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Et il y eut un matin


Sami vit à Jérusalem avec sa femme Mira et leur fils Adam. Ses parents rêvent de le voir revenir auprès d’eux, dans le village arabe où il a grandi. Le mariage de son frère l’oblige à y retourner le temps d’une soirée... Mais pendant la nuit, sans aucune explication, le village est encerclé par l’armée israélienne et Sami ne peut plus repartir. Très vite, le chaos s’installe et les esprits s’échauffent. Coupé du monde extérieur, pris au piège dans une situation absurde, Sami voit tous ses repères vaciller : son couple, sa famille et sa vision du monde.

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Entretien avec le réalisateur, Eran Kolirin

Votre film résonne, par ailleurs, de manière troublante avec l’expérience de confinement vécue par le monde entier… 
Ce film a été écrit avant la pandémie. À un moment, les personnages se nettoient même les mains au gel hydroalcoolique ! Je me souviens d’avoir dit à Yara Jarrar, qui joue la jeune mariée, que je voulais imaginer une scène où son personnage discute avec Mira. J’avais à cœur d’entendre ces deux femmes parler d’autre chose que des hommes, comme dans nombre de conversations féminines au cinéma, et cela a donné cette séquence où Lina exprime son obsession de la propreté. Puis est arrivée la pandémie, où notre relation à l’hygiène est devenue obsessionnelle ! Encore une fois, la réalité dépasse la fiction…

Vous adaptez le roman de Sayed Kashua. Comment s’est faite cette rencontre avec cet écrivain ?
Sayed m’a contacté il y a cinq ans, à un moment où je traversais une période de doute sur mon parcours artistique. Après le succès de La Visite de la fanfare, j’ai reçu de nombreuses propositions de la part des studios hollywoodiens, que j’ai toutes refusées. J’avais parfaitement conscience que ma place n’était pas là-bas. La perspective d’écrire un scénario inspiré de ce roman est arrivée au bon moment. Ce n’est pas une adaptation à proprement parler. Je me suis approprié cette histoire et souhaitais la raconter à ma façon. J’avais la bénédiction de Sayed, qui me laissait parfaitement libre d’agir à ma guise. Pour autant, l’exercice était périlleux : on peut, parfois, être fidèle à des détails et passer à côté de la vérité d’un sujet. Comme on peut trahir les détails d’un roman et être bien plus en phase avec sa vérité profonde. Il m’a fallu plonger dans les profondeurs du texte pour pouvoir en dégager l’esprit et en faire celui de mon film. Je suis heureux que Sayed aime mon film, car il est le fruit de ce long et délicat dialogue que j’ai pu avoir avec son livre.

Vos personnages masculins font preuve, pour la plupart, d’une grande vulnérabilité et s’éloignent des archétypes patriarcaux… 
C’est ainsi que je vois les hommes, plus vulnérables que les femmes. C’est ma discrimination à moi ! Mes personnages masculins agissent parfois de manière un peu primaire, par jalousie, par volonté de contrôle, ce qui les rend un peu pathétiques et, il est vrai, vulnérables. Peut-être que les femmes fonctionnent de la même manière, mais je les imagine différentes, plus philosophes. Comme le personnage de la mère, par exemple, qui fait preuve de détachement et de sagesse. Avec l’ouvrier palestinien, ce sont les deux personnages éclairés du film. Ils se placent au-delà de la lutte et de la division. Ils sont lucides, savent qui ils y sont. Le troisième qui se connaît lui-même est Abed, le chauffeur de taxi, mais lui n’intellectualise rien, il parle avec son cœur.

La question que pose aussi votre film est celle de l’identité et des racines. Que signifie vraiment « être chez soi » ? 
Ce que les Anglo-Saxons appellent «  home  » est peut-être ce qui vous offre la juste résistance, la juste lutte. Tant que Sami cherche à rester loin de ses racines, il ne peut se confronter ni à lui-même, ni aux autres. Tant que vous méprisez l’endroit d’où vous venez, tant que vous vous sentez supérieur à cet endroit, vous ne pouvez véritablement affronter le monde. C’est quelque chose que j’ai compris personnellement et qui me permet aujourd’hui de m’exprimer, et de dire, avec tout l’amour que je ressens pour mon pays, que la situation que nous vivons en Israël est terrible. Les Arabes d’Israël sont les invisibles de notre pays. Ils vivent en démocratie, mais n’ont pas les mêmes droits que les autres, ils se trouvent coincés dans une position intenable et s’en sentent coupables vis-à-vis des Palestiniens de Cisjordanie. Leur identité est ainsi mise à mal. Le seul territoire qu’il leur reste est leur maison. 

Votre film tisse différentes tonalités, du drame à la comédie… 
Chacun de mes films est composé de ces variations de tonalités. On me dit souvent que mes films sont en « mi mineur ». Quand j’écris, j’essaie de suivre une certaine logique, tout en veillant à préserver une forme de simplicité. Les différentes émotions qui parcourent Et il y eut un matin sont toutes connectées au récit de manière organique. C’est pourquoi j’accorde beaucoup de temps au montage. J’ai travaillé avec deux monteurs. Le processus est long avant de sentir qu’un film commence à prendre son envol. Cette variation des tonalités correspond aussi à la météo changeante de nos émotions dans la vie.

Comment avez-vous choisi vos acteurs et comment avez-vous travaillé avec eux ?
Juna Suleiman, qui est une actrice palestinienne, m’a aidé à réaliser le casting du film. Nous avons longtemps cherché une actrice pour jouer Mira, avant de réaliser que c’était un rôle pour elle ! Juna avait le sentiment de parfaitement la comprendre et avait envie de l’interpréter. Alex Bakri, qui joue son mari Sami, est acteur mais aussi monteur pour le cinéma et vit en Allemagne. Il fut autrefois le compagnon de Juna. En les filmant, j’avais la sensation de voir un vrai couple traversé par l’amour et le ressentiment à la fois. Salim Daw est un célèbre acteur palestinien, qui a joué dans de nombreux films en Israël. C’est un excellent comédien. Il a l’âme d’un clown, et son tempo naturel est bien plus rapide que celui de mon film. Mais deux semaines avant le tournage, il s’est cassé la jambe après une répétition. Sa démarche ainsi fragilisée était parfaite pour le rôle du père ! Izabel Ramadan, qui joue la mère, est une femme épatante, belle et intelligente. Elle a un doctorat en sciences de l’éducation et a joué pour le plaisir dans quelques films. Juna a été son élève et me l’a présentée. Elle me fait penser à Simone Signoret. Nous avons fait beaucoup de répétitions, car je souhaitais que chacun trouve ses gestes justes et son bon tempo. Le tempo est induit par la situation que subissent les personnages enfermés derrière ce mur qui encercle leur village. Je me suis mis dans la peau de quelqu’un qui vit une pareille situation, pris entre le doute et l’envie de lutter, et ai imaginé le tempo auquel il pourrait être confronté. Si je devais donner une échelle de valeur en battements par minute, je dirais que ce film tourne autour des soixante-dix, sachant qu’une chanson rock classique tourne autour des cent-vingt ! Voilà une indication que j’ai donnée à mon compositeur Habib Shehadeh, que j’ai eu la joie de retrouver après.

Drame de Eran Kolirin. 7 nominations au Festival de Cannes 2021 (édition 74). 3,5 étoiles sur AlloCiné.

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