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Le Monde d'hier


Elisabeth de Raincy, Présidente de la République, a choisi de se retirer de la vie politique. À trois jours du premier tour de l’élection présidentielle, elle apprend par son Secrétaire Général, Franck L’Herbier, qu’un scandale venant de l’étranger va éclabousser son successeur désigné et donner la victoire au candidat d’extrême-droite. Ils ont trois jours pour changer le cours de l’Histoire.

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Entretien avec le réalisateur, Diastème

Comme Un Français en 2015, Le Monde d’hier évoque la montée de l’extrême droite en France, mais du point de vue de la politique et des institutions. Comment est né ce film ? 
Le problème n’a malheureusement fait qu’empirer depuis 2015, non seulement en France mais partout dans le monde. C’est évidemment un sujet qui me préoccupe. Quelque temps après l’élection d’Emmanuel Macron, après avoir vu ce qui s’était passé autour de la candidature de François Fillon, je n’ai pas pu m’empêcher de me dire  : et si une histoire de ce genre, plus grave peut être, était arrivée à Macron entre les deux tours, que ce serait-il passé ? Dans le même temps, il y a eu Trump, Bolsonaro, la Turquie, la Hongrie, la Pologne, Salvini en Italie. Je ne me voyais pas écrire sur autre chose… Un Français a été le premier film à parler de l’extrême-droite d’aujourd’hui, de manière frontale, et je crois qu’il n’y en a eu qu’un depuis : Chez nous de Lucas Belvaux. C’est surprenant car c’est à mon sens le plus gros problème de notre société à court terme.

Comment s’est déroulée l’écriture ?
Je ne voulais pas d’un récit totalement réaliste, j’avais envie d’aller vers ce que j’aime  : la tragédie, le drame élisabéthain. Je sais que ce sont des références énormes, mais si mon héroïne se prénomme Élisabeth, ce n’est pas pour rien. Je voulais une atmosphère romanesque, très éloignée stylistiquement d’Un Français, que le film soit à la fois un thriller politique et un conte moral. Je savais que l’ambiance serait crépusculaire, éloignée du jeu politique à la française. Mais même si le ton ne devait pas être réaliste, il fallait que tout, dans les relations hiérarchiques entre les personnages, dans le langage utilisé au palais présidentiel, le soit. Je devais avoir des référents. Gérard Davet et Fabrice Lhomme venaient de sortir leur formidable récit sur François Hollande, ils connaissent parfaitement les arcanes du pouvoir et ont accepté d’être mes consultants. Ils m’ont fait des retours réguliers sur ce que j’écrivais, me donnant leur avis sur les dialogues, sur la véracité de ce que peuvent être des rapports intimes, cachés… Ils m’ont accordé une liberté de langage que je ne me serais pas forcément autorisée, dans la manière dont les personnages s’adressent les uns aux autres – ce sont des gens qui travaillent ensemble depuis très longtemps et qui peuvent, selon les moments, passer de la déférence à l’intimité. C’est important de comprendre à quel moment on dit Madame la Présidente ou Élisabeth, à quel moment il y a tutoiement ou pas. Ils m’ont aussi aidé sur des points que je connaissais moins : par exemple, quel est vraiment le rôle d’un garde du corps ? Je leur posais des questions pour faire avancer l’histoire et faire évoluer les personnages. Ils ne m’ont pas tout dit évidemment, mais c’était intéressant, ça me permettait de savoir jusqu’où je pouvais aller. Une fois que j’ai eu terminé, j’ai appelé Christophe Honoré pour finaliser le scénario avec lui, en insistant sur la mécanique du thriller politique et aussi sur la puissance émotionnelle du récit.

Y a-t-il des clés, faut-il reconnaître en certains personnages des personnalités politiques connues ?
Surtout pas. Je ne voulais aucune référence directe. Je voulais que l’on fasse comprendre aux spectateurs  : ne cherchez pas les clés, elles sont partout, elles sont nulle part. Par exemple, il fallait que jamais l’on puisse se dire «ah oui, Elisabeth, c’est Ségolène Royal si elle avait été élue…» C’est plus facile pour le personnage que joue Denis Podalydès. Les Secrétaires Généraux de l’Élysée, personne ne les connaît vraiment… Mais on n’échappe pas toujours au réel, c’est aussi le plaisir de la fiction. Par exemple, des Premiers Ministres essorés, en dépression nerveuse, il y en a eu énormément. Et quand j’ai écrit le scénario, il n’y avait qu’une seule personnalité d’extrême droite de premier plan, j’ai donc imaginé un candidat qui serait un homme et qui coucherait avec son attachée de presse. Depuis…

Le film commence dans une atmosphère de fin de règne…
Oui, on est déjà dans le drame et, très vite, on comprendra que le drame est encore pire que ce que l’on imaginait… Elisabeth est une présidente républicaine – disons du centre ou du centre-gauche, qui achève son mandat. Elle ne se représente pas. Gaucher a été son rival à l’investiture cinq ans plus tôt, et ils se détestent cordialement, bien qu’ils soient dans le même parti. Elisabeth est malade et son mandat a été un échec. Qu’est-ce qui a raté ? On ne sait pas. En termes de dramaturgie, il fallait que le récit soit concentré sur trois jours, donc il n’y a pas de point de vue sur ce qui s’est passé avant. Mais j’ai l’impression que c’est clair, on l’a vu avec François Hollande, on est habitués à ce que certains présidents aient des objectifs en début de mandat et repartent « une main devant une main derrière  », sans s’être complètement reniés, mais sans avoir pu faire ce qu’ils voulaient faire. Ils sont à la merci d’une crise : le Covid, un attentat, les gilets jaunes, etc. Mais aussi parfois de leur lâcheté, leur impuissance, leur dédain... On arrive avec des idéaux, on repart avec des regrets. Et cet échec-là nourrit la contestation, la haine, la révolte et le fascisme. C’est vrai de tout temps.

Elisabeth a conscience de son échec, ce que laissent rarement voir les hommes et femmes politiques… 
Et c’est ce qui me fait aimer ce personnage, comme celui de Franck, le Secrétaire Général de l’Élysée. Je m’intéresse à la politique depuis trente ans, je connais ce personnage de l’ombre, qui a un pouvoir inouï et recèle un mystère incroyable. C’est un véritable numéro deux, il gère tous les dossiers, il est souvent au-dessus du Premier Ministre, et du coup, ça se passe mal entre l’Élysée et Matignon, comme dans le film. C’est du hors champ, mais si le Premier Ministre a autant souffert, c’est que l’année et demi où il était en poste, le Secrétaire Général a fait en sorte que les problèmes du pays retombent sur le Premier Ministre et jamais sur la Présidente. C’est souvent comme ça que ça se passe.

Il fallait que vos comédiens aient l’ampleur de la fonction. Comment les avez-vous choisis ?
Léa Drucker est l’une des plus grandes comédiennes françaises, je ne pouvais pas rêver mieux. Le défi était que l’on croie en elle Présidente, dès la troisième seconde du film. Mais Léa possède une autorité naturelle qui est folle, qui vient aussi de son expérience de théâtre : quand elle rentre sur un plateau, c’est exceptionnel. Denis Podalydès, aussi, est l’un des plus grands comédiens français, pour le coup un vrai tragédien. Il a des tirades complexes en termes de langue, avec des émotions compliquées à jouer en même temps. On a trouvé le ton tout de suite, dès la première lecture, c’était magnifique. 

Et concernant la musique très présente dans votre film ? 
La musique joue un rôle essentiel dans le film qu’elle accompagne tout le long. La composition de la violoncelliste et compositrice Valentine Duteil tire le film vers le sentiment. Je l’ai rencontrée via Alex Beaupain, avec qui elle travaille depuis des années. Elle avait composé une musique magnifique pour une de mes pièces de théâtre. Pour le film, je lui ai demandé d’écrire un petit concerto pour quatuor à cordes, avec son mouvement de valse triste, des « pizzicati » pour faire monter le suspense, sa dimension onirique, aussi.

Comment reconstitue-t-on l’Élysée ? 
On ne nomme jamais ce lieu l’Élysée. L’idée était de faire un palais présidentiel crédible, mais qui ne soit pas l’Élysée justement. C’est amusant à faire, on a tourné à moitié dans un château à Rambouillet, à moitié à la mairie de Rennes. C’est toujours drôle quand, dans un film, il suffit de franchir une porte pour changer de lieu de tournage, et que ça ne se voit pas. Le palais est un lieu de solitude. Elisabeth n’a pas de conjoint. C’est aussi un château hanté et il y a sans doute quelque chose de cet ordre-là dans le vrai palais de l’Élysée… La Belle et la Bête est cité dans le film, j’avais en tête des images de Cocteau ou Man Ray. Le palais est un théâtre. Un décor qui écrase les personnages, un lieu d’où toute spontanéité est bannie, où les regards sont partout, où l’Histoire vous en impose.

Drame de Diastème. 3,3 étoiles sur AlloCiné. 

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