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Les pires


Un tournage va avoir lieu cité Picasso, à Boulogne-Sur-Mer, dans le nord de la France. Lors du casting, quatre ados, Lily, Ryan, Maylis et Jessy sont choisis pour jouer dans le film. Dans le quartier, tout le monde s’étonne : pourquoi n’avoir pris que « les pires » ?

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Entretien avec les réalisatrices, Lise Akoka & Romane Gueret

Les Pires prend sa source dans votre court-métrage Chasse Royale, où vous mettiez déjà en scène un casting sauvage.
En effet, Les Pires est la prolongation de Chasse Royale, à la différence que notre court-métrage se concentrait sur le moment du casting, tandis que notre long raconte aussi le tournage qui en découle. Nous sommes entrées dans le monde du cinéma notamment par le biais du casting sauvage, en travaillant sur des films en tant que directrices de casting et coachs d’enfants, avant de réaliser Chasse Royale, qui s’inspirait de nos expériences. Pour préparer Les Pires, nous sommes retournées dans le nord de la France, avec l’envie de continuer à faire dialoguer deux milieux que tout semble opposer a priori : celui des enfants d’un quartier populaire et celui des adultes du cinéma. Mais à la base de ces deux films, il y a surtout notre passion commune pour le monde de l’enfance, avec une sensibilité particulière pour les enfances accidentées qui fait écho à des préoccupations intimes pour chacune d’entre nous.

Comment sont nés les personnages des Pires ?
Il y a eu plusieurs étapes d’écriture. La première a été un long temps d’immersion avec notre coscénariste Eléonore Gurrey, durant lequel nous avons rencontré des centaines d’enfants. Nous avons procédé comme pour un casting sauvage, sauf qu’à la différence de d’habitude, nous sommes allées à la rencontre de nos personnages alors même que les rôles n’étaient pas encore écrits. Nous avons mené de longs entretiens avec chacun d’entre eux et avons travaillé en improvisation ; nous nous sommes imprégnées du langage, avons rencontré des personnalités et recueilli des histoires à partir desquelles nous avons construit le récit. C’est ainsi que sont nés nos quatre jeunes héros, nourris des traits de caractère qui nous ont le plus marquées. Les Pires s’est conçu dans un aller - retour permanent entre la vie et la fiction. Un personnage est parfois le fruit d’une fusion de plusieurs rencontres.

Comment avez-vous choisi vos interprètes au final ?
Il nous a fallu plus de trois ans pour bâtir le film et les enfants rencontrés lors de la première immersion avaient grandi entre-temps et ne collaient plus à l’histoire. Ça a été un vrai deuil pour nous de renoncer à eux. Heureusement, nous n’avions pas commis l’erreur de leur faire des promesses. Nous sommes donc reparties en casting sauvage, pendant un an. Avec notre directrice de casting Marlène Serour et son équipe, nous avons sillonné la région Nord. Nous avons été dans les collèges, les écoles, les foyers, les maisons de quartier, les centres éducatifs pour mineurs, etc, afin de rencontrer un maximum d’enfants et d’adolescents dans la tranche d’âge de nos personnages. Puis, nous avons organisé des séances de travail avec ceux pour lesquels nous avions eu un coup de cœur. Nous avons fait beaucoup de castings dans des structures socio-éducatives où l’on trouve des jeunes en grande difficulté. Nous étions conscientes de notre responsabilité en venant à leur rencontre. Ces enfants, plus que tout autre, doivent être entourés et protégés. Les mots qu’on utilise pour leur parler du film ne sont pas des mots choisis au hasard. Propos recueillis par Anne-Claire Cieutat Timéo, qui joue Ryan, et Loïc, qui interprète Jessy, nous les avons rencontrés dans un foyer ; Mélina et Mallory, qui incarnent respectivement Maylis et Lily, nous les avons rencontrées à la sortie de leur école. Pour le rôle de la sœur de Ryan, nous avons retrouvé Angélique Gernez, l’actrice principale de Chasse Royale.

Vous jouez aussi avec les ruptures de ton, parfois au sein d’une même séquence.
Ne pas s’inscrire dans un seul registre nous tient à cœur. Les Pires navigue entre le drame et la comédie. C’était notre défi. C’est aussi représentatif de la vie en général et de l’enfance en particulier, où l’on peut passer du rire aux larmes en un instant. Nous souhaitons continuer à faire des films qui affrontent des sujets sérieux et parfois graves, tout en y injectant de la comédie et de la légèreté.

Comment avez-vous pensé le travail de la caméra ?
Nous avons préparé le découpage du film en amont du tournage avec Éric Dumont, notre chef-opérateur, mais sans le figer, car nous savions que beaucoup de choses seraient bouleversées sur le plateau. Nous nous adaptions beaucoup à nos acteurs. Éric sait suivre son instinct. Il tourne à hauteur de visages, souvent caméra à l’épaule.

Et la musique ?
Nous avons flashé sur Rémy il y a plusieurs années, lors de son passage à Planète Rap. C’est un artiste qui nous touche profondément quand il rappe. Il y a dans ses textes une écriture affûtée et cette colère propre au rap, tandis que sa voix et ses instrus sont mélodiques et dégagent un sentiment de mélancolie, même de lyrisme parfois. Pour le reste, nous souhaitions une bande-son épurée. Il y a donc peu de musique extradiégétique. La plupart des musiques qu’on entend sont celles que les personnages écoutent.

Quelle pulsation cardiaque désiriez-vous pour ce film ?
Selon nous, le film part d’un bloc brut, presque documentaire en sensation, puis ouvre peu à peu davantage le champ à la fiction, comme s’il allait de la vie au cinéma. Nous voulions que, par son rythme et son mouvement, le film gagne progressivement en émotion, en ampleur, et transcende le cadre de cette histoire de tournage pour toucher, on l’espère, à l’universel.

Comédie dramatique de Lise Akoka & Romane Gueret. 1 prix et 6 nominations. 4 étoiles sur AlloCiné.

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