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En corps


Elise, 26 ans est une grande danseuse classique. Elle se blesse pendant un spectacle et apprend qu’elle ne pourra plus danser. Dès lors sa vie va être bouleversée, Elise va devoir apprendre à se réparer… Entre Paris et la Bretagne, au gré des rencontres et des expériences, des déceptions et des espoirs, Elise va se rapprocher d’une compagnie de danse contemporaine. Cette nouvelle façon de danser va lui permettre de retrouver un nouvel élan et aussi une nouvelle façon de vivre.

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Entretien avec le réalisateur, Cédric Klapisch.

Vous avez pour la première fois abordé la danse avec votre documentaire consacré à Aurélie Dupont en 2010 : Aurélie Dupont, l’espace d’un instant. C’est ce film qui vous avait amené à vous intéresser à la danse ou cet art vous passionnait avant ?
J’aime la danse depuis très longtemps et c’est précisément la raison pour laquelle on m’avait proposé de réaliser ce documentaire. Aujourd’hui, je m’aperçois que mon intérêt pour la danse a été très progressif et présent depuis plus de 40 ans. J’ai été très tôt abonné au Théâtre de la Ville. J’ai donc eu la chance de voir, ado, beaucoup de ballets (uniquement contemporains), Merce Cunnigham, Carolyn Carlson, Alwin Nikolais, Murray Louis, Bob Wilson, Pilobolus, Trisha Brown et bien sûr : Pina Bausch. Je découvrirai quelques années plus tard la vague des Belges : Wim Vandekeybus, Anne Teresa de Keersmaeker, Alain Platel, Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet, puis, plus récemment Akram Khan, Prejlocaj, ou Crystal Pite et les israeliens : Ohar Naharin et Hofesh Shechter… Dans les années 80, pendant mes études de cinéma à New York, j’ai signé l’image d’un film pour une danseuse (Pooh Kaye). Et en 1992, Philippe Decouflé (avec qui j’étais au lycée et qui habitait mon immeuble), m’a proposé de participer à la cérémonie des JO d’Albertville et je me suis donc retrouvé à travailler pour lui et sa compagnie en réalisant un petit film, pendant quelques mois. On a évoqué un moment le fait de faire un long métrage ensemble mais le projet n’a jamais abouti. La danse en fait été assez présente tout au long de mon parcours.

Comment cette envie est devenue concrète ?
Cela fait plus de 20 ans que je réfléchis à faire un film de fiction autour de la danse. J’avais même proposé à Aurélie Dupont de jouer dans un film mais on n’a jamais réussi à concrétiser ce désir commun. Puis vient le moment du confinement qui va en fait tout s’accélérer et se cristalliser. Je réalise Dire merci, un petit film collectif avec les danseurs de l’Opéra. (Plus précisément je monte les images qu’ils ont filmées chez eux avec leurs smartphones). C’est vraiment ce petit film de 4 minutes Dire merci qui va tout déclencher. Le film devient viral et fait le tour du monde. En voyant ça, Bruno Lévy, mon producteur, me dit : « C’est maintenant qu’il faut faire ton film sur la danse »… Parallèlement, les gens de Studiocanal qui connaissaient mon désir de faire un film sur la danse, et qui avaient particulièrement apprécié ce petit film vont très vite accepter de nous aider à concrétiser cette envie.

Comment se construisent les bases de ce qui deviendra en corps ?
J’avais une ou deux certitudes. Je savais que je voulais faire ce film avec Hofesh Shechter. Il aimait mes films, j’aimais ces spectacles et surtout, plus ça va et plus je vois qu’on s’entend bien et qu’on a une complicité assez incroyable. Je savais aussi que tout allait partir du casting car je ne voulais pas tricher. Je voulais que ce soit des danseurs qui jouent et pas des acteurs qui dansent (ou qui font semblant de danser comme Nathalie Portman dans black swan…). Avant de me lancer dans l’écriture, je voulais donc trouver la personne sur laquelle mon histoire allait reposer. J’ai donc commencé à faire un casting d’abord parmi les danseurs de la compagnie d’Hofesh Shechter puis parmi les danseurs de l’Opéra de Paris… Très vite, je m’aperçois que tous savent plutôt bien jouer. C’était assez impressionnant ! En fait tous les danseurs savent affronter le trac, être devant un public, se « donner en spectacle », interpréter un personnage. La seule chose qui leur paraît souvent dérangeante c’est le rapport au texte. Tous ces gens qui sont si à l’aise pour mémoriser des chorégraphies, des déplacements dans l’espace, sont souvent moins à l’aise avec la voix, avec les mots ou la mémorisation d’un texte. Mais assez vite une évidence surgit : je connaissais Marion Barbeau depuis longtemps et j’avais vu qu’elle était aussi douée en danse classique qu’en danse contemporaine. Je l’avais même filmée danser dans le spectacle d’Hofesh à l’Opéra. En faisant l’audition je me rends compte qu’il émane d’elle un naturel incroyablement touchant. Je sens que cette spontanéité peut être magnifique à filmer. Je sais évidemment qu’il y aura beaucoup de travail mais l’essentiel est là. Et puis je lui fais confiance, car le travail, les danseurs savent vraiment ce que c’est !

Une fois Marion Barbeau choisie, comment créez-vous le scénario ?
J’avais juste en tête le début. L’histoire d’une danseuse qui est victime d’une grave blessure et qui va tenter de se reconstruire. Je commence à travailler seul sur le scénario. On est à la sortie du confinement et les spectacles n’ont toujours pas repris dans les théâtres. Je sais que je dois écrire vite si je veux bénéficier de ce moment douloureux où les danseurs et les théâtres sont tous très disponibles… Au bout de deux mois, le récit que je commence à développer devient vite trop complexe, trop dense. J’ai fini par m’emmêler les pinceaux dans mon histoire et c’est là que j’ai demandé à Santiago de me rejoindre. Son apport a été décisif. En corps constitue un cas particulier dans nos collaborations. Au départ, je pensais vraiment écrire seul. Santiago connaît en effet mal la danse et je voulais partir sur ce que je connaissais de la danse, des danseurs et des coulisses des ballets. Le but du film était de faire du cinéma. Je voulais qu’il y ait un côté très visuel et même « grand spectacle ». Je n’avais pas trop envie d’être uniquement contraint par la narration. J’ai parlé très tôt du projet avec le chef opérateur Alexis Kavyrchine pour trouver une cohérence visuelle au film avant même de finir le scénario. Santiago découvre le projet avec du recul et il me dit que, effectivement, ce film a besoin d’un rapport à la narration différent contrairement à mes précédents films. Il me convainc qu’il faut faire confiance à une histoire assez ténue pour qu’il y ait une vraie place pour la danse… et pour le cinéma... Il faut travailler comme pour les comédies musicales dans lesquelles on alterne narration et intermèdes musicaux… Aujourd’hui je me dis qu’il avait vu juste ! On a donc tout simplifié pour arriver à un récit finalement aussi léger que ce que j’avais fait dans chacun cherche son chat. C’est en faisant plus confiance à la danse et à l’image qu’on a pu effectuer ce travail d’épure. Il ne fallait pas que la narration prenne trop le dessus.

En corps débute de façon très audacieuse par 15 minutes sans dialogue, lors d’une représentation où votre héroïne Élise se blesse. Qu’est-ce qui vous y a incité ? 
C’était un parti pris de départ. Je voulais imposer aux gens le fait de regarder de la danse, donc de ne pas être distrait par des dialogues. J’ai énormément travaillé sur cette entame, en reprenant les techniques du cinéma muet et en faisant confiance à la danse et au «langage du corps ». Comment faire rentrer les spectateurs dans le récit sans passer par le verbe ? C’était un défi passionnant à relever. Et je voulais un temps long pour y parvenir et embarquer les gens par l’esthétisme de ces scènes, la musique, le décor, le spectacle, la qualité de la danse…

Le tournage d’en corps a-t-il été impacté par le COVID ? 
Oui, le COVID a évidemment rendu les choses compliquées. J’ai eu l’impression de travailler dans un champ de mines où on sait que tout peut à sauter à tout moment. C’était un moment très étrange où tout paraissait impossible. Les théâtres étaient tous fermés, les gens étaient enfermés chez eux, les danseurs ne dansaient plus. Je me suis demandé tant de fois : mais pourquoi s’embarquer dans un film sur la danse à un moment où il n’y a plus de spectacles, où les danseurs n’ont plus dansé depuis des mois, et en sachant en plus que si la moindre personne attrapait le COVID cela signifierait évidemment l’arrêt du tournage immédiat ? Donc tout ça était forcément assez flippant mais j’avoue… aussi très joyeux et émouvant pour ces danseurs qui renouaient avec leur art et avec autour d’eux toute une équipe qui les acclamait. C’est comme si tout le monde se rendait compte du côté essentiel et indispensable du spectacle vivant…Chaque jour était une sorte de victoire. Et, en ce sens je peux quand même dire que le COVID nous a aussi un peu aidés à faire ce film. Ça l’a chargé, ça l’a densifié…

En corps s’est beaucoup modifié au montage ?
J’ai beaucoup coupé pour affiner le récit mais aussi passé énormément de temps sur le début du film, ces moments sans dialogue, pour trouver la bonne durée ainsi que sur l’équilibre entre les scènes de danse et de jeu. J’avais demandé à ma scripte de faire une petite étude : Elle a calculé le temps : danse / narration sur une dizaine de comédies musicales connues, de chantons sous la pluie aux demoiselles de rochefort en passant par les chaussons rouges, cabaret ou west side story. Étonnamment le résultat est toujours le même, la danse et les chansons représentent entre 25% et 35 % du temps de ces films, la narration est donc toujours entre 2/3 et 3/4 de la durée globale. Je n’en revenais pas. Mais cette idée du temps de la narration qui représente les deux tiers du film a été mon guide sur en corps et j’ai pour cela évidemment coupé pas mal de moments de danse qui étaient pourtant magiques. Ce travail au montage a été vraiment particulier pour moi. C’est la première fois depuis que je fais des films que je réincorpore des scènes coupées trois semaines plus tôt parce que ce qu’on croyait être une digression était en réalité un élément fondamental. Rarement j’avais avancé avec aussi peu de certitudes, juste au feeling. Avec Anne-Sophie Bion, la monteuse, le travail consistait à alterner sans cesse entre une logique musicale et une logique narrative.

Comédie, comédie dramatique, drame de Cédric Klapisch. 3,4 étoiles sur AlloCiné.

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