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Stillwater


Travaillant sur des plateformes pétrolières, Bill Baker est un homme taiseux et taciturne qui a longtemps négligé sa famille. Il décide de faire le voyage de l’Oklahoma jusqu’à Marseille pour aller voir sa fille Allison, dont il n’a jamais été proche, mais qui est incarcérée pour un meurtre qu’elle affirme ne pas avoir commis. Quand Allison lui parle d’un nouvel indice susceptible de l’innocenter, Bill se retrouve confronté à la barrière de la langue et à un système judiciaire complexe qu’il ne comprend pas. Avec l’aide de Virginie (Camille Cottin), une comédienne rencontrée par hasard, il se met en tête de s’occuper lui-même de l’affaire et de prouver l’innocence de sa fille…

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Note d'intention du réalisateur, Tom McCarthy

J’ai commencé à travailler sur Stillwater il y a environ dix ans. Au départ, j’avais l’intention de réaliser un thriller situé dans une ville portuaire d’Europe. J’étais inspiré par plusieurs auteurs de polars méditerranéens, comme Andrea Camilleri, Massimo Carlotto, et Jean-Claude Izzo dont la brillante trilogie marseillaise m’a fait découvrir la cité phocéenne. Il m’a suffi de me rendre une fois à Marseille pour savoir que j’avais trouvé ma ville portuaire. L’atmosphère et les couleurs de la ville étaient, de toute évidence, cinématographiques – et le mélange de cultures, comme le rythme de cette métropole méditerranéenne, me semblait être le cadre idéal du film. 

Mais quand j’ai lu la première mouture du scénario, je me suis rendu compte que ce n’étais pas le film que je voulais faire. Il y manquait de la profondeur, de l’humanité et un point de vue – autant d’éléments essentiels qui m’ont toujours plu dans le polar méditerranéen. Ces romans s’attachent à la vie des personnages, au-delà de la dimension criminelle de l'intrigue. Au bout du compte, je voulais que mon film suive le même chemin. 

J'ai mis le scénario de côté et, sept ans plus tard, je l'ai relu avec un nouveau regard. Sa construction me plaisait toujours, mais mes réserves demeuraient intactes. Ce n'était toujours pas le script que j'avais envie de porter à l'écran. Du coup, j'ai sollicité deux scénaristes français, Thomas Bidegain et Noé Debré. Je leur ai envoyé la première version du scénario dont je disposais et nous avons eu une discussion via Zoom assez gênante, où ils m'ont pointé quelques défauts majeurs. Je me suis rendu à Paris quelques semaines plus tard et nous avons passé une semaine ensemble, enfermés dans une pièce, à tenter de remanier le film. C'était le début d'un processus d'écriture qui a démarré à l’automne 2016 et qui a duré un an et demi. 

Bien entendu, entre temps, le monde avait changé. Les États-Unis s’étaient laissés dangereusement séduire par les sirènes du populisme, et les Américains étaient non seulement de plus en plus divisés entre eux, mais s’étaient coupés du reste du monde. Cette sombre réalité nous a offert une nouvelle perspective sur le périple de Bill à l’étranger, tandis qu’il tente de s’en sortir dans un pays dont il ne connaît ni la culture, ni la langue, ni le système judiciaire, dans le but de sauver sa fille unique.

Ce qui était stimulant dans cette phase de réécriture du scénario dans ce contexte, c’était la possibilité de renverser les préjugés sur Bill – à la fois en tant que « héros américain » emblématique et protagoniste du film, mais aussi comme outsider débarquant dans un pays où il est vu sous un certain angle. À plusieurs moments, on découvre que Bill a des failles et que, malgré tous ses efforts, il n’arrive pas à échapper à son passé. On s’est penché sur l’autorité morale qu’incarne l’Amérique dans un pays et un monde où le nationalisme gagne du terrain. Même quand nous avons le sentiment que nos motivations sont nobles, la myopie peut perturber nos repères moraux. 

Par ailleurs, on estimait que le spectateur est tellement conditionné qu’il s’attend à ce que rien n’arrête le héros pour protéger sa famille ou faire ce qu’il croit juste. Si le film était un pur thriller, on saluerait l’acharnement de Bill à poursuivre cet objectif. Mais ce qui nous intéressait, c’était d’explorer les conséquences personnelles de cet acharnement. Il finit par obtenir ce qu’il cherchait, mais à quel prix ? Qu’est-ce qu’il sacrifie, et qu’est-ce que ce genre d’état d’esprit raconte de notre monde ? 

Vivre et tourner à Marseille a eu un très fort impact sur le film. On n’a pas tourné une seule journée en studio. Je sentais que mon équipe se plongeait de plus en plus dans la ville, et plus on se laissait imprégner par l’atmosphère des différents quartiers, plus la ville se livrait à nous et se révélait. Des sublimes Calanques à l’imposant Vélodrome jusqu’à la vieille prison des Baumettes, le moindre site, le moindre lieu, nous a inspirés et galvanisés. Et je tiens à remercier notre chef-décorateur Phil Messina qui a su créer des décors authentiques et intimes à Marseille.

Même si on a tourné l’essentiel du film à Marseille, le passé de Bill en Oklahoma joue un rôle important dans l’intrigue et la construction du personnage. On a cherché à évoquer l’impact que ces deux lieux – Marseille et l’Oklahoma – ont sur Bill et Allison grâce à la photo magnifique de Masa Takayanagi. On a décidé d’entamer le tournage en Oklahoma et de filmer les premières scènes avec des objectifs anamorphiques. Ce dispositif met en valeur la solitude et l’isolement de Bill dans le plan, encore renforcés par une faible profondeur de champ et un très grand angle. La caméra, elle, était immobile, fixée au sol. Cependant, lorsque Bill descend de l’avion et débarque à Marseille, la caméra se met à bouger. L’énergie, la spontanéité, l’âpreté de Marseille ont été captées par une caméra à l’épaule pour l’essentiel des séquences marseillaises. 

Enfin, quand on revient en Oklahoma, on a filmé avec des objectifs sphériques, comme si Bill était encore marqué par son passage à Marseille. Mais la caméra redevient statique, signe que cette région des États-Unis n’a pas changé – seuls Bill et Allison ne sont plus les mêmes. On a tourné la dernière scène à l’épaule pour cerner l’intimité et l’urgence du moment et pour mettre l’accent sur le rapport affectif qui lie nos personnages à Marseille, ville qui continue à les hanter.

De l’écriture au tournage, Stillwater est, profondément, le résultat d’une collaboration, non seulement de talents, mais de cultures cinématographiques différentes. Je me suis constamment remis en question et me suis interrogé sur ma démarche et mes motivations, pourtant solidement ancrées, et je me suis appuyé sur mes collaborateurs français, dont j’ai beaucoup appris. Et bien que j’aie conservé mon noyau dur (mon chef-opérateur Masanobu Takayanagi, mon chef-décorateur Phil Messina et mon 1er assistant Walter Gasparovic), je crois bien que 90% de l’équipe était française. Chaque étape du tournage a été nourrie par le temps qu’on a passé en Oklahoma et à Marseille, dont les codes culturels sont diamétralement opposés, et par les nombreux habitants qui nous ont fait part, avec générosité, de leur point de vue et de leur témoignage pendant qu’on écrivait le scénario. 

Je voudrais conclure en insistant sur le fait que Matt Damon a joué un rôle décisif dans l’aboutissement de ce projet. Tous nos acteurs ont été épatants, de Camille Cottin à Abigail Breslin, sans oublier mon « arme secrète », Lilou Siauvaud. Mais c’est le jeu de Matt qui donne sa colonne vertébrale au film. Peu de comédiens au monde sont à même de s’investir autant dans un personnage, tout en disparaissant totalement derrière leur rôle. Dès que Matt a été engagé, j’ai senti que je comprenais Bill et sa trajectoire, malgré sa complexité et ses ambigüités. Le film n’aurait pas pu se faire sans lui. 

Stillwater parle de la nature humaine, de ce qui nous pousse à prendre nos décisions, et du fait que nos valeurs morales peuvent être corrompues par notre passé, par la société et par notre amour pour nos proches. Il parle de notre regard sur notre obligation morale. C’est un récit d’émancipation qui parle de la culpabilité et de la honte qui nous aliènent et nous emprisonnent. C’est un film qui parle de notre besoin de se sentir aimé et de se sentir utile. Et c’est un film que je ne me sentais pas prêt à faire jusqu’à présent.

Thriller, drame de Tom McCarthy. 3,3 étoiles sur AlloCiné. 1 nomination au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2021 (Edition 47). 1 nomination au Festival de Cannes 2021 (Edition 74).

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