Haoui.com

Boîte noire


Que s’est-il passé à bord du vol Dubaï-Paris avant son crash dans le massif alpin ? Technicien au BEA, autorité responsable des enquêtes de sécurité dans l’aviation civile, Mathieu Vasseur est propulsé enquêteur en chef sur une catastrophe aérienne sans précédent. Défaillance humaine ? technique ? Acte terroriste ? L’analyse minutieuse des boîtes noires va pousser Mathieu à mener en secret sa propre investigation. Il ignore encore jusqu’où va le mener sa quête de vérité.

Repertoire Image

Entretien avec le réalisateur; Yann Gozlan

D'où est née l'idée du film ?
D’une double fascination personnelle. Fascination d’abord pour un monde très particulier, celui de l’aéronautique et de l’aviation civile. Cet univers, à mes yeux formidablement cinégénique, aux enjeux financiers colossaux, où se côtoient des intérêts divergents (avionneurs, compagnies aériennes, pilotes…), me semblait être un cadre original et passionnant pour un film. Fascination ensuite pour la boîte noire, l’enregistreur de vol en lui-même – ces fameuses boîtes noires dont les journaux nous parlent sans cesse sans qu’on sache vraiment à quelle réalité elles correspondent. Souvent placées à l’arrière de l’avion (partie généralement la mieux conservée lors d’un impact avec le sol), il en existe deux types : le FDR (Flight Data Recorder) qui comptabilise les paramètres techniques du vol et le CVR (Cockpit Voice Recorder) qui enregistre tous les bruits et échanges des pilotes dans le cockpit. Les premiers enregistreurs de vol datent des années 30. À l’époque, ils contenaient une pellicule photographique sur laquelle les indications des instruments de vol étaient projetées. Cette pellicule photosensible était enfermée dans une chambre noire, appelée « boîte noire », car elle était étanche à la lumière. Ce nom est resté alors que les enregistreurs de vol aujourd’hui sont de couleur orange avec des bandes blanches réfléchissantes, pour faciliter leur repérage parmi les débris… La boîte noire tient selon moi une place à part dans l’inconscient collectif  dans la mesure où elle détient la clé qui pourra expliquer l’enchaînement des évènements qui a conduit à la tragédie. L’analyse des boîtes noires et plus particulièrement du CVR (l’enregistrement des dernières paroles d’un équipage avant le crash) comme enjeu dramatique me paraissait intrigante. En m’y intéressant, j’ai découvert l’existence du BEA (le bureau d’enquêtes et d’analyses), organisme chargé d’enquêter sur les incidents et accidents d’avions. J’ai eu envie d’entrer dans ce microcosme, d’en découvrir les codes et de les partager avec le public. Par souci de crédibilité et de réalisme, je me suis beaucoup documenté, j’ai rencontré différents acteurs de ce milieu : pilotes de ligne, ingénieurs, enquêteurs du BEA… Nourri de ces rencontres et discussions, j’ai eu le désir d’écrire une histoire qui relaterait une enquête complexe sur un crash. Même si je me suis inspiré de cas réels, je ne souhaitais pas faire un simple documentaire ni reconstituer une catastrophe aérienne qui aurait eu lieu. Mon ambition était plutôt d’évoquer les nouvelles problématiques qui sont sur le point de bouleverser l’aviation civile : à savoir l’assistance au pilotage généralisée et l’automatisation progressive des cockpits grâce à l’intelligence artificielle. L’écriture du scénario a pris du temps : outre le travail de documentation nécessaire, l’intrigue, tortueuse, nous a donné du fil à retordre. Mais plonger dans cet univers a été passionnant !

Vous nous faites rentrer très facilement dans ce milieu pourtant particulièrement pointu... Comment réussit-on ce tour de force ?
Peut-être, justement en tentant d’être le plus précis possible. Le spectateur a besoin de croire à la véracité de ce qu’il voit. Peu importe le jargon technique présent dans les dialogues, du moment que le public perçoit l’enjeu de la scène. En outre, au montage, je me suis aperçu que ce qui, à l’écrit, pouvait paraître pointu ou technique, prenait une autre « couleur » une fois filmé. C’est le pouvoir d’incarnation des images.

Le film est en prise directe avec l'actualité. Le film évoque le terrorisme mais également la polémique suscitée par le Boeing 737 max il y a un an...
Concernant la question de l’assistance au pilotage, illustrée dans le film par l’intrigue du MHD, l’actualité nous a rattrapés. Au cours du printemps 2019, alors que le scénario était finalisé et que je débutais la préparation, j’apprends que la plupart des pays ont décidé – fait rarissime dans l’histoire de l’aviation – d’interdire leurs espaces aériens à tous les Boeing 737 Max : le système d’assistance au pilotage de cet appareil, en l’occurrence le logiciel anti-décrochage de l’avion, aurait pris le pas sur l’action des pilotes et serait la cause de deux crashs en moins de six mois, le premier en Indonésie, le second en Éthiopie. Cette question des dangers de l’extrême sophistication des avions me passionne car elle dépasse selon moi le cadre stricto sensu de l’aéronautique et renvoie à une problématique universelle et plus que jamais d’actualité : le conflit entre l’homme et la machine ainsi que l’emprise de la technologie sur nos vies… 

Depuis vos débuts, vous aimez distiller un malaise en mettant le spectateur sous tension...
Pour ce film, je désirais sensibiliser le public aux problématiques que je viens d’évoquer, en les traitant avec les armes du cinéma qui me passionne depuis toujours, celui d’Hitchcock ou de Pakula, un cinéma qui fait participer le spectateur en jouant avec son intelligence et avec ses nerfs. D’où mon envie de réaliser une fiction la plus haletante et captivante possible. Un véritable thriller paranoïaque avec  pour toile de fond  une enquête délicate qui sert de déclencheur au conflit entre Mathieu et son épouse, Noémie. Mon ambition était de mêler l’intime et le spectaculaire, la radiographie d’un couple en crise et la description du monde de ’aéronautique, les relations sentimentales et les enjeux professionnels.

Le dispositif d'ouverture de la boîte noire récupérée dans l'avion qui s'est écrasé, est une scène fascinante.
Il me semble que ça n’avait jamais été montré au cinéma. Le risque d’une telle séquence était de la réduire à quelque chose de purement technique et triviale. Au contraire, je souhaitais apporter à la scène, un mystère et une étrangeté. Mon parti pris a été de la filmer comme s’il s’agissait d’une opération à cœur ouvert en essayant de créer une ambiance hypnotique avec les sons dans le labo, les regards des différents individus présents derrière la vitre, les respirations des techniciens revêtus de leurs masques de protection… Dans la réalité, lors de l’ouverture d’une boîte noire, il y a tout un cérémonial, un rituel que je trouvais fascinant et que j’ai tenté de retranscrire le plus fidèlement possible à l’écran. Plusieurs personnes assistent à cette ouverture, notamment le représentant du constructeur, celui de la compagnie aérienne, les enquêteurs bien sûr, auxquels s’ajoutent un officier de la police judiciaire chargé de veiller à la bonne marche des opérations ainsi qu’un gendarme. L’ouverture d’une boîte noire est une opération extrêmement délicate et minutieuse : il faut retirer un nombre impressionnant de couches et de sous couches de protection de différentes natures avant d’extraire la carte mémoire en prenant bien soin de ne pas l’endommager.

Drame, thriller de Yann Gozlan. 3,9 étoiles sur AlloCiné. 4 nominations au Festival du Film d'Angouême 2021 (Edition 14). 1 prix et 3 nominations au Reims Polar (Festival international du Film Policier) 2021 (Edition 38).

">