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Julie (en 12 chapitre)


Julie, bientôt 30 ans, n’arrive pas à se fixer dans la vie. Alors qu’elle pense avoir trouvé une certaine stabilité auprès d’Aksel, 45 ans, auteur à succès, elle rencontre le jeune et séduisant Eivind.

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Entretien avec le réalisateur, Joachim Trier

D’où vient Julie (en 12 chapitres) ?
Mon précédent film, Thelma, se passait dans un monde et parlait de personnages qui n’appartenaient pas à ma propre vie. C’était un film de genre, avec du suspens et une dimension fantastique.  Après  ce  film, j’ai  eu  envie  de  revenir  aux  fondamentaux, de  traiter  des  idées,  des personnages, des situations proches de mon vécu et du cinéma que j’ai toujours aimé. Ça a débuté presque comme une thérapie : de quoi ai-je envie de parler maintenant ? J’ai passé les 40 ans, j’ai vu mes amis vivre toutes sortes de relations de couple et j’ai ressenti le désir de parler d’amour, et de l’écart entre le fantasme de la vie que nous aurions rêvé de mener et la réalité de ce que sont nos vies. Le personnage de Julie a commencé à prendre forme : une jeune femme spontanée, qui croit qu’on peut changer de vie à sa guise et qui recherche ça, puis qui se retrouve un jour confrontée aux limites du temps et à celles de chacun y compris les siennes. Il n’y a pas un nombre infini d’opportunités dans une existence.

Souhaitiez-vous passer en revue tous les questionnements d’une jeune femme de notre époque (sur l’amour, le sexe, le couple, la maternité, l’âge adulte, la carrière professionnelle...) ?
Certaines de ces questions sont existentielles et communes aux hommes et aux femmes. Ce film traite de  comment  les  relations  amoureuses  reflètent  nos  attentes  existentielles.  Dans  notre  culture occidentale, on a été élevés dans l’idée que l’amour et la carrière sont les endroits où s’épanouit une vie. Ça dépasse donc le genre. Mais vu que Julie est un personnage féminin, je ne peux pas ne pas réaliser un film sur les femmes, à condition de ne pas généraliser. Ce film traite avant tout de l’individu Julie, je ne voulais pas faire un exposé sur «la femme de notre temps » ! Cet aspect de regard sur le féminin fait naturellement son chemin dans le film, à travers des situations sincères, humoristiques, satiriques, et à travers diverses anecdotes que j’ai vécues ou imaginées. 

Julie se met en couple avec Aksel, un homme séduisant, intelligent, amoureux, attentionné. Et pourtant, Julie semble insatisfaite. Pour quelles raisons ?
Ils s’idéalisent trop l’un et l’autre. Aksel est plus âgé et plus accompli professionnellement, alors que Julie se cherche et se fuit. D’une certaine manière, elle joue le rôle de la jeune fille futéeet marrante, mais au bout d’un moment, elle se demande : dans ce couple, où est mon espace pour grandir ? Un des grands thèmes du film est le temps : peut-être que la relation entre Aksel et Julie ne fonctionne pas pour une simple question de mauvais timing, parce que chacun d’eux n’en est pas au même point dans sa vie. Très souvent, dans les comédies romantiques comme dans la vraie vie, nous sommes élevés dans l’idée de rencontrer la bonne personne –comme s’il existait une essence de la bonne personne ! Mais le temps et l’essence sont deux choses complètement différentes ! Même quand on rencontre un être avec qui ça se passe bien, les choses peuvent foirer parce que les désirs existentiels ne coïncident pas : mauvais timing. 

Il y a un grand moment dans Julie (en 12 chapitres), quand Julie s’incruste dans une fête et rencontre Eivind. Comment avez-vous imaginé cette séquence et que souhaitiez-vous exprimer à travers elle ?
L’idée était d’interroger les limites de la fidélité. Qu’est-ce qu’être infidèle ? Julie et Eivind inventent un jeu ensemble plutôt que de se jeter directement dans un rapport sexuel. Cela questionne avec humour  les  fondements  philosophiques  de  notre  cadre  monogame:  qu’est-ce  qui  est  interdit  et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Julie et Eivind ne font rien de mal, mais en même temps, tout ce qu’ils font dans cette fête est risqué. Qu’est-ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur de cette subtile structure sociale du couple avec laquelle nous jouons tous ? Voilà un bon endroit pour creuser un film sur les relations amoureuses. 

Julie finit par quitter Aksel pour Eivind. Qu’est-ce qu’Eivind lui apporte et qu’Aksel ne pouvait pas lui donner ?
Le sentiment de la liberté. Eivind a à peu près le même âge que Julie, il travaille dans une cafétéria, et avec lui, elle ne ressent pas la pression de prouver ses ambitions de carrière, ou de devenir une mère ou une future épouse. Eivind est gentil, doux, moins exigeant qu’Aksel. Mais cette relation avec Eivind révèle à Julie son angoisse d’être intimement proche d’un autre être. L’existence est courte, on n’a pas le temps de vivre plusieurs vies et parfois, les choses ne vous arrivent pas dans le bon ordre. 

Julie n’est pas toujours sympathique, elle est même parfois désagréable comme dans la scène où elle méprise ouvertement Eivind... Vouliez-vous éviter le cliché des bons et des mauvais personnages et montrer les êtres dans toute leur complexité ? 
Je suis fan d’une approche humaniste de la dramaturgie, quand on peut montrer les conflits intérieurs des personnages, leur effort pour bien se comporter et parfois leur échec à y parvenir, un peu comme nous tous. Cette approche me semble plus juste et plus intéressante. Comme le personnage d’Oslo, 31 août, Julie aspire à trouver la bonne connexion avec autrui. Et même si Julie (en 12 chapitres) comporte des aspects de comédie, Julie porte en elle une forte mélancolie. Elle sabote ses relations amoureuses pour  des  raisons  que  je  laisse  à  la  libre  appréciation  du  public,  mais  je  pense  que  ce  penchant autodestructeur est un aspect intéressant de sa personnalité. Julie est une « imperfectionniste ». Elle hésite entre tel ou tel homme comme dans toutes les comédies romantiques, mais au bout du compte, elle devrait surtout penser un peu à elle. Nous avons toutes et tous besoin de trouver l’amour, mais aussi de parvenir à accepter qui nous sommes. Le film se passe sur plusieurs années de sorte que Julie a le temps d’évoluer et de traverser différentes étapes, ce qui répond à votre question sur le fait qu’elle ne soit pas toujours aimable. 

Peut-on dire que Julie sait exactement ce qu’elle ne veut pas mais ne sait pas exactement ce qu’elle veut ?
Oui, je suis d’accord avec cette formule. Cette idée d’accomplissement, de se trouver soi-même, de devenir quelqu’un, ça peut être tellement paralysant et compliqué. Et la vie nous laisse tellement peu de temps pour résoudre au mieux cette difficile équation ! Dans les premières scènes du film, on peut voir que Julie se sent déjà en échec alors qu’elle n’a même pas encore 30 ans ! Et la pression sociale attend  d’elle  qu’elle  noue  une  relation  au  long  cours, stable, qu’elle  ait  des  enfants,  etc...  C’est exactement là que se noue le drame de ce film. 

Drame, comédie de Joachim Trier. 1 nomination au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2021 (édition 47). 1 prix et 13 nominations au Festival de Cannes 2021 (édition 74). 

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