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La loi de Téhéran


En Iran, la sanction pour possession de drogue est la même que l’on ait 30 g ou 50 kg sur soi : la peine de mort. Dans ces conditions, les narcotrafiquants n’ont aucun scrupule à jouer gros et la vente de crack a explosé. Bilan : 6,5 millions de personnes ont plongé. Au terme d'une traque de plusieurs années, Samad, flic obstiné aux méthodes expéditives, met enfin la main sur le parrain de la drogue Nasser K. Alors qu’il pensait l'affaire classée, la confrontation avec le cerveau du réseau va prendre une toute autre tournure..

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Entretien avec le scénariste et réalisateur Saeed Roustayi

Le phénomène de l'addiction au crack en Iran est très peu connu du public occidental. Votre approche a une base très documentée sur le sujet. Quelles recherches avez-vous faites ?

Ces dernières années, la toxicomanie a changé de visage en Iran. Elle est sortie de la clandestinité pour se révéler au grand jour. De plus en plus de toxicomanes sont visibles dans la rue. Leur dépendance à une nouvelle substance, le crack, les a mis à la rue de façon beaucoup plus massive et plus rapide que ne le faisaient les autres drogues. A force de voir ces personnes, j'ai eu l'idée de tourner un documentaire sur elles et j'ai entrepris des recherches. Finalement, ce documentaire-là ne s'est jamais tourné, mais cela a influencé mes films de fiction.

Au dela de la question du crack, l'Iran a un long passif avec la consommation de drogues. Pourriez-vous le résumer ?

 Il est un fait que nous avons plusieurs centaines de kilomètres de frontière commune avec le plus grand producteur de drogue du monde (l'Afghanistan). Cette production a augmenté de façon exponentielle lors des trois dernières décennies. Malgré toutes les mesures mises en place visant à empêcher l'entrée des stupéfiants sur notre sol, les trafiquants ont toujours une longueur d'avance : ils vont jusqu'à utiliser des catapultes ou creuser des tunnels pour faire passer leur marchandise.

Il semble qu'en moins de dix ans, le crack se soit substitué à l'opium en Iran. Comment l'expliquez-vous ? Comment votre interêt pour ce sujet a évolué au gré des années, jusqu'à en faire un film ?
Ce qui est au cœur de ce film est une préoccupation d'ordre social. Il n'est pas exact de dire que le crack s'est substitué à l'opium. L'opium est une substance addictive traditionnelle qui continue d'avoir de nombreux consommateurs. Le crack a certes attiré certains opiomanes, mais la plupart de ses victimes ne consommaient pas de drogue auparavant. Pour moi, tout a commencé dans la rue. Or, les opiomanes ne se retrouvaient pas à la rue, ou très rarement. Ce qui m'a frappé avec le crack, c'est que le nombre de toxicomanes sans-abris augmentait de jour en jour. La séquence finale de mon film montre les toxicomanes qui surgissent d'entre les arbres pour affluer vers l'autoroute. Cette vision a été pour moi le déclencheur de l'inspiration du film tout entier.

Vous êtes-vous inspiré de cas véridiques pour votre scénario ou certaines séquences ?
Oui, mais je dois dire que ce qui est prioritaire pour moi, c'est l'histoire. Je ne peux incorporer des éléments que s'ils enrichissent l'intrigue. Si j'ai recours à de vrais toxicomanes ou à des faits réels, c'est simplement pour rendre mon histoire plus réaliste, toucher de plus près le réel.

Comme évoqué plus haut, JUST 6.5 possède un aspect quasi-documentaire sur certains points. Par quel processus de préparation êtes-vous passé, que ce soit auprès du milieu de la toxicomanie comme de la police ? Y avez-vous passé du temps en immersion ?
Pour commencer ma recherche, j'ai passé plusieurs jours à la brigade des stupéfiants, puis en prison et au tribunal. Cela m'a permis de mieux comprendre la situation des toxicomanes inculpés, mais aussi de rencontrer des policiers et un juge dont les conseils m'ont été précieux. Cette recherche a duré presque un an, car je voulais être au plus près de la réalité des faits que je décrivais dans mon film.

Le titre international de votre film (JUST 6.5) peut être compris comme un écho aux 6.5 millions d'iraniens consommateurs de crack mentionnés au générique de fin. Mais dans sa version originale, il fait clairement référence à une réplique (les 6.5 tomans qu'il faut payer pour un linceul) où le personnage de Nasser parle de la pauvreté qui l'a amené à devenir un dealer important. Est-ce que cela reflète votre opinion sur les racines de cette crise sanitaire ?
Le lien entre les deux allusions, celle au nombre de toxicomanes dans le pays et celle au prix du mètre de linceul, est clair. Pour moi, la toxicomanie et la pauvreté sont étroitement liées. L'écrasante majorité des individus qui ont recours à la drogue le font car ils y trouvent un refuge leur permettant d'oublier la situation inextricable dans laquelle ils vivent ou d'apaiser l'angoisse qu'elle suscite en eux.

JUST 6.5 navigue entre Samad, le policier, et Nasser, le dealer. Pouvez-vous revenir sur cette circulation narrative, comment vous l'avez organisée? Vous sentez-vous plus proche de l'un ou de l'autre ?
Pour moi, ces deux personnages sont les deux faces d'une même médaille. Ce qui me semble primordial, c'est qu'ils sont tous deux issus d'une même classe sociale. J'avais tourné une séquence -supprimée au montage- qui nous faisait comprendre que Samad habite dans le quartier où se trouvait la maison natale de Nasser. J'ai tenu à ce que mes deux personnages soient crédibles, qu'on leur donne raison ou tort. Chacun d'eux croit en lui-même et estime qu'il a raison d'agir comme il le fait, même s'il sait qu'il n'a parfois pas eu le choix.

Après Life and a day, vous dirigez à nouveau avec Payman Maadi et Navid Mohammadzadeh dans JUST 6.5. Un mot sur votre collaboration avec ces deux acteurs ?
Dès l'instant où je commence à écrire mon scénario, j'ai des acteurs en tête, et c'est très généralement eux qui incarnent finalement mes personnages. Mon travail de direction d'acteurs commence donc dès l'écriture. Pendant la phase de préparation, nous faisons de nombreuses séances de lecture. Puis, je fais des répétitions collectives et individuelles avec chaque acteur. Sur le plateau, nous continuons de répéter chaque scène avant de la tourner. Donc, lorsque nous tournons, les acteurs sont déjà très bien préparés. Peyman Maadi et Navid Mohammadzadeh sont des acteurs particulièrement intelligents et puissants. En termes de mise en scène et de jeux d'acteurs, j'ai déjà une idée en tête lorsque j'écris le scénario. Une fois que les décors sont choisis ou construits, que mon découpage se précise, ces idées mûrissent et au tournage, je tiens absolument à les mettre en application telles quelles. Pour moi, tous les moyens sont bons pour y parvenir et Peyman et Navid sont des alliés très efficaces dans cette démarche.

JUST 6.5 combine scènes intimistes et d'autres de foule. Comment trouver le bon équilibre en termes de rythme et de récit ?
Comme je l'ai dit, j'avais deux préoccupations parallèles dans ce film : d'une part le récit dramatique, d'autre part la proximité avec le réel. Donc, à mesure que je développais l'histoire, je veillais à ne pas m'éloigner du réel et à maintenir un équilibre entre le rythme du récit et son réalisme.

Certaines de ces scènes de foule sont très impressionnantes, notamment celle de l'assaut policier sur le campement de toxicomanes. Vous avez fait le choix de filmer d'authentiques crack-addicts pour cette séquence. Est-ce une décision facile ?
Pour ce film, nous avions besoin de représenter une foule de toxicomanes. Il se trouve que je suis très sensible au jeu d'acteur. Chaque geste, chaque regard, chaque mot dit par un acteur est pour moi fondamental. Il n'était pas concevable pour moi d'avoir des acteurs professionnels qui paraissent très naturels au milieu de figurants jouant maladroitement à être drogués. J'ai donc décidé d'avoir recours à de vrais toxicomanes acceptant de figurer dans le film. Travailler avec eux a été très difficile. Ils étaient longs à se rassembler, se fatiguaient vite, prenaient de la drogue. Certains souffraient de graves pathologies liées à leur addiction, quittaient le plateau car les conditions de tournage leur étaient pénibles. Mais nous sommes parvenus à tourner la séquence malgré toutes ces difficultés.

Action, drame, plolice de Saeed Roustayi. 4,2 étoiles sur AlloCiné. 2 prix et 2 nominations Reims Polar (Festival international du Film Policier 2021) (Edition 38)

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