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Couleur de l'incendie


Février 1927. Après le décès de Marcel Péricourt, sa fille, Madeleine, doit prendre la tête de l’empire financier dont elle est l’héritière. Mais elle a un fils, Paul, qui d’un geste inattendu et tragique va la placer sur le chemin de la ruine et du déclassement. Face à l’adversité des hommes, à la corruption de son milieu et à l’ambition de son entourage, Madeleine devra mettre tout en œuvre pour survivre et reconstruire sa vie. Tâche d’autant plus difficile dans une France qui observe, impuissante, les premières couleurs de l’incendie qui va ravager l’Europe.

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Entretien avec le réalisateur, Clovis Cornillac

Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’œuvre de Pierre Lemaitre ? 
Pierre Lemaitre est un auteur que je suis depuis ses premiers polars. J’aime ce qu’il écrit, car ses livres font partie d’une littérature qui a trait à tout ce qui me plaît au cinéma : le romanesque qui, au même titre que le grand cinéma, allie une élégance d’écriture et une intelligence qui font que le divertissement sollicite l’esprit du spectateur. C’est comme chez Dumas et Hugo : il s’agit d’une aventure humaine avec quelque chose qui nous dépasse et la trajectoire des personnages est tellement extraordinaire que tout peut leur arriver. On peut rencontrer Hitler, on peut jouer sa vie, on peut accomplir des choses énormes.

Comment en êtes-vous arrivé à adapter couleurs de l’incendie, en particulier ?
Camille Trumer m’avait approché pour un autre livre de Pierre, que je ne pouvais faire malheureusement. Il m’a recontacté six mois plus tard, avec Gaumont pour qui j’avais tourné Belle et Sébastien 3, en me disant que Pierre avait écrit l’adaptation de couleurs de l’incendie et qu’ils voulaient me confi er le projet. J’étais fou de joie !

Comment vous êtes-vous approprié le matériau ?
Même si Pierre était l’auteur du roman et qu’il l’avait lui-même adapté, il était toujours ouvert à mes idées et à mes suggestions de changements. Mieux encore, quand je voulais modifier la narration, j’avais en face de moi un partenaire incroyablement disponible, généreux, qui me disait toujours « C’est ton film » et qui me renvoyait les corrections que je proposais. Jamais il ne s’est opposé à mes choix ou ne s’est mêlé de la mise en scène. Étant lui-même un artiste, il ne m’a pas considéré comme un faiseur servile. C’est comme cela que je travaille, sinon je n’aurais pas pu faire le fi lm. Mais cette attitude de la part d’un auteur est d’une grande élégance.

Le plan-séquence d’ouverture permet de situer les protagonistes et leurs rapports de classe. 
En tant que spectateur, lorsque dans un fi lm, les plans sont très beaux mais qu’ils ne racontent rien, je me dis que le réalisateur se regarde filmer sans chercher à m’emmener dans son univers ; et lorsque les séquences sont sèches, sans idée de mise en scène, je me dis que le fi lm manque de cinéma. Ce plan-séquence s’est élaboré en pré-préparation, au moment où j’ai écrit ma mise en scène. C’est un processus qui me prend environ un mois et demi, avec mon 1er assistant, mais qui me permet de poser sur le papier les composantes de la mise en scène : axes, mouvements de caméra, valeurs de plan. Avec ce plan-séquence, je voulais que le spectateur soit rapidement projeté dans un univers, un peu comme lorsqu’on ouvre les portes d’un château qui nous happe à l’intérieur. Ce dispositif réunit huit séquences : il présente les principaux personnages et leurs enjeux et nous permet d’entrer dans leur univers.

La cupidité guide plusieurs personnages qui n’hésitent pas à trahir, comme Gustave, le fond de pouvoir joué par Benoît Poelvoorde.
C’est une thématique qu’on retrouve dans la littérature et dans notre société. L’argent est une maladie, et on le perçoit de plus en plus aujourd’hui, où certains sont à la tête de fortunes dignes d’un État, alors qu’ils n’en ont pas besoin. Dans le film, situé au début du XXème siècle, le capitalisme était encore rudimentaire, mais on voit qu’il y avait tout de même une gourmandise totalement folle liée à l’argent qui s’emparait des gens. Pour autant, ce qui m’importait, c’est l’histoire d’amour qui lie le fondé de pouvoir à Madeleine et on a d’ailleurs travaillé cette relation avec Benoît : c’était un très bon banquier, mais il était le larbin du père de Madeleine et il savait que lorsque celui-ci disparaîtrait, ce serait son heure d’épouser Madeleine. Sauf qu’il reçoit une claque magistrale ! Je répétais à Benoît « n’oublie pas le dépit amoureux » car cette gifle est fondatrice de sa démarche, même si Madeleine a raison de lui donner une claque, d’autant qu’elle n’est pas amoureuse de lui. Parfois, le chaos se justifie : je comprends en quoi le dépit amoureux peut rendre violent. Car la décision de Gustave s’est échafaudée sur plusieurs années : au moment où elle lui donne cette claque, son monde s’écroule et c’est une humiliation absolue. Puis, quand il la regarde au moment où elle n’a plus rien, c’est une manière de lui rendre sa gifle : il attendait ce moment comme une vengeance, mais avec un regard amoureux au coin de l’œil. Au fond, il me fait penser à un diable amoureux.

Quelle est l’évolution de la lumière et des couleurs entre 1929 et les années 1930 ?L’évolution est presque induite, puisqu’on fait une ellipse de quatre ans au cours desquels le monde a changé. On n’a pas eu besoin d’utiliser de filtres ou d’autres dispositifs de modification de la lumière car plusieurs changements radicaux, en matière de décors notamment, font qu’on n’éclaire pas de la même façon. On passe ainsi d’un château à un petit appartement et des intérieurs feutrés de la banque aux espaces de l’usine. On change donc d’univers visuel, si bien que, nécessairement, la lumière évolue, sans qu’on ait cherché à travailler sur des couleurs en particulier. On a une vraie collaboration avec Thierry, mon chef opérateur, car il a tendance à me tirer vers des teintes froides, tandis que j’ai tendance à l’amener vers des couleurs chaudes : au fi nal, il me pousse à explorer des voies dans lesquelles je ne me risquerais pas naturellement, et inversement. C’est un véritable enrichissement pour le film.

Où avez-vous tourné les scènes parisiennes et les séquences berlinoises ?
On a vraiment tourné à Paris et en région parisienne. Pour Berlin, on a filmé à Strasbourg, parce que tout le quartier juif, paradoxalement, a été construit par les Allemands et qu’il correspond précisément à l’architecture du Berlin d’avant-guerre.

Quels étaient vos critères pour le casting ? 
Je n’ai engagé que des acteurs avec qui j’avais envie de travailler, mais qui viennent tous d’horizons divers. C’est en effet très différent de travailler avec un acteur comme Benoît Poelvoorde et une actrice comme Léa Drucker. Mais c’est ma responsabilité de faire en sorte que l’ensemble soit cohérent et que chacun joue sa partition. Ce qui les réunit tous, c’est la qualité. Encore une fois, ils sont tous extrêmement différents et ils ne sont pas sur les mêmes codes de jeu, mais ils sont très talentueux et au service du travail. C’est mon premier objectif  : trouver des gens qui aiment être au travail, qui aiment faire, et pas des comédiens aigris ou flemmards qui viennent pour un chèque ou un prix éventuel.

Comment les avez-vous filmés et dirigés ? 
J’avais envie de les filmer avant tout. Il faut avoir envie de filmer les gens pour les rendre beaux, non pas qu’ils ne le soient pas, mais filmer des gens, c’est les grandir et les élever, même s’ils jouent des salopards. Pour moi, filmer doit être un geste généreux. Je suis très heureux de leur investissement à tous. Bien entendu, ce sont tous de grands instruments, mais il fallait qu’ils jouent le jeu et j’ai trouvé remarquable leur envie d’être là, leur qualité d’écoute, le fait qu’ils ne se soient jamais économisés. Je leur disais toujours « le plus important, c’est la confiance ». D’où le fait que je leur interdis de regarder le combo : je ne veux pas qu’ils soient obsédés par leur image, mais qu’ils me fassent confiance, qu’ils soient libres, car j’ai envie d’abandon et de confiance de leur part. Le combo, c’est un mur puisque c’est un regard sur soi et qu’on ne sait pas ce qui est beau chez soi.

Drame, historique de Clovis Cornillac. 3,3 étoiles sur AlloCiné.

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