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Bailleur-exploitant : le traitement des loyers pendant la pandémie


Selon la Cour d’appel de Paris dans un arrêt récent, la pandémie du Covid-19 n’autorise pas l’exploitant à se dispenser du paiement des loyers et indemnités d’occupation dus. La décision du Tribunal Judiciaire a été infirmée par la Cour d’appel de Paris qui a condamné le locataire à payer l’intégralité des loyers et indemnités d’occupation y compris pendant les périodes de fermetures administratives.

La Cour d’appel de Paris a considéré que "la pandémie du Covid-19, qui a bien évidemment eu de lourdes conséquences sur le secteur de la restauration, ne suffit pas à dispenser l’exploitant du paiement des loyers et indemnités d’occupation dus, nonobstant la discussion des parties sur la date précise d’envoi du courrier du preneur faisant état de ses difficultés au bailleur  ; qu’est également indifférente à l’obligation de paiement l’existence de procédures de saisies diligentées à la demande de la SCI PP au cours de cette période."

Extrait de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, Pole 1 – Chambre 2,  du 4 février 2021. N° de RG : 20/12540.

[…]

Exposé du litige

Par acte sous seing privé en date du 19 juin 2017, la SCI Pardes Patrimoine a donné à bail commercial à la SAS Crêpe Parisienne un local situé à Vitry-sur-Seine, moyennant un loyer annuel de 60.000 euros, avec prise d’effet au 1er août 2017.

Des travaux devant être réalisés pour rendre le local exploitable, la société bailleresse, dans le bail, a consenti à la société Crêpe Parisienne une franchise de loyers de 3 mois.

Les travaux ayant pris du retard, la société Pardes Patrimoine a finalement consenti 12 mois de franchise à la société Crêpe Parisienne.

Le 30 janvier 2020, le bailleur a délivré à la société Crêpe Parisienne un commandement de payer la somme de 38.035,19 euros au titre des loyers et charges impayés.

Contestant ce montant, la société Crêpe Parisienne a assigné la société SCI Pardes Patrimoine au fond devant le tribunal judiciaire de Créteil le 28 février 2020 – affaire toujours pendante.

[...]

SUR CE LA COUR

L’expulsion d’un locataire commercial devenu occupant sans droit ni titre en vertu du jeu d’une clause résolutoire de plein droit peut être demandée au juge des référés du tribunal judiciaire en application des dispositions de l’article 835 du code de procédure civile dès lors que le maintien dans les lieux de cet occupant constitue un trouble manifestement illicite ou qu’à tout le moins l’obligation de libérer les lieux correspond dans cette hypothèse à une obligation non sérieusement contestable.

Il sera rappelé à cet égard que le fait qu’un commandement de payer visant la clause résolutoire soit délivré pour une somme supérieure à la dette véritable n’entraîne pas sa nullité et que celui-ci reste valable pour la partie des sommes réclamées effectivement due.

Aux termes des dispositions de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal peut, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, allouer une provision au créancier.

L’article 1343-5 du code civil précise que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Aux termes des dispositions de l’article L.145-41 du code de commerce, les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

En l’espèce, il faut relever :

— que, comme l’indique à juste titre l’appelante, la seule circonstance qu’une instance au fond ait été engagée ne prive pas le juge de ses référés de ses pouvoirs ;

— qu’en outre, l’instance au fond a été engagée par la société Crêpe Parisienne par assignation délivrée le 28 février 2020, postérieurement à la présente instance en référé, de sorte qu’en toute hypothèse, en l’absence de désignation d’un juge de la mise en état, ce dernier magistrat n’était pas compétent pour statuer au provisoire en application de l’article 771 du code de procédure civile, permettant donc l’intervention du juge des référés ;

— que le commandement de payer visant la clause résolutoire, délivré le 30 janvier 2020, vise au principal une somme due de 38.035,19 euros, à la date du 10 janvier 2020, au titre des loyers et charges impayés ; que la société Crêpe Parisienne indique que la somme indiquée au commandement de payer est excessive et qu’il y a lieu de tenir compte de l’impossibilité pour elle d’exploiter son activité pendant une très longue période, la société bailleresse lui ayant accordé successivement plusieurs franchises de loyers ;

— que force est cependant de constater que la société Crêpe Parisienne ne conteste ni qu’elle était débitrice à la date de délivrance du commandement de payer visant la clause résolutoire – à hauteur de selon elle de 7.530,50 euros (ses écritures page 17) – ni qu’elle n’a pas réglé les sommes qu’elle reconnaît devoir, un mois après la délivrance du commandement de payer ; qu’il s’en déduit que la délivrance du commandement de payer était justifiée ;

— que, dans la mesure où le paiement n’est pas intervenu dans le délai d’un mois, le commandement de payer entraîne l’acquisition de la clause résolutoire.

Ainsi, les causes du commandement n’ont pas été soldées dans le mois suivant la signification de ce dernier. Dès lors, les conditions d’acquisition de la clause résolutoire sont réunies, ce qui commande, par infirmation de la décision entreprise, de constater son acquisition, avec toutes les conséquences attachées.

S’agissant des sommes à ce jour dues, la SCI Pardes Patrimoine actualise sa créance à la somme de 85.447,37 euros, comprenant l’échéance du 4e trimestre 2020, se fondant sur son décompte actualisé au titre des sommes impayées.

La société Crêpe Parisienne vient contester la demande provisionnelle formée par l’appelante.

Il faut préciser, à titre préalable, que la société bailleresse ne peut se limiter à indiquer que l’examen d’un manquement supposé à son obligation de délivrance relèverait des prérogatives des juges du fond ; en réalité, l’impossibilité pour la société preneuse d’exercer une quelconque activité peut venir constituer une contestation sérieuse s’agissant des sommes dues à titre provisionnel, de sorte que la cour, statuant avec les pouvoirs du juge des référés, sera amenée nécessairement à vérifier l’obligation de délivrance à la charge du bailleur, pour pouvoir fixer la hauteur de la provision non contestable, tout en prenant en compte les franchises de loyer accordées.

Ces éléments étant rappelés, il convient de constater :

— que la société SCI Pardes Patrimoine fait état des franchises de loyers concernant les périodes suivantes, qu’elle indique avoir déduites du décompte :

du 1er août 2017 au 31 octobre 2017 : 3 mois, franchise prévue dans le contrat de bail, 15.000 euros HT) ;

octobre 2018 : franchise de 3 mois apparaissant à la date du 1er octobre 2018 sur le compte de la société preneuse, montant de 15.330,57 euros ;

mars 2019 : troisième franchise de 6 mois, d’un montant total de 37.728 euros, qui, précise l’appelante, apparaît au crédit du compte à la date du 26 mars 2019 ;

— que, selon le contrat, le bail devait prendre effet au 1er août 2017 ; que, aux termes de la franchise de loyers, la société bailleresse a accepté que la société locataire commence le paiement à compter du 1er août 2018 ; qu’il résulte des débats et des écritures des deux parties que la société preneuse a pu en effet commencer à bénéficier de l’eau et de l’électricité à compter du 1er août 2018 ; qu’il s’en déduit que les manquements allégués à l’obligation de délivrance jusqu’à l’été 2018 sont sans effet sur l’obligation du paiement de la société locataire, puisque les franchises de loyers ont justement pris en compte l’impossibilité d’exploiter les locaux durant la première année du bail, sans qu’il n’y ait lieu, pour la cour, d’examiner les responsabilités respectives des deux parties dans le retard à la mise à disposition des locaux ;

— que la société Crêpe Parisienne indique en vain que le bailleur n’était en réalité en droit d’appeler les loyers qu’à compter du mois de novembre 2018 ;

— que la SCI Pardes Patrimoine peut en effet valablement objecter qu’aucune autre franchise de loyers complémentaire n’avait été envisagée d’un commun accord entre les parties, autres que celles déjà évoquées ci-avant, de sorte que les stipulations du contrat de bail trouvent à s’appliquer à défaut de meilleur accord entre les parties ;

— qu’en particulier, il ne résulte d’aucun élément de l’espèce que la franchise contractuelle de trois mois aurait dû s’ajouter à la franchise de douze mois, la société Crêpe Parisienne indiquant ainsi, à tort, que les loyers ne seraient pas dus sur une période totale de 15 mois ; que la société Crêpe Parisienne ne peut venir arguer que la franchise du contrat de trois mois lui aurait été accordée pour lui permettre de réaliser tous les aménagements nécessaires à l’exercice de son activité, alors qu’aucun élément ne permet d’établir l’accord des parties sur ce point ; que la réalisation des aménagements par la société preneuse d’un bail commercial ne peut correspondre à un manquement du bailleur à son obligation de délivrance ;

— que la somme réclamée au principal dans le commandement de payer délivré le 30 janvier 2020, soit 38.035,19 euros, apparaît reposer sur une obligation de paiement non sérieusement contestable ;

— que la société SCI Pardes Patrimoine précise aussi, sans être contestée sur ce point, que la société Crêpe Parisienne n’a effectué aucun paiement depuis la délivrance du commandement de payer, portant les sommes dues à la somme de 85.447,37 euros au titre des loyers et charges impayées jusqu’au 4e trimestre 2020 inclus, étant observé qu’il est loisible au bailleur de venir actualiser les sommes dues en cours d’instance ;

— que la société intimée vient contester les sommes mises à sa charge au titre des honoraires de gestion technique pour un montant trimestriel de 720 euros, au motif qu’il s’agirait d’honoraires de gestion locative désormais prohibés ;

— que ne peuvent être imputés au locataire, en application de l’article R. 145-35 du code de commerce, les honoraires du bailleur liés à la gestion des loyers du local ou de l’immeuble faisant l’objet du bail ;

— que, cependant, les sommes réclamées par la SCI Pardes Patrimoine sur ce fondement correspondent, selon le contrat de bail en page 6, à des honoraires de gestion technique, fixés selon la stipulation à 4,8 %, que le bail exclut bien la facturation au preneur les honoraires de gestion administrative et que l’article R. 145-35 n’exclut pas la facturation au locataire de frais d’assistance technique ;

— que les sommes ainsi mises à la charge du preneur ne sont pas ainsi sérieusement contestables, résultant d’une stipulation claire et précise du contrat signé entre les parties ;

— que c’est encore à juste titre que la SCI Pardes Patrimoine vient préciser que le contrat prévoit que les sommes réclamées au titre des provisions sur charges sont assujetties à la TVA ;

— que, de même, il ne résulte d’aucun accord des parties que les franchises accordées devaient aussi comprendre les charges et taxes ; qu’il résulte au contraire du contrat signé que, même dans le cadre de la franchise initiale, les charges, impôts et taxes sont dus par le preneur à compter de la prise d’effet du bail ; qu’il s’en déduit aussi que la société Crêpe Parisienne ne peut être suivie lorsqu’elle estime que la taxe foncière 2018 devrait donner lieu à une proratisation au regard des franchises accordées ;

— que, concernant les sommes dues depuis le 1er avril 2020, la société Crêpe Parisienne fait état successivement de la crise sanitaire et de l’effondrement de son plafond qui ne lui ont pas permis d’accueillir sa clientèle ;

— que force est de constater que la pandémie du Covid-19, qui a bien évidemment eu de lourdes conséquences sur le secteur de la restauration, ne suffit pas à dispenser l’exploitant du paiement des loyers et indemnités d’occupation dus, nonobstant la discussion des parties sur la date précise d’envoi du courrier du preneur faisant état de ses difficultés au bailleur ; qu’est également indifférente à l’obligation de paiement l’existence de procédures de saisies diligentées à la demande de la SCI Pardes Patrimoine au cours de cette période ;

— que, concernant l’effondrement du plafond, la société Crêpe Parisienne produit notamment (sa pièce 29) des photographies montrant que des fuites d’eau ont entraîné un effondrement d’une partie du faux plafond, à compter du 27 juillet 2020 ;

— que le manquement allégué du bailleur à l’obligation de délivrance, seul de nature à permettre à la cour de constater le caractère contestable de la provision réclamée pour la période, n’apparaît pas établi, étant observé qu’il résulte d’un courriel du 28 juillet 2020 du gestionnaire qu’un plombier est intervenu dès cette date et que le constat amiable de dégât des eaux, du 12 août 2020, fait état d’une cause identifiée et réparée à cette date, même si la société Crêpe Parisienne reste en attente d’indemnisations de son assureur ;

— qu’enfin, si la société Crêpe Parisienne vient solliciter des délais de paiement, la SCI Pardes Patrimoine relève à juste titre que la société intimée ne produit aucun justificatif financier à l’appui de cette demande, aux fins notamment de justifier de sa situation actuelle et de ses perspectives d’évolution.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il y a donc lieu d’infirmer la décision entreprise, de constater l’acquisition de la clause résolutoire avec toutes conséquences de droit et de condamner la société Crêpe Parisienne à verser à la SCI Pardes Patrimoine la somme indiquée au dispositif à titre provisionnel. La demande de délais sera rejetée.

Succombante, la société Crêpe Parisienne devra indemniser la SCI Pardes Patrimoine de ses frais non répétibles exposés, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme l’ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Constate l’acquisition de la clause résolutoire à la date du 2 mars 2020 ;

Rejette la demande de délais formée par la société Crêpe Parisienne ;

Ordonne l’expulsion de la société Crêpe Parisienne ainsi que tout occupant de son chef, des locaux qu’elle occupe à Vitry-sur-Seine (94400), […], dans les quinze jours à compter de la signification du présent arrêt, étant précisé que faute par elle de le faire spontanément, ils y seront contraints, avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier si besoin est ;

Ordonne le transport et la séquestration du mobilier, objets garnissant les lieux dans un garde-meubles qu’il désignera, ou dans tel autre lieu au choix du bailleur, et ce en garantie de toutes sommes qui pourraient être dues ;

Condamne la société Crêpe Parisienne à payer à la SCI Pardes Patrimoine, par provision, la somme de 85.447,37 euros au titre des loyers et charges impayées jusqu’au 4e trimestre 2020 inclus ;

Condamne la société Crêpe Parisienne à payer à la SCI Pardes Patrimoine une indemnité d’occupation, provisionnelle, égale au montant du loyer qui aurait pu être perçu si le bail s’était poursuivi ou avait été renouvelé à compter de la résiliation du bail et ce jusqu’à complète libération des lieux ;

Condamne la société Crêpe Parisienne à verser à la SCI Pardes Patrimoine la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Crêpe Parisienne aux dépens de première instance et d’appel, qui comprendront notamment le coût du commandement délivré en date du 30 janvier 2020 ;

Photo : thodonal - stock.adobe.com.

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