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Tout nous sourit


Tout sourit à Audrey et Jérôme. Ils ont trois merveilleux enfants et leurs métiers les passionnent. Le temps d’un week-end, ils partent chacun de leur côté... Avec leurs amants respectifs. Sauf qu’ils ont la même idée : aller dans leur maison de campagne. Quand ils se retrouvent nez à nez, c'est l'explosion. Arrivent alors les parents d’Audrey, puis leurs enfants et enfin sa sœur. Le quatuor n’a pas d’autre choix que jouer la comédie pour sauver les apparences. Mais très vite le vernis et les nerfs craquent...

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Entretien avec la réalisatrice, Mélissa Drigeard

Pour commencer, pourquoi ce titre : Tout nous sourit ?
"Tout nous sourit", c’est tout ce qu’on oublie. Un peu comme la santé quand on est bien portant. On oublie de voir à quel point c’est extraordinaire de mener de front une vie de couple, une vie de famille, une vie de parents, une vie professionnelle… même si le résultat est bancal, même si ce n’est pas simple tous les jours, c’est une réussite. Et comme on oublie de le voir, on oublie de le chérir, de le protéger, de l’apprécier. C’est ce qui arrive à Jérôme et Audrey : ils ont oublié leur chance et par un coup du sort, elle se venge.

On "vit" ce film avec un sentiment profond d'authenticité. S'inspire-t-il, même librement, d'événements vécus ? 
J'avais une vraie envie avec Vincent Juillet, mon coauteur, d'écrire un film sur la famille pour des raisons personnelles. Et le point de départ est un prétexte pour raconter d'autres choses. D'ailleurs, tous nos personnages sont dans une sorte d'acte manqué, puisqu'ils croient venir dans cette maison pour une autre raison que la raison "officielle". C’est d’ailleurs cet "acte manqué" qui va leur permettre de réussir autre chose. Pour autant, le film ne s’inspire pas d’événements vécus littéralement, fort heureusement, mais j’espère, je crois, que ce que vivent les personnages, parle à tout le monde. Ça parle de se serrer les coudes, de protéger les gens qu’on aime, des mensonges utiles… Au bout du compte, on parle toujours d’amour. 

Le film évoque, sous une forme résolument moderne, la trame et les figures du vaudeville.
Oui, les personnages débarquent tous dans un lieu unique et il y a même une porte qui claque ! Mais le film suit un mouvement : la scène d'ouverture se déroule dans une ambiance très quotidienne, puis il y a un virage vers cette maison où on se retrouve dans le cadre d’un vrai vaudeville – même si les dialogues ont l’authenticité de la vie – et enfin on repart vers la vie et on sort de la maison. J’ajouterais qu’il y a dans la trame du vaudeville quelque chose d’authentiquement tragique et humain, de drôle et pathétique, qui me touche et me parle énormément. 

À ce propos, la séquence où Jérôme et Audrey se moquent – gentiment – de leur fils cadet est irrésistible…
Il y a une complicité entre eux qui est au-delà de ce qu’ils vivent. J’aimais bien l’idée qu’ils ne soient jamais vus en train se disputer car là n'est pas le sujet. Il y a quelque chose de presque plus fort qu’eux et que leur histoire : c’est celle de tous les membres de la famille derrière le patriarche. C’est donc Henri (Guy Marchand) qui est central, et c’est pourquoi, dans la salle des fêtes, on ne voit pas Audrey et Jérôme ensemble, même si on a très envie de les imaginer ainsi.

Tous les personnages mentent et, surtout, se mentent à eux-mêmes. Leur trajet est-il censé les réconcilier avec un peu de vérité ?
Absolument ! Et finalement peu importe leurs arrangements avec la vérité ou leurs "pieux mensonges" : l’essentiel est l’amour qui lie tous ces personnages car ils sont dysfonctionnels mais ils fonctionnent ensemble ! C’est avec leurs défauts et leurs imperfections qu’ils vivent les uns avec les autres, et c’est ce qui les rend délicieux et attachants. C'est aussi ce qui m'émeut le plus chez eux. Un peu comme dans ma famille, où les réunions sont chaotiques, où tout le monde s'aime mal, mais où tout le monde s'aime quand même.

On peut aussi se dire que l'enjeu est cette réunion de famille improvisée et fortuite, qui, sans les infidélités et les mensonges, n'aurait sans doute jamais eu lieu… 
J’aime bien, du point de vue dramaturgique, que les enjeux changent au fur et à mesure. Inéluctablement, l’enjeu dure tout au long du film mais il se décale et constamment quelque chose le relance. Pourtant, l’aboutissement n’advient pas de ce qui guide les personnages vers cette maison mais se matérialise dans la justification de leur présence en ce lieu. On y arrive par touches, par sensations, en explorant les sentiments et les émotions de chacun : qu’Audrey, petite célébrité, préfère se cacher dans la maison plutôt que d’aller à l’hôtel avec son amant ou qu’une maîtresse insistante préfère aller chez Jérôme plutôt que d’aller à l’hôtel ne sont que des prétextes. Ce sont des éléments qui tissent l’histoire pour révéler l’essentiel, car ce qui compte, c’est Henri, le patriarche, qui n’imaginait pas que la vie lui ferait un tel cadeau.

Audrey et Jérôme ont du mal à assumer leurs infidélités…
Ils n'assument pas trop, certes, mais les amants ne sont que des accessoires, sans beaucoup d'importance dans l'histoire et dans leur vie. Jérôme est amoureux de l'image que sa maîtresse lui renvoie, et pour Audrey, le bel Italien apporte quelque chose de charnel mais de superficiel dans sa vie. 

Jérôme est flatté qu'une charmante jeune fille, très cultivée de surcroît, s'intéresse à lui et Audrey se sent regardée à nouveau… 
Ils se retrouvent tous les deux face à un "miroir". Audrey dit avoir eu envie de quelque chose de léger, mais ce qui compte vraiment pour elle, ce sont les liens dans la famille. Délibérément, j’ai construit toute ma mise en scène pour montrer l'amant et la maîtresse toujours en arrière plan, flous, mis à distance, comme des fantômes ou des silhouettes, sauf pendant les repas.

Si chacun des deux protagonistes parvient le plus souvent à se contenir, il ou elle explose à un moment donné… pour notre plus grand bonheur !
Il y a un peu de moi en Audrey, car j’ai des goûts plutôt populaires et chez Jérôme on retrouve le garçon très cultivé qu’est Vincent. Ce que je n’assume pas complètement dans la vraie vie, je l'assume à travers le personnage d'Audrey. Et c’est ainsi qu’ils s'aiment : Jérôme l'aime parce qu'elle a des goûts populaires, parce qu’elle n’est pas une cérébrale mais une charnelle, et qu'elle déborde toujours un peu du cadre. Elle est toujours dans l’émotion et l’excès, et c’est ce qui manque à Yseult bien qu'elle soit magnifique, cultivée, et jeune. À l'inverse, Jérôme est plus un cérébral, davantage dans la mesure et la maitrise. Même son "pétage de plomb" est plus structuré que celui d'Audrey. 

Audrey tient par-dessus tout à préserver ses parents, et surtout son père malade. Mais le père n'est pas dupe et il est touché qu'ils prennent tant de précautions pour lui cacher la vérité.
Nous avons choisi de construire un personnage très attaché aux apparences : dès le début, Audrey exprime sa crainte d’être reconnue. Pourtant, elle réalise que son week-end avec l’Italien fait un peu d’elle une caricature. De même, elle prétend ne pas fumer alors qu'elle grille cigarette sur cigarette, et dès que son père toque à sa porte, elle supplie Jérôme de ne rien en dire car "ça le tuerait" !

La sœur, formidable personnage secondaire, est aussi un catalyseur pour le couple. C'est peut-être elle qui les sauve ?
En effet, dans la séquence de la chambre où elle vient parler au couple, elle expose tout le sujet du film. C’est elle qui énonce ce qui prime dans la vie : la chance d'avoir une famille sur qui compter. Elle leur dit "je vendrais un rein pour avoir votre vie !" Elle relativise aussi l’infidélité et sait rappeler ce qui les unit. Elle est lucide : ils sont peut-être dysfonctionnels, mais l’essentiel est qu’ils forment une famille et fonctionnent tous ensemble.

Comédie de Mélissa Drigeard. 3 prix et 3 nominations au Festival Internationnal du Film de Comédie de l'Alê d'Huez 2020 (Edition 23). 3,3 étoiles sur AlloCiné.

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