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La fine fleur


Eve Vernet a été la plus grande créatrice de roses. Aujourd'hui, elle est au bord de la faillite, sur le point d'être rachetée par un concurrent puissant. Véra, sa fidèle secrétaire, croit trouver une solution en engageant trois employés en insertion sans aucune compétence horticole... Alors que quasiment tout les sépare, ils se lancent ensemble dans une aventure des plus singulières pour sauver la petite exploitation.

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Entretien avec le réalisateur; Pierre Pinaud.

C’est la première fois que la création de roses est au centre d’un film. D’où en est née l’idée ?
De l’amour que je porte aux fleurs depuis mon enfance. J’avais environ onze ans quand mes grands-parents nous ont offert à mon frère et à moi une partie de leur jardin, en nous donnant carte blanche pour que nous en fassions ce que nous voulions. Avoir un bout de terre à soi quand on est gamin… quel cadeau merveilleux ! Nous avons aussitôt commencé à imaginer et dessiner notre jardin idéal, un jardin comme une sorte d’Eden. Il comportait une entrée, un chemin, un endroit aménagé avec un banc pour pouvoir lire, rêver, se reposer ou contempler les fleurs, tout au long de son parcours, une multitude de petites surprises dans la composition et l’agencement des massifs et, au fond, un grand espace pour laisser s’épanouir la lumière. Je crois bien que ce jardin a été ma première expérience de scénographie et de mise en scène. Même si je la portais sans doute depuis tout petit, ma passion pour les fleurs et pour les jardins est née, consciemment, à cette époque-là, et elle ne m’a plus jamais quitté. Depuis, elle cohabite avec mon autre passion, celle que j’ai développée, très tôt aussi, pour le cinéma. Entre elles, la coexistence est forcément pacifique puisqu’au fond, elles se nourrissent à la même source : la recherche d’une esthétique et d’une mise en scène.

Quel a été le déclic pour les Quel a été le déclic pour les « apparenter apparenter » ?
Un jour, tout à fait par hasard, j’ai appris que la création de roses était une spécialité française, au même titre que la haute gastronomie et le parfum. Sur la quarantaine de créateurs de roses existant encore aujourd'hui à travers le monde, plus de vingt sont français, dont une grande partie est installée dans la région lyonnaise. Cela m’a intrigué. Je me suis documenté sur le sujet : les différentes étapes de ce processus, les concours dont les roses font l’objet, l’amour et l’abnégation qu’elles exigent de la part de ceux qui les créent et les « élèvent ». J’ai découvert que la création de ces fleurs ne doit rien au hasard, qu’elle est au contraire basée sur une sélection très minutieuse : on prend les meilleurs « pères » (étamines) et « mères » (pistils), ceux et celles qui ont des caractéristiques remarquables, en terme de coloris par exemple, ou de résistance aux maladies, ou encore de parfum, et on les « marie » – on les hybride – dans l’espoir que leur accouplement donne naissance à des variétés dignes d’être présentées dans les concours. Comme il se trouve que les thématiques sociales m’ont toujours touché et interpellé, j’y ai vu un parallèle frappant avec nos sociétés hyper concurrentielles d’aujourd’hui, avec leur propension à l’élitisme, où pour accéder aux meilleures écoles, et donc aux meilleurs emplois, il faut gagner des concours et souvent être né dans une bonne famille… De cette similitude, j’ai vu apparaître le substrat sur lequel je pouvais construire un film et j’ai commencé à envisager un scénario.

Comment avez-vous procédé ?
J’ai d’abord continué à approfondir mes connaissances sur les roses, mais cette fois, sur le terrain. Je suis allé voir des créateurs pour m’immerger dans leur travail. J’ai visité des petites exploitations familiales d’excellence, comme celle de la Maison Dorieux, dont la production artisanale est de grande qualité, mais qui souffre de la concurrence d’établissements plus importants, où l’on « fabrique » de la rose de façon quasi industrielle, non seulement ici, en France, mais aussi à l’étranger dans des pays comme la Chine ou la Bulgarie où la main d’œuvre est moins chère. Et puis j’ai essayé de comprendre comment les premiers arrivaient à survivre face aux seconds. J’ai également assisté à des concours pour mesurer l’impact d’un Prix sur la « carrière » d’une nouvelle variété. Au cours de toutes ces pérégrinations, j’ai cherché à saisir pourquoi la rose suscitait tant de passion, et une passion si souvent exclusive. Et j’ai réalisé qu’à des degrés divers, tous ses producteurs, ses créateurs et ses amateurs, tous, sans exception aucune, étaient en quête d’un rêve de beauté : trouver un jour une fleur, qui soit encore plus magnifique, plus délicieusement odorante que les précédentes. J’ai trouvé qu’il y avait là, dans cette recherche incessante, obstinée, une poésie folle, et il fallait qu’on la retrouve aussi dans le film.

Essayer de faire ressentir la beauté d’une fleur à travers un film auquel on a l’ambition de donner une dimension sociale… votre scénario n’a pas dû être facile à bâtir… 
Effectivement, mais j’ai pris mon temps ! Je suis quelqu’un qui travaille lentement et se documente beaucoup. Avant de commencer à écrire, j’ai besoin d’avoir une vue exhaustive de mon sujet. Je tiens à ce que mes fictions s’inspirent, sans triche, de la réalité, car c’est à partir d’elle que je construis mes histoires et que j’invente les personnages qui vont les raconter. J’ai aussi beaucoup échangé avec Fadette Drouard, la co-scénariste qui m’a rejoint sur le projet, puis avec Philippe Le Guay qui est intervenu en cours d’écriture. Pour le scénario de LA FINE FLEUR, j’ai beaucoup pensé à LA PART DES ANGES de Ken Loach qui, à travers le portrait de petits délinquants dans une région déglinguée par la misère, parvient à montrer, entre autres, ce que le monde du whisky a de merveilleux, et j’ai imaginé ce personnage de créatrice de roses artisanales au bord de la faillite, qui, faute de pouvoir payer de vrais pros pour la seconder, doit accepter l’aide de trois employés en insertion, trois malchanceux qui n’ont pas eu, comme elle jadis, la chance de naître du bon côté. Il faut savoir que depuis les années 80, le domaine horticole est en crise, et notamment celui de la rose qui a vu son âge d’or décliner. En quelques années le marché de la rose s’est considérablement rétréci, ce qui a occasionné de nombreux dépôts de bilan notamment parmi les petits producteurs.

Au fond, LA FINE FLEUR c’est une histoire à la David et Goliath, avec des ramifications sociales et sentimentales… 
Un peu oui. Ça commence par une histoire de combat, celui que mène, solitairement, contre les industriels et les lois du marché, une artisane têtue, réfractaire aux techniques modernes qui abaissent, selon elle, les standards de qualité. Ça se poursuit par l’ouverture au monde de cette femme grâce à des gens qu’elle avait pourtant accueillis avec condescendance, parce qu’ignares en son domaine (l’horticulture). Et, parce que la thématique de la transmission compte beaucoup pour moi, ça se clôt sur la main que tend cette femme à un jeune sorti des rails en lui laissant entrevoir, enfin, un avenir. S’il fallait une référence, je dirais que LA FINE FLEUR est bâti selon le principe des poupées russes (ou des multiples couches qui constituent une fleur en bouton).

Où s’est déroulé le tournage ?
J’avais envie de tourner au milieu de champs de roses, dans un paysage de pleine campagne. Or il se trouve qu’à cause de l’urbanisation galopante de la région lyonnaise où se concentre la majorité des créateurs de roses, la plupart d’entre eux ont été contraints de morceler leur exploitation et qu’aujourd’hui ils sont souvent cernés par des zones d’habitations ou d’activités commerciales. La Maison Dorieux, petite entreprise familiale, m’a offert le paysage dont je rêvais parce qu’elle se situe à Montagny, au cœur de la côte roannaise encore très préservée. Toutefois on a dû retravailler l’esthétique des bâtiments, recréer des serres, repenser les intérieurs en fonction de la mise en scène. Ce travail précis et délicat a régalé Philippe Chiffre, le chef décorateur.

Comédie de Pierre Pinaud. 3,3 étoiles sur AlloCiné. 1 nomination au Festival International du Film de l'Alpe d'Huez 2021 (Edition 24). 1 nomination au Festival du Film Francophone d'Angoulême 2020 (Edition 13).

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