchestre qui rêvaient de jouer à Bayreuth. J’ai immédiatement appelé Philippe Rousselet pour lui dire que je tenais le sujet. En plus, je suis un fou de musique classique.

En élargissant les rapports père-fils à ceux avec le petit-fils, votre but était-il de traiter la filiation sur trois générations ? 
Oui. Maestro(s) s’avère être le film le plus personnel que je n’ai jamais fait. Yvan a mon âge, Pierre a un peu moins que mon père, et j’ai un fils du même âge que Nils dont le personnage, dans une première version du scénario, se prénommait même Léonard comme mon fils. Ajoutons à cela que Pascale Arbillot, qui joue l’ex de Denis, est la mère de mon fils… Yvan, qui a lui-même un fils un peu plus âgé que Nils, m’a confié qu’il avait l’impression de ne pas venir sur un tournage mais à une séance de psychothérapie de groupe !

Pourquoi avoir choisi Miou-Miou pour jouer la femme de François ?
J’adore Miou depuis toujours. Mais surtout, son personnage n’est pas simple ! C’est une mère, mais c’est surtout une femme amoureuse de son mari. Elle a incarné avec beaucoup de subtilité un personnage qui choisit davantage ce dernier que son propre fils…
Ce qui est quand même très singulier… C’est une éternelle amoureuse dont on ne peut pas ne pas tomber amoureux. Il n’y a que des histoires d’amour dans ce film, finalement. Le couple qu’elle forme avec Pierre est bouleversant et le regard qu’elle porte sur cette histoire est très subtil.

Comment avez-vous choisi les musiques ? 
Je voulais qu’elles illustrent les personnages qui les accompagnent. Au tout début, il y a un Aria d’Antonín Dvorák, très mélancolique, qui raconte bien l’histoire de François, ce qu’il a vécu et ne vivra sans doute plus. On le voit ensuite diriger la 9e de Beethoven, un morceau très colérique qui reflète bien son état d’esprit. J’ai opté pour des opéras dans lesquels j’ai choisi des ouvertures et des intermezzos, soit des parties qui ne sont pas chantées. La musique attribuée à Denis est un intermezzo de Brahms qui revient régulièrement et qu’Yvan a appris à jouer ! C’est un des premiers morceaux qu’on entend, qu’il jouera plus tard avec son fils au piano.
C’est un air nostalgique mais qui n’est ni trop mélodieux, ni trop sucré. Quant à la vocalise de Rachmaninov (que j’ai connue chantée par Renée Fleming), interprétée à l’église par le personnage de Caterina Murino, elle pénètre dans la tête de Denis dont on voit à ce moment combien la musique est son refuge. La sonate de Schubert au début (et qui sera également la musique du générique de fin), est une déclaration d’amour de son compositeur à une cantatrice dont il était amoureux.
C’est sur ce morceau que Denis dirige sa maîtresse interprétée par Caroline Anglade. Il y a aussi l’Ave Maria de Giulio Caccini, un morceau sublime qu’Yvan regarde sur son ordinateur, dirigé par Ozawa à la Scala. C’est un passage assez magique grâce au montage car il y a comme un champ-contre-champ entre Denis et le maître japonais, comme un passage de relais… Pour la petite histoire d’ailleurs, cet Ave Maria que l’on a toujours attribué à Caccini a été en fait composé par un russe, Vladimir Vavilov. Il y a aussi cette Messe de Mozart, le Laudate Dominum interprété dans le film par une jeune chanteuse, Julie-Anne Moutongo-Black et que dirige Denis au mythique Studio Ferber.

Pourquoi Denis ne dit-il rien à son père ? Par peur, comme dit son père? Mais par peur de quoi ? 
Dire à son père qu’il ne vivra pas le rêve de sa vie parce qu’on a préféré son fils, c’est difficile. Ensuite, chacun pose le curseur où il veut, mais Denis n’est pas un chef d’orchestre qui aime les grandes salles, à l’instar d’un Glenn Gould. Il a la trouille. Alors, se sert-il de l’argument de ne pas vouloir blesser son père pour masquer la peur qu’il a d’accepter le poste? Il y a sans doute un peu de cela dans sa réaction. 

Et vous, comment auriez-vous réagi ? 
J’aurais fait de l’auto-sabotage ! C’est tellement dur de dépasser le père et, d’une certaine manière, de l’humilier, qu’on préfère tout bousiller. Du fait de son parcours personnel dans son enfance, mon père ne s’est jamais senti aimé par exemple. Quand j’ai commencé à faire du cinéma, il m’était difficile par rapport à lui d’assumer d’être aimé et reconnu par des gens. Et cela n’a certainement pas été simple à vivre pour lui.

Drame de Bruno Chiche. 3 étoiles sur AlloCiné.1 nomination au Festival du Film Francophone d'Angoulême 2022 (édition 15).

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