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Un héros


Rahim est en prison à cause d'une dette qu'il n'a pas pu rembourser. Lors d'une permission de deux jours, il tente de convaincre son créancier de retirer sa plainte contre le versement d'une partie de la somme. Mais les choses ne se passent pas comme prévu...

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Entretien avec le réalisateur, Asghar Farhadi

Comment est née l’idée d’Un héros ? 
Cela faisait quelques temps que je lisais dans la presse des histoires de ce genre. Celles d'individus ordinaires qui faisaient brièvement les titres des journaux en raison d'un acte altruiste. Ces histoires avaient souvent des particularités communes. Un Héros n'a pas été inspiré d'un fait divers spécifique, mais j'avais à l'esprit, en l'écrivant, ces histoires lues dans la presse.

Pourquoi situer cette histoire à Shiraz ? 
La réponse à cette question est donnée par le thème du film. Il y a à Shiraz de nombreux vestiges historiques, des traces importantes, glorieuses de l'identité iranienne. La raison principale du choix de cette ville est la spécificité de l'intrigue et la caractérisation des personnages. Mais il y a une raison secondaire qui était mon souhait de prendre de la distance avec le tumulte de Téhéran.

Comment s’est déroulé le processus d’écriture ?
Au départ, j'avais une idée assez vague, issue de ces histoires vraies. Au fil des années, l'idée s'est étoffée. Je travaille toujours de la même façon. Le déclic peut venir d'une image, d'un sentiment, d'une intrigue succincte qui se développera par la suite. Parfois, tout cela peut rester dans un coin de mon esprit, sans que je me doute que cela donnera lieu un jour à un scénario. Le temps est un allié important. Certaines de ces graines disparaissent d’elles-mêmes, d’autres persistent, croissent et restent en vous en l'état d'un processus inachevé qui attend que l'on s'y consacre. C'est à ce stade qu'à travers des prises de notes éparses, une idée commence à voir le jour. Puis arrivent les recherches et les premières esquisses qui vous dictent elles-mêmes le chemin à prendre. Presque toutes mes histoires se sont développées de cette façon progressive dans mon esprit. Je n'ai pas le souvenir d'avoir pu concevoir d'emblée une histoire complète avec un début, un milieu et une fin. 

Il y a une grande ambiguïté dans le personnage de Rahim. Par exemple ce sourire qu’il ne quitte presque jamais… 
Il me semble que l'approche réaliste du film exigeait cette complexité dans la caractérisation des personnages. Comme dans la réalité, les personnes sont faites d'une multiplicité de dimensions et dans chaque situation, l'une d'elles prend le dessus et devient plus visible. On peut dire que ce sont des personnages "gris" : ils ne sont pas stéréotypés, unidimensionnels. Comme toute personne réelle dans la vie quotidienne, ils sont faits de contrastes, de tendances antagoniques, de tiraillements au moment de leurs prises de décision. Le sourire de Rahim fait partie d'un ensemble de traits apparus progressivement au cours des mois de répétition pour chercher à définir le jeu de l'acteur qui l'incarnait, pour lui donner cette qualité de personnage "gris", inscrit dans la vie quotidienne.

Quelle est votre méthode pour donner un si grand naturel aux scènes de groupe, notamment en famille ?
Ce résultat émane essentiellement de l'écriture. C'est un processus inconscient. Quand on apporte un soin particulier à rendre chaque détail de la scène vraisemblable et authentique, toute l'équipe, notamment les acteurs, s'applique à donner vie au modèle offert par le scénario. Les comportements des personnages et leurs dialogues n'étant pas irréalistes ou construits sur des clichés, les acteurs s'efforcent dans leur interprétation de ne pas tomber dans le piège de l'artifice. Il existe certes un risque que la recherche du naturel constitue elle-même un artifice. La limite est fine et subtile et il faut être très vigilant pour ne pas la franchir. La vie quotidienne peut être répétitive et ennuyeuse. En tant que metteur en scène, il faut veiller à ce que la recherche d'une impression de scène réaliste, quasi documentaire, n'induise pas le rythme lent et peu entraînant de la vie réelle.

La plupart des personnages communiquent par le biais des réseaux sociaux. Est-ce un phénomène nouveau et puissant en Iran ?
Comme partout dans le monde, en Iran, les réseaux sociaux occupent une place importante dans la vie des individus. Ce phénomène est assez récent, mais son impact est tel qu'il est devenu difficile de se remémorer ce qu'était la vie avant son apparition. Mon expérience personnelle m'incite à penser que l'omniprésence des réseaux sociaux dans la vie quotidienne est encore plus patente dans la société iranienne qu'ailleurs. Cela peut s'expliquer par la situation socio-politique du pays.

A la fin de chacun de vos films le spectateur n’a pas toutes les réponses aux questions soulevées par l’intrigue. Êtes-vous un cinéaste de l’indécidable ?
Je l'ai déjà dit, cette particularité commune aux films que j'ai réalisés n'est pas intentionnelle. Cette ambiguïté, voire parfois cette part de mystère, s'installe au cours de l'écriture et je dois dire que je l'affectionne. Cet aspect rend la relation entre le film et son spectateur plus durable, au-delà de la projection. Il donne au spectateur la possibilité de réfléchir davantage au film et de creuser encore ce que vous appelez l'indécidable. Je prends toujours un grand plaisir à revoir Rashōmon, précisément en raison de cette dimension mystérieuse. Combiner cette ambiguïté avec une histoire se voulant très quotidienne était un défi intéressant. 

Connaissez-vous cette phrase célèbre de Jean Renoir : « Le plus terrible dans ce monde, c’est que chacun a ses raisons ». Elle semble s’adapter à la plupart des personnages d'Un héros… 
Je suis tout à fait d'accord. Chacun a ses raisons pour agir comme il le fait, même s'il n'a pas forcément conscience de ces raisons. Si on lui demande de les énumérer, il en serait bien incapable. Elles ne sont parfois pas limpides ni simples à résumer. Elles sont un amas de contradictions. Dans la réalité, des individus peuvent mettre des années à trouver au fond d'eux les raisons de leurs actes, profondément enfouies dans leur passé. Par ailleurs, je dois préciser que pour moi, cette phrase ne veut pas dire que tous les actes se justifient. Il n'est pas question de légitimation mais de compréhension. Comprendre ne veut pas dire légitimer. En prenant acte des raisons qui ont poussé un individu à agir, nous pouvons le comprendre, sans pour autant lui donner forcément raison.

Drame, thriller de Asghar Farhadi. 1 nomination au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2021 (Edition 47), 2 prix et 10 nominations au Festival de Cannes 2021 (Edition 74).

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