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Un triomphe


Un acteur en galère accepte pour boucler ses fins de mois d’animer un atelier théâtre en prison. surpris par les talents de comédien des détenus, il se met en tête de monter avec  eux  une  pièce  sur  la  scène  d’un  vrai  théâtre.  Commence  alors  une  formidable aventure humaine. Inspiré d’une histoire vraie.

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Entretien avec le réalisateur; Emmanuel Courcol

Comment est né Un triomphe ?
Il y a quelques  années  Marc Bordure, mon producteur, m’avait fait découvrir un  documentaire  relatant  l’histoire  d’un  metteur  en  scène,  Jan  Jönson,  qui  avait  monté  En attendant  Godot  avec  des  détenus  dans  une  prison  en  Suède.  Le  spectacle  avait  eu  un  tel  succès qu’ils étaient partis en tournée, jusqu’au dénouement assez ébouriffant au théâtre Royal de  Göteborg.  Il  m’avait  dit : «cette  histoire  est  pour  toi»...  J’ai  commencé  à  réfléchir  à  une  transposition  française  et  contemporaine  de  l’histoire.  La  pièce  de  Beckett  me  semblait d’emblée un peu aride, alors est-ce qu’il ne fallait pas plutôt déplacer l’action vers  un  autre  domaine ?  La  musique ?  Le  chant ?  La  danse...  ?  Ou  pourquoi pas  mettre en scène des femmes détenues... ? En tout cas il fallait tout réinventer parce que le milieu carcéral suédois des années 80 était très éloigné des prisons françaises d’aujourd’hui. Et je me suis aperçu que pour écrire sur ce sujet il fallait déjà anticiper le casting et la réalisation, imaginer un mode de travail pour tourner les répétitions en laissant une part d’improvisation... En tant que simple scénariste, je bloquais un peu et après avoir pas mal tourné autour du pot, le projet est un peu tombé en sommeil... Marc m’a seulement dit : «prends ton temps, je le garde pour toi...»Je suis revenu à la charge auprès de lui en 2016, après avoir réalisé Cessez-le-feu, mon premier long métrage, mais cette fois en tant qu’auteur et réalisateur. J’avais eu le temps de réfléchir, et je lui ai proposé de repartir sur le projet en restant beaucoup plus fidèle au fait divers dont il s’inspirait.

Qu’est-ce qui vous plaisait dans cette histoire ?
Je n’ai pas envie de faire un cinéma désespérant, même quand il traite d’une réalité sombre.  Tant  qu’il  y a  de  l’humain,  un  rayon  de  lumière  est  toujours  envisageable.  Avec Marc, et Robert Guédiguian qui nous avait rejoint, nous sentions tout le potentiel émotionnel,  comique  et  dramatique  de  cette  bande  de  détenus  «à  des  années  lumières de Beckett» comme le dit Étienne dans le film, mais au fond beaucoup plus proches qu’on ne pouvait l’imaginer de l’univers d’En attendant Godot. C’est vrai que la pièce résonne de façon incroyable pour des prisonniers. Le vide, l’absence, l’attente, la vacuité totale, le désœuvrement, c’est leur quotidien et dans la vraie histoire les détenus avaient vraiment été touchés par ce texte universel. C’est aussi la pièce de théâtre contemporain la plus célèbre et dont le titre mondialement connu résume à lui seul l’intrigue simplissime. Cela me facilitait la tâche pour n’en montrer que des fragments au cours du film, en répétition ou en représentation, sans perdre le spectateur. J’aimais aussi la personnalité de Jan Jönson, que j’ai rencontré. C’est  un  personnage  passionné,  obsessionnel,  hanté  par cette  expérience  qui  a  complètement changé sa vie. Il est devenu ami avec Samuel Beckett, il a remonté plus tard En attendant Godot aux Etats-Unis, à la prison de San Quentin en Californie.

Quel a été le processus d’écriture ?
L’univers  carcéral  est  un  véritable  nid  à  clichés  et  moi,  comme  beaucoup,  j’étais  tributaire   de   plein   d’idées   reçues.   J’ai   donc   commencé   par   une   approche   documentaire. Comme de mon passé de comédien j’ai gardé pas mal de relations dans le milieu de la scène, j’ai pu très vite entrer en contact avec des intervenants théâtre en prison et recueillir un peu de leur expérience. Olivier Foubert, comédien, (le régisseur de l’Odéon dans le film), qui anime depuis pas mal d’années des ateliers théâtre à la prison de Fleury-Mérogis m’a ainsi permis de venir comme intervenant animer un petit atelier vidéo à Fleury. L’expérience  m’a  nourri  sur  un  plan  pratique,  j’ai  vu  comment  on  circule  dans  une  prison et les profils des détenus, le type de relation que l’intervenant construit avec eux.  J’ai  pu  alors  me  mettre  à  l’écriture  avec  Thierry  de  Carbonnnières,  mon  co-scénariste.  Et  puis  j’ai  rencontré  Irène  Muscari,  coordinatrice  culturelle  du  Centre  Pénitentiaire de Meaux, qui y développe des projets très ambitieux. J’étais allé voir un  spectacle  au  Théâtre  Paris-Villette,  Iliade,  monté  par  Luca  Giacomoni,  auquel  participaient des détenus de Meaux. Elle nous a reçus, Thierry et moi, et nous a fait visiter le centre pénitentiaire, on a sympathisé. L’année suivante elle mettait en route un projet d’opéra hip-hop, danse, boxe, destiné à la MC93 de Bobigny, conduit par Hervé Sika et Mohamed Rouabhi, en partenariat avec  l’Orchestre  de  chambre  de  Paris.  Je  lui  ai  proposé  de  faire  un  documentaire  sur ce travail et j’ai suivi, un jour par semaine pendant six mois, la création de Douze cordes, qui s’est joué en mai 2019. Tourner trente jours au cœur d’une prison, c’était une opportunité exceptionnelle, un poste d’observation unique.

Qu’est-ce que cela vous a apporté pour le script ?
Ce travail d’immersion m’a permis de revisiter le scénario que nous avions déjà écrit, et  d’y  insuffler  toute  la  vérité  des  détenus  que  j’avais  sous  les  yeux  :  leur  parler,  leur  humour,  leurs  doutes,  leurs  peurs,  leur  violence  sous-jacente,  leur  rapport  avec  le  metteur  en  scène,  avec  les  surveillants...  J’ai  pu  les  voir  se  transformer  progressivement, se révéler. Jouer à la MC93, c’était énorme pour eux. Ils n’auraient pas  pu  l’imaginer,  ce  sont  des  gens  qui  ne  vont  jamais  au  théâtre,  très  peu  au  cinéma. Dans le spectacle, il y avait aussi une chanteuse lyrique avec le quintette de l’Orchestre de chambre de Paris, c’était la première fois qu’ils entendaient du Bach et du Schubert... Je  me  suis  aussi  enrichi  d’histoires  que  des  intervenants  m’avaient  racontées,  je  cherchais dès le début quel type d’accident pouvait contrarier ce parcours triomphal. On m’a parlé de ce caïd qui avait décidé de jouer dans une pièce pour que son fils le  voie.  Le  soir  de  la  représentation,  son  fils  n’était  pas  là,  et  il  a  refusé  de  jouer.  Dans le film, c’est ce qui arrive à Kamel, j’en ai fait un personnage ambigu, dont on questionne les motivations, mais ce projet, il le fait vraiment pour son fils. Il y avait aussi cet autre détenu qui au beau milieu de la pièce est sorti de scène parce qu’il avait peur, comme Jordan le soir de la première.

Dans le personnage d’Etienne, vous avez mis un peu de votre passé d’acteur ?
Bien sûr, ce vécu d’acteur, le mien comme celui de Thierry de Carbonnières, acteur lui aussi et copain de promo de la Rue Blanche, a nourri le personnage de l’intérieur, dans ses désirs, ses espoirs et ses frustrations. Thierry, qui a connu ces galères, en a même tiré plusieurs livres ! On a tous, nous, comédiens «de base» comme le dit Étienne  dans  le  film,  connu  les  passages  à  vide  et  les  boulots  alimentaires.  Avant  d’accéder à la notoriété, Kad lui-même est passé par là et le personnage lui a été d’emblée familier. 

Kad Merad était-il déjà associé au projet ?
En  fait,  on  l’a  attendu  plus  d’un  an  parce  qu’il  tourne  beaucoup  et  qu’il  n’était  pas  libre  mais  j’étais  convaincu  que  c’était  le  bon  choix.  C’est  ce  qui  m’a  permis  entre temps de me lancer dans le projet documentaire autour de Douze cordes. Sa prestation dans Baron noir m’avait impressionné. C’est un acteur instinctif, puissant, subtil, avec une palette de jeu incroyable. En plus, il est généreux, partageur, il aime que les gens soient heureux autour de lui. Il a parfaitement compris le personnage d’Etienne : un comédien pas très docile, rugueux, forte tête, sevré de scène et de reconnaissance, qui fait cela parce qu’il n’a pas le choix. Le rêve des comédiens, ce n’est pas forcément d’aller travailler en prison, même si cela peut être passionnant. Quand je suivais Hervé Sika au travail, il se montrait très exigeant avec ses acteurs, parfois dur,  sans  concession.  Il  en  va  de  même  pour  Étienne,  c’est  un  artiste  exigeant  qui  ne joue pas à l’animateur socio-culturel et c’est comme ça qu’il gagne leur confiance et leur respect. Si l’on fait du théâtre, on en fait vraiment. Les détenus testent beaucoup, souvent sur le mode de l’humour. Ils sont attachants mais ils ne sont pas là par hasard. Les incidents sont rares mais il y a de l’instabilité chez eux, un rapport de force peut s’instaurer. Etienne  comprend  qu’il  peut  vite  perdre  la  main  mais  il  s’impose  par  son  autorité  et  sa  passion. Inconsciemment, sa quête de reconnaissance croise celle des détenus, il fait sa «réinsertion», comme lui dit Nina, sa fille, sur un mode un peu vache. C’est un personnage dont on ne sait pas tout de suite si on va l’aimer ou pas mais qui nous touche, d’autant que Kad Merad lui apporte toute son humanité. Etienne est pudique, il ne montre pas ses sentiments. Mais aux saluts, il est fier de ses comédiens et fier de lui.

Et les autres acteurs ?
Transposés  dans  une  réalité  française  contemporaine,  les  personnages  du  film  sont  totalement différents de leurs modèles suédois. Ils sont le reflet de la diversité de notre population carcérale. La rencontre avec leurs interprètes a été miraculeuse. Ils forment une  bande  formidable  :  Sofian  Khammes,  Pierre  Lottin,  David  Ayala,  Wabinlé  Nabié,  Lamine Cissokho et aussi Saïd Benchnafa, le détenu que Kamel vient remplacer. Face à  eux,  j’aimais  l’idée  de  prendre  deux  grands  acteurs,  des  virtuoses.  Marina  Hands  campe une directrice épatante, inattendue et pourtant très crédible, en partie inspirée d’une directrice du Centre pénitentiaire de Nantes que Thierry m’avait fait rencontrer : une ancienne avocate, une personne atypique, très axée sur la réinsertion par la culture. Pour le personnage joué par Laurent Stocker, je voulais que l’on comprenne qu’Etienne et lui sont presque des duettistes, deux tempéraments qui se sont bien entendus, le petit nerveux, le grand un peu empoté. Des directeurs de théâtre comme Stéphane, les comédiens en ont tous connus, mais à la fin il est véritablement touché par ce qu’a fait Etienne.

Comédie de Emmanuel Courcol. 1 prix et 3 nominations au Festival du Film Francophone d'Angoulème (Edition 13).

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