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La réintégration est-elle possible en cas de harcèlement moral ?


Une salariée protégée est licenciée pour faute grave mais l’autorisation de licenciement est annulée. L’entreprise refuse de la réintégrer au motif que les salariés dont elle était la responsable avaient exercé leur droit de retrait pour cause de harcèlement moral. La Cour de cassation retient l’argument de l’employeur, qui, tenu par son obligation de sécurité dont participe l'obligation de prévention du harcèlement moral, ne pouvait pas réintégrer la salariée...

Extrait de la Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 1 décembre 2021. Pourvoi n° : 19-25.715.

[…]

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 16 octobre 2019), Mme [D] a été engagée en 1978, à temps partiel, par l'Union des Industries et Métiers de la Métallurgie de Picardie (UIMM Picardie), et à compter de 1996, à temps partiel également, par l'Association Développement Formations Industries de la Métallurgie (ADEFIM) Picardie. Elle a été plusieurs années représentante employeur, désignée par le MEDEF, au conseil d'administration de l'URSSAF de l'Oise.

2. La salariée a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement par ses deux employeurs le 9 décembre 2008, et licenciée, avec autorisation de l'inspecteur du travail, pour faute grave, le 27 mars 2009.

3. Le 21 août 2009, l'autorisation de licenciement a été annulée sur recours hiérarchique par le ministre du travail pour défaut de motivation. Le recours contre la décision d'annulation a été rejeté par le tribunal administratif par jugement du 6 décembre 2011, jugement qui a été confirmé par la cour administrative d'appel le 14 mars 2013. Par arrêts du 11 juin 2014, le Conseil d'Etat n'a pas admis les pourvois.

4. Le 28 septembre 2009, la salariée a été licenciée pour faute grave pour les mêmes motifs.

5. La salariée a saisi la juridiction prud'homale pour demander l'annulation de son licenciement le 14 octobre 2009.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième à cinquième branches, les troisième et quatrième moyens du pourvoi principal, et le moyen du pourvoi incident, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche. Enoncé du moyen

7. La salariée fait grief à l'arrêt de constater que les licenciements notifiés selon la procédure de droit commun le 28 septembre 2009 sont licites, qu'ils reposent sur une faute grave et de la débouter en conséquence de ses demandes à ce titre, alors « que l'employeur ne peut refuser la réintégration d'un salarié protégé après annulation de l'autorisation fondant son licenciement que s'il justifie d'une impossibilité absolue de réintégration ; que le refus d'une partie du personnel de travailler à nouveau avec ce salarié ne saurait constituer une telle impossibilité ; qu'en affirmant que les employeurs avaient excipé d'une cause légitime pour ne pas procéder à la réintégration de Mme [D] en prenant en considération les desiderata des salariés ayant exercé leur droit de retrait, en soutenant qu'ils avaient été victimes d'un harcèlement de la part de cette salariée, quand une telle circonstance était impropre en elle-même à caractériser une impossibilité absolue de réintégration, ce que les juges du fond auraient dû vérifier in concreto et relever, la cour d'appel d'Amiens a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2422-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

8. En application de l'article L. 2422-1 du code du travail, le salarié protégé dont le licenciement est nul en raison de l'annulation de l'autorisation administrative doit être, s'il le demande, réintégré dans son emploi ou un emploi équivalent. Il en résulte que l'employeur ne peut licencier un salarié à la suite d'un licenciement pour lequel l'autorisation a été annulée que s'il a satisfait à cette obligation ou s'il justifie d'une impossibilité de réintégration.

9. Ayant constaté que, tenu par son obligation de sécurité dont participe l'obligation de prévention du harcèlement moral, l'employeur ne pouvait pas réintégrer la salariée dès lors que celle-ci était la supérieure hiérarchique des autres salariés de l'entreprise, lesquels soutenaient avoir été victimes du harcèlement moral de cette dernière et avaient à ce propos exercé leur droit de retrait, de sorte qu'était caractérisée l'impossibilité de réintégration, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal. Enoncé du moyen

10. La salariée fait grief à l'arrêt de condamner in solidum l'UIMM de Picardie et l'ADEFIM de Picardie à lui payer la somme de 22 112,52 euros à titre de réparation pour la période d'éviction du 1er avril au 30 septembre 2009 et de la débouter en conséquence de sa demande de confirmation du jugement en ce qu'il avait condamné l'UIMM Oise au versement de sommes de 45 644,52 euros à titre de rappel de salaire et de 4 564,45 euros au titre des congés payés et condamné l'ADEFIM Oise au versement des sommes respectivement de 4 953 euros et 495,30 euros, alors « que l'indemnité d'éviction due au salarié protégé, licencié sur le fondement d'une autorisation de l'inspecteur du travail définitivement annulée, constitue un complément de salaire qui couvre nécessairement les salaires et congés payés dont le salarié, illégalement évincé, aurait dû bénéficier ; qu'en jugeant que la période d'éviction n'ouvrait pas droit à l'acquisition de jours de congés et que Mme [D] ne pouvait bénéficier ni de jours de congés pour cette période, ni d'indemnités à ce titre, la cour d'appel d'Amiens a violé l'article L. 2422-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2422-4 du code du travail :

11. En vertu de l'article précité, lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire.

12. L'indemnité due, en application de l'article L. 2422-4 du code du travail, au salarié protégé, licencié sur le fondement d'une décision d'autorisation de l'inspecteur du travail ensuite annulée, a, de par la loi, le caractère d'un complément de salaire. Il en résulte que cette indemnité ouvre droit au paiement des congés payés afférents.

13. Pour rejeter la demande formée par la salariée au titre des congés payés, l'arrêt retient que la période d'éviction ouvre droit non à une acquisition de jours de congés mais à une indemnité d'éviction, et qu'ainsi la salariée ne peut pas bénéficier de jours de congés pour cette période.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

17. Il y a lieu d'allouer à la salariée une indemnité de congés payés pour la période d'éviction du 1er avril 2009 au 30 septembre 2009.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [D] de sa demande de paiement de l'indemnité de congés payés pour la période couverte par l'indemnité d'éviction, l'arrêt rendu le 16 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne in solidum l'ADEFIM Picardie et l'UIMM de Picardie à payer à Mme [D] la somme de 2 211,25 euros au titre des congés payés pour la période d'éviction du 1er avril au 30 septembre 2009 ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre deux mille vingt et un.

Photo :  Succo - Pixabay.

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