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Amants


Lisa et Simon s’aiment passionnément depuis leur adolescence et mènent la vie urbaine et nocturne des gens de leur âge. À la suite d’une soirée qui tourne mal et dont l’issue n’est autre que la prison pour Simon, il décide de fuir. Lisa attend alors des nouvelles de Simon qui ne viendront jamais. Trois ans plus tard, dans l’Océan Indien, elle est mariée à Léo quand leurs destins se croisent à nouveau...

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Entretien avec la réalisatrice, Nicole Garcia

Quelle a été la genèse de cette histoire ? 
Pour la première fois, l’idée ne vient pas de moi. Après MAL DE PIERRES, je me demandais quel serait le sujet de mon prochain film et c’est toujours un moment mystérieux. Je suis en quête de quelque chose dont je ne sais rien. Le projet prend corps, peu à peu, à partir d’un fragment d’idée, d’un détail qui sert de pierre d’achoppement. Or cette fois, Jacques Fieschi, le scénariste avec qui je travaille depuis toujours, m’a proposé cette histoire, qu’il avait largement élaborée. Il avait eu le projet d’en faire un roman. Je l’ai perçu comme une chance, ça m’ouvrait une voie nouvelle. On pouvait accrocher ce récit au film noir, au thriller. C’est un genre qui m’attire depuis longtemps. Pour ses ambiances, sa caractérisation des personnages, peut-être un autre rapport affectif avec eux à découvrir. Mes films sont souvent construits sur la présence d’un passé où rôdent des menaces, une peur que le film peut magnifier. Peut-être une façon de s’en débarrasser pour soi-même…

Pourquoi raconter l’histoire en trois actes ? 
Trois actes, trois personnages, trois lieux. Peut-être un écho géographique au trio amoureux. Plus concrètement, ce rythme ternaire nous a permis de jouer avec les ellipses que contient cette histoire, de creuser la personnalité, les émotions, les secrets des amants soumis à la fuite du temps. On parle, dans tout le film, autant des sentiments au présent que de leur place dans la mémoire des personnages, là où la source est la plus mystérieuse. 

Dès le premier acte, la mort s’invite. Pourquoi cette carte est-elle si vite abattue ? 
Lisa et Simon sont jeunes, ils sont beaux, ils s’aiment depuis toujours. C’est presque trop. Ils vont tout de suite se heurter à cette épreuve. Elle est accidentelle, certes, mais Simon ne veut pas appeler les secours. Ce sera sa mauvaise conscience tout au long du film. Ils nettoient tous les deux le lieu comme une scène de crime. Dès cet instant, et même dans les eaux claires, magnifiques, de l’Océan Indien, on sait que le noir ne se diluera pas. C’est un tatouage, l’empreinte indélébile de l’instant fatal qu’ils ont vécu ensemble et qu’ils ne parviendront pas à effacer. 

Diriez-vous que le film est une tragédie ?
Le premier plan du film, c’est la découverte du couple de Lisa et Simon. Leurs corps nus se détachent peu à peu d’un drap noir qui les épouse ou les dévore. Il y a du tragique chez les personnages, surtout chez Simon, même si je n’en avais pas autant conscience en l’écrivant. Pendant le tournage, Pierre Niney m’a surprise en s’abandonnant à ce vertige. Mais il y a d’autres rimes. Le personnage de Nathalie, par exemple, qui ressurgit dans la vie de Lisa au troisième acte. Celle-ci vit dans une bulle à Genève avec Léo, celle des gens privilégiés qui naviguent entre la Suisse, New York, Dubaï et Paris. Le retour de Nathalie la désigne comme une figure du destin autant qu’il porte un regard sur ces sociétés d’argent aujourd’hui. J’ai déjà filmé l’argent, le luxe et les abîmes qu’ils recouvrent. Dans PLACE VENDÔME par exemple. Pour parler des sentiments et les mettre à l’épreuve, nous avons souvent placé nos personnages face à l’argent, pour en débusquer l’intimité.

Parlez-nous de votre héroïne, Lisa. Qui est-elle ? 
Des trois personnages principaux, c’est sûrement la plus ambivalente. Stacy Martin lui a prêté une mélancolie personnelle, un détachement apparent que je trouve très justes. On découvre Lisa dans une grande dépendance vis-à-vis de Simon car il est son passé et, croit-elle, son avenir. Quand Simon l’abandonne, elle sombre. Sa déception est abyssale. Elle glisse dans un état de prostration et de désespérance. C’est alors qu’arrive Léo, le deuxième homme. Il peut la réparer par la force de son amour, la tranquilliser par la puissance de l’argent. Comme Simon, Lisa vient d’un milieu modeste de banlieue, et soudain, elle enjambe l’abîme qui sépare ces deux mondes. De l’école hôtelière aux hôtels de luxe, sa métamorphose paraît réussie. Elle peut avoir adoré un premier homme et se laisser adorer par un deuxième. « Come tu mi vuoi », comme tu me veux a écrit Pirandello. Lisa va être comme on veut qu’elle soit. Jusqu’au jour où Simon réapparaît. Va-t-elle revivre cet amour fou, intact en elle, « peser» le confort du luxe et de l’argent  ? Peut-elle revenir en arrière, ou veut-elle tout posséder, comme le choc des contraires, si loin du détachement qu’on lui prêtait au début du film ? Est-elle la proie de ces deux hommes ou cherche-t-elle confusément à s’éloigner de leur emprise ? Les personnages féminins de mes films sont souvent maltraités, humiliés par les hommes, bousculés par les fictions qu’ils projettent sur elles. Elles sont dos au mur. En se perdant, elles se cherchent. Peut-être, à la fin, Lisa s’est-elle trouvée, seule.

Et Simon ?
Simon est un personnage tragique. Et ce qui me trouble encore, c’est que je ne le savais pas quand je l’écrivais. En tout cas, je ne me l’étais pas formulé de cette manière. Il était loin de moi. Je n’arrivais pas à qualifier sa noirceur, sa mélancolie. C’est quand Pierre Niney l’a fait basculer du côté du tragique que le film tout entier s’est révélé à moi. Il a beau fuir à l’autre bout du monde, sa mauvaise conscience le condamne à l’échec. Quand il retrouve Lisa, qui a basculé dans un autre monde, il trouve dans cette humiliation la trace de sa culpabilité. Il ne peut plus revenir en arrière. Il va la suivre à Genève, se faire offrir une petite vie, une chambre, un manteau. Il tente de résoudre pour elle l’impossible équation de leur amour. Le conflit qu’il va connaître envers Léo est encore attisé par cette infériorité sociale. Il est le dominé. 

Face à eux deux, tel un taureau sensible, Benoît Magimel habite des contradictions puissantes. 
Benoît Magimel a été un autre grand allié pour moi. Mais lui, je le connaissais. Il impose dans Léo cette figure d’homme d’affaires taciturne, brutal dans ses silences, violent, dominateur, habité par sa puissance sociale. Il y a aussi en lui une douceur, une fragilité et un amour inconditionnel. Même quand il entrevoit le complot dont il se sait la cible, il continue à aimer. Le magnétisme de Benoît Magimel renforce le caractère de Léo. Il sublime la grâce et cette froide fureur des hommes qui aiment sans l’être en retour. 

En dépit de son élan romanesque, la volupté des décors et de l’image, le film est ancré dans le dur contexte social du monde d’aujourd’hui.
Dur, et même âpre, oui. Le film commence dans la vie urbaine et nocturne des jeunes gens d’aujourd’hui où l’argent circule vite et froidement. Puis d’autres mondes se dévoilent, d’autres pesanteurs sociales. D’autres barrières qui deviendront humiliantes quand l’un des deux amants aura tourné le dos au camp qui est le sien. Autant dans les rapports sociaux, qui deviennent de plus en plus tranchés et cadenassés, que dans les plus intimes, on est tous blessés par cette âpreté du monde où l’on ne joue plus sans s’abîmer. C’est, je crois, ce que le film veut dire sur notre présent.

Drame, thriller de Nicole Garcia. 1 nomination au Festival du Film Francophone d'Angoulême 2021 (Edition 14)

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