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Un chef d’entreprise nommément critiqué dans la presse doit pouvoir exercer un droit de réponse


Un promoteur immobilier est nommément cité dans un article de presse peu flatteur. Le promoteur demande la publication de sa réponse mais le quotidien la lui refuse estimant que celle-ci porte atteinte à l’honneur du journaliste. Porté jusqu’à la Cour de cassation, le litige trouve une issue favorable pour le promoteur. En effet, la plus haute juridiction considère que la critique des méthodes du journaliste, exprimée en termes sévères mais mesurés, est proportionnée à la teneur de l’article initial et en conclut que le refus du directeur de la publication d’insérer la réponse n’est pas légitime.

Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, Chambre criminelle, du 1er Septembre 2020. Pourvoi n° : 19-81.448.

[…]

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. À la suite de la publication, dans le quotidien Sud Ouest, d’un article intitulé « Sanction béton pour le promoteur » et sous titré « Le Haillan - Le promoteur Daniel L. a été lourdement condamné financièrement pour ne pas avoir vérifié si son sous-traitant bulgare n'était pas un adepte du travail dissimulé », M. L. a demandé l’insertion d’une réponse au directeur de la publication du quotidien.

3. Cette réponse n’ayant pas été publiée, M. L. a fait citer M. V., en sa qualité de directeur de la publication, devant le tribunal correctionnel, du chef précité.

4. Les juges du premier degré ont déclaré irrecevable la constitution de partie civile, renvoyé le prévenu des fins de la poursuite et condamné la partie civile à lui payer une somme sur le fondement des dispositions de l’article 472 du code de procédure pénale.

5. M. L. a seul relevé appel de cette décision.

Sur le premier moyen. Enoncé du moyen.

6. Le moyen est pris de la violation des articles 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 2, 3, 427, 285, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, défaut de motifs et manque de base légale.

7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a débouté M. L. de sa demande d’insertion en exécution de son droit de réponse, de sa demande en dommages et intérêts et de sa demande d’application de l’article 475-1 du code de procédure pénale, alors :

« 1/ que le droit de réponse est général et absolu ; que celui qui en use est seul juge de la teneur, de l’étendue, de l’utilité et de la forme de la réponse dont il requiert l’insertion ; que le refus d’insérer ne se justifie que si la réponse est contraire aux lois, aux bonnes moeurs, à l’intérêt légitime des tiers ou à l’honneur du journaliste ; que pour rejeter la demande de M. L. tendant à l’insertion de sa réponse à l’article le mettant nommément en cause et à l’obtention de dommages et intérêts du fait du refus implicite qui lui a été opposé par le directeur de la publication du journal Sud-Ouest, la cour d’appel retient que cette réponse ne serait pas en corrélation, ni proportionnée avec l’article publié le 22 décembre 2018 et qu’elle est contraire à l’honneur du journaliste, auteur dudit article ; que cependant il résulte des propres constatations et énonciations de l’arrêt relatives à la teneur de la réponse et à celle de l’article litigieux que la vivacité de la réponse ne dépassait pas celle exprimée dans l’article auquel il était demandé de répondre, lequel comportait des erreurs factuelles, approximations et mises en cause personnelle sur un ton sarcastique et virulent de M. L., présumé innocent, sans la moindre enquête contradictoire ni vérification des sources ; que la réponse apportée, liée aux propos proférés et en corrélation avec ceux-ci, se rattachait aux propos et était justifiée par le ton adopté par le journaliste et proportionnée aux attaques dont M. L. avait fait l’objet dans l’article en question ; que l’honneur du journaliste n’était, de surcroît, pas mis en jeu par des termes injurieux ou des allégations excessives ou diffamatoires et les critiques s’appuyant sur les propos contenus dans l’article dont le caractère non contradictoire, incorrect, caricatural était mis en exergue, peu important que la réponse mette en cause le non-respect par le journaliste des obligations qui sont siennes en sa qualité de professionnel tenu à un devoir particulier de prudence et de mesure dans l’expression, de vérifier ses sources, de procéder à une enquête sérieuse et de disposer d’une base factuelle suffisante ; qu’ainsi en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel n’a pas caractérisé un abus du droit de réponse et a violé les textes susvisés ;

2/ que l’arrêt qui relève que la réponse dont M. L. a demandé la publication se place sur le même terrain que l’article litigieux ne pouvait considérer ensuite, sans se contredire, qu’elle n’est pas en corrélation ni proportionnée avec l’article dont s’agit, privant ainsi sa décision de motifs ;

3/ que la mise en cause du non-respect des obligations fondamentales auxquelles tout journaliste est tenu, autrement dit du respect de sérieux de l’enquête, de la prudence dans l’expression et de l’existence d’une base factuelle suffisante, ne saurait dégénérer en abus ni constituer une atteinte à l’honneur privant la personne visée nommément par l’article litigieux de son droit de réponse, sauf à méconnaître les textes et principes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :

8. Il se déduit de ce texte que la réponse dont l’insertion est demandée ne porte pas, dans des conditions de nature à interdire sa publication, atteinte à l’honneur du journaliste, auteur de l’article auquel il est répondu, lorsqu’elle se contente de critiquer, dans des termes proportionnés à cet article, la légitimité du but poursuivi par celui-ci, le sérieux de l’enquête conduite par son auteur, sa prudence dans l’expression ou son absence d’animosité personnelle.

9. Pour débouter la partie civile de sa demande d’insertion d’une réponse, l’arrêt attaqué, qui a reproduit le texte de l’article initial comme celui de la réponse, énonce que l’article auquel il est répondu rend compte de la condamnation de M. L. du chef de travail dissimulé et commente, non sans ironie, le jugement récemment rendu contre lui.

10. Les juges ajoutent que l’auteur de la réponse détaille les circonstances des faits qui lui ont été reprochés, mais met également en cause les qualités et l’honnêteté intellectuelles du journaliste, lui reprochant de n’avoir pas vérifié les informations publiées, de cacher la vérité ou de travestir la réalité, y compris de façon déplaisante ou ridicule, ce qu’implique le recours au qualificatif « caricatural », et d’avoir manqué d’objectivité.

11. Ils concluent que la réponse n’est pas en corrélation avec l’article ni proportionnée à lui et est contraire à l’honneur du journaliste, de sorte que le directeur de la publication était fondé à en refuser l’insertion.

12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

13. La Cour de cassation est, en effet, en mesure de constater que, dans sa réponse, qui restait intégralement en corrélation avec l’article initial, M. L. se contente de contredire plusieurs des affirmations de celui-ci, en regrettant à trois reprises que son auteur n’ait pas pris contact avec lui ou avec son avocat, ce qui aurait, selon lui, évité la publication de ce qu’il qualifie d’approximations ou d’informations inexactes, et aurait permis d’informer les lecteurs sur le fait que le jugement dont il était rendu compte était frappé d’appel.

14. Cette critique des méthodes du journaliste, exprimée en termes sévères mais mesurés, est restée proportionnée à la teneur de l’article initial, dont l’arrêt a exactement retenu le ton ironique.

15. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

16. La cassation intervenue sur le premier moyen s’étend à l’ensemble du dispositif de l’arrêt, sauf en ce qu’il a déclaré recevable la constitution de partie civile de M. L..

17. Il n’y a pas lieu, en conséquence, d’examiner le second moyen.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le second moyen de cassation, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 11 janvier 2019, sauf en ce qu’il a déclaré recevable la constitution de partie civile de M. L.,

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt.

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