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La dernière vie de Simon


Simon a 8 ans, il est orphelin. Son rêve est de trouver une famille prête à l’accueillir. Mais Simon n’est pas un enfant comme les autres, il a un pouvoir secret : il est capable de prendre l’apparence de chaque personne qu’il a déjà touchée… Et vous, qui seriez-vous si vous pouviez vous transformer ?

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Entretien avec le réalisateur; Léo Karmann

D’où vous est venue l’idée de ce scénario ? 
Avec Sabrina B Karine, la coscénariste du film, on cherchait à faire un premier long-métrage qui ressemble au cinéma que l’on aime depuis toujours. On voulait absolument qu’il prenne ses racines dans les films avec lesquels nous avons grandi dans les années 80, ceux notamment de Spielberg, Cameron et Zemeckis : ce cinéma qui nous faisait rêver et passer par toutes les émotions ; celui qui, tout en nous divertissant, nous faisait réfléchir à notre propre vie. L’objectif était donc de trouver une idée qui à la fois s’inscrive dans cet univers, et soit envisageable en terme de production dans les réalités économiques d’un premier film en France. Jusqu’au jour où j’ai pensé à une histoire autour d’un personnage capable de prendre l’apparence de n’importe qui. Sabrina a aimé ce point de départ et on a commencé à travailler. Très vite, on s’est dit qu’il serait intéressant que ce personnage soit un adolescent : s’il y a bien une période de notre vie où on rêve d’être quelqu’un d’autre, c’est bien celle-ci  ! L’adolescence, c’est l’âge des paradoxes : on doute de soi, on se déteste, et en même temps, on aimerait bien s’affirmer… Mais comment se construire si on n’arrive jamais à être soi-même ? Simon, c’est cette dynamique-là : un ado persuadé qu’il doit être un autre pour qu’on l’aime, alors qu’il doit simplement trouver en lui assez d’assurance pour pouvoir aimer et être aimé. 

Vous avez imaginé cette histoire il y a maintenant une dizaine d’années alors que Sabrina et vous étiez encore à peine sortis de l’adolescence. Pourquoi Estelle restée si longtemps dans les placards ?
Dans notre pays, l’industrie du cinéma ne donne pas assez sa chance aux jeunes. C’est un vrai problème. L’âge moyen des réalisateurs franchissant l’étape du premier long-métrage est d’environ 40 ans. Or, on ne tourne pas à 40 ans les films qu’on aurait faits à 30, et encore moins à 20. Les sujets ne sont pas les mêmes et s’ils le sont, on ne les tourne pas de la même façon. « La Dernière Vie de Simon » parle d’amour sacrificiel : c’est une thématique qui touche essentiellement les ados. J’ai dû la traiter du haut de mes… 30 ans. C’était limite ! Si nous avions fabriqué ce film en seulement cinq ans, il aurait sans doute été très différent, on ne l’aurait pas raconté de la même façon. Il ne faudrait pas commencer le cinéma trop tard. Cela prive de beaucoup de sujets. 

Vous êtes donc un «  primoréalisateur  ». Sur le plateau, vous êtes-vous fait «  épauler  » par des techniciens chevronnés ?
Il faut être logique avec soi-même. Sur La Dernière Vie de Simon, la moyenne d’âge de l’équipe était de 28 ans. On ne peut pas râler à propos de la difficulté pour les jeunes réalisateurs de faire un premier film pour ensuite ne pas, à son tour, donner leur chance à des jeunes chefs de poste. À quelques exceptions près, c’était un premier film à ce niveau de responsabilité pour la plupart d’entre eux. Je me suis entouré de beaucoup d’excellents techniciens avec qui j’avais déjà collaboré par le passé, et j’ai aussi fait de formidables nouvelles rencontres artistiques… Ce qui m’était le plus important, c’était de m’entourer d’artistes qui se passionnaient tout autant que Sabrina et moi pour cette histoire.

Quel a été votre parcours ?
J’ai fait une école de cinéma dont je suis sorti en 2010. Pendant cinq ou six ans, j’ai fait à peu près tous les métiers en tant qu’assistant : casting, scripte, réalisation, etc…, à la télévision et au cinéma. Quand je n’étais pas sur les plateaux, j’écrivais avec Sabrina. On a monté un collectif de jeunes scénaristes qui s’appelle « Les Indélébiles ». On se réunissait tous les 15 jours pour échanger sur nos textes. En fait, c’est sur le tas, en lisant les autres, en échangeant avec eux, que Sabrina et moi avons véritablement appris à écrire. 

La Dernière Vie de Simon est une histoire à la fois dramatique, surnaturelle  et qui excluait d’afficher toute «  star  » à son générique. Pour votre premier scénario, vous n’êtes pas allés vers la facilité… 
C’est vrai qu’on a essuyé un certain nombre de refus (rires). On avait beau réécrire en tenant compte des remarques qu’on nous faisait, on finissait toujours par nous opposer que notre histoire était trop «  fantastique  » et qu’« ici, à Paris, on ne fait pas ça ». Quelqu’un nous a même dit que si notre projet avait eu un réalisateur coréen, il l‘aurait pris  ! C‘est très symptomatique du fait qu’en France, tout ce qui sort du réalisme, du social ou de la comédie est très difficile à monter, surtout si on n’a pas le soutien d’acteurs connus… On ne s’est pas découragé et, un jour, il y a trois ans, on a rencontré Grégoire Debailly, qui a eu un coup de cœur pour notre histoire, qui était prêt à prendre le risque, à participer au pari. Je me souviens qu’il nous a expliqué qu’aujourd’hui, pour arriver à financer un film, il faut soit un casting avec des comédiens célèbres, soit un réalisateur connu, soit un scénario béton. Comme nous ne répondions pas aux deux premières conditions, on s’est sérieusement repenché sur le texte… Nous sommes allés jusqu’à une version douze de scénario ! 

Votre film est d’une construction diabolique. Il démarre d’une façon très intimiste, très familiale et assez dramatique, puis il s’engouffre dans le fantastique et il finit dans le thriller. Dans quel genre le situez-vous ?
Une de nos références, c’est « E.T. » de Spielberg  : il commence lui aussi dans une sphère intime (un alien dans une maison) et se termine par une coursepoursuite suivie par le monde entier. On souhaitait que notre film épouse ce genre de trajectoire : un enfant qui a un secret qu’il dévoile à ses copains, une histoire intime que seuls les personnages principaux et les spectateurs partagent, avant que le monde entier, dans sa cruauté face à l’inconnu, ne menace ce fragile équilibre… Ce qui compte quand un film navigue entre les genres, c’est de ne jamais perdre les personnages. Je suis persuadé qu’on peut se permettre des changements de genre sans qu’une histoire ne perde de son unité tant que l’émotion reste la priorité absolue. 

En écrivant, avez-vous pensé au casse-tête et au coût des effets spéciaux ? 
Oui, bien sûr. C’est important de ne pas perdre les réalités économiques de fabrication d’un film quand on l’écrit. D’ailleurs, quand on a commencé l’écriture, on se disait qu’un personnage capable de changer d’apparence, c’était juste plusieurs acteurs qui jouaient le même rôle  ! Ça ne nous semblait pas cher  ! Finalement, même si la plupart des transformations dans le film sont davantage suggérées que véritablement montrées, il a fallu réfléchir à quoi ça allait ressembler. Une de mes préoccupations était de crédibiliser l’effet «  morphing  », en le rendant le plus «  naturel  » possible. Je voulais que ce soit un effet « physique », davantage que « magique », et pour cela on s’est inspiré de ce qui existe déjà dans la nature  : du caméléon, doué d’homochromie (capacité à changer de couleur pour se fondre dans le décor), mais surtout de la seiche, douée non seulement d’homochromie mais aussi d’homomorphie, capacité à modifier la forme et la texture de son corps. Les deux capacités réunies ont un nom  : l’homotypie. Et c’est de ce «  pouvoir  » (légèrement amélioré évidemment) qu’est doté Simon. Sauf pour quelques déformations de vêtements où on a utilisé un peu de 3D, on s’est limité à du morphing 2D, c’està-dire un effet uniquement fabriqué à partir de vraies images. Pour chaque transformation, on avait deux acteurs sur fond vert, avec des gommettes sur le visage. On prenait la dernière image de l’acteur A sur laquelle, grâce à un appareil appelé mixette, on superposait la première de l’acteur B, dans la même position. Et ensuite, les techniciens de la société Mikros Images se chargeaient du reste ! Ce sont des opérations qui sont assez rigolotes à faire, mais qui prennent un temps fou. Heureusement tout le monde, enfants acteurs compris, a été très patient. Enfin, ma préoccupation principale concernant le rendu final était de préserver l’émotion autour de cette transformation. Et pour cela qu’on ne perde jamais le regard de Simon, à aucun moment.

Romance, famille, science fiction français de Léo Karmann. 3,4 étoiles sur AlloCiné. Une nomination au festival du film francophone d'Angoulême 2019 (Edition 12) et une nomination Fantastic'Arts festival du film fantastique de Gérardmer 2020.

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