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Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait


Daphné, enceinte de trois mois, est en vacances à la campagne avec son compagnon François. Il doit s’absenter pour son travail et elle se retrouve seule pour accueillir Maxime, son cousin qu’elle n’avait jamais rencontré. Pendant quatre jours, tandis qu’ils attendent le retour de François, Daphné et Maxime font petit à petit connaissance et se confient des récits de plus en plus intimes sur leurs histoires d’amour présentes et passées...

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Entretien avec le réalisateur; Emmanuel Mouret.

Pourquoi ce titre ?
Il évoque pour moi un des grands plaisirs du cinéma, celui qui consiste à confronter un personnage à ses paroles : fera-t-il ce qu’il a dit ? est-il vraiment celui qu’il prétend être ? Le suspense au cinéma peut aussi être créé par la parole et c’est au spectateur de s’amuser à mesurer l’écart entre celle-ci et les actions qui suivront. La psychologie ne m’intéresse pas beaucoup au cinéma, parce qu’elle cherche à synthétiser, à expliquer, à réduire un personnage à une définition. La vertu du cinéma est d’observer le monde dans sa complexité et les personnages dans leurs contradictions. Il faut également entendre ce titre avec un sourire aux lèvres, une tendre ironie dans l’œil. J’aimerais que ce film soit une ode à notre inconstance. À une époque où nous sommes constamment, sévèrement, appelés à être cohérents, à mettre en rapport nos paroles et nos actes, je prends le parti de la douceur et de l’indulgence plutôt que celui de l’accusation. Ce n’est pas une position idéologique, c’est mon tempérament, et je dois avouer que je me contredis si souvent que je n’oserais en faire le reproche à mes semblables. « Nous n’allons pas : on nous emporte. Nous flottons entre divers avis, nous ne voulons rien librement, rien absolument, rien constamment », je ne saurais rien retrancher à ces mots de Montaigne.

On peut aussi penser à Diderot que vous adaptiez dans Mademoiselle de Joncquières. Quel rapport voyez-vous entre les deux films ? 
Oui, il y a aussi chez Diderot un scepticisme joyeux auquel je suis très sensible. Il s’agit d’observer le monde dans sa variété et de l’aimer ainsi, et surtout de ne pas tenter une conclusion, de ne pas le réduire à un système. Sur le plan cinématographique, il s’agit d’épouser les désirs, les sentiments, les opinions et les contradictions de chacun des personnages, et à les rendre aimables et beaux. Même si on pouvait juger Madame de la Pommeraye diabolique, elle n’en était pas moins attendrissante. Dans Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, il n’y a pas de vengeance comme dans Mademoiselle de Joncquières, mais il y a tout de même la revanche d’une femme délaissée, avec une force d’esprit hors du commun et un goût sûr pour la manipulation qui peuvent faire penser à Madame de La Pommeraye. 

Vous voulez parler du personnage de Louise (Emilie Dequenne) ? 
Tout à fait, c’est un personnage fascinant et qui continue de me fasciner même après avoir fait le film. Un personnage complètement romanesque et pourtant bien contemporain. Son geste est aussi beau et généreux que troublant et dérangeant. Il reste difficile à juger. Il a du panache, il peut sembler noble. Mais c’est aussi une revanche.

Comment avez-vous choisi Emilie Dequenne ? 
J’avais très envie de travailler avec elle depuis longtemps. C’est plutôt elle qui m’a enfin choisi et j’en suis très heureux. Sa palette de jeu est absolument incroyable et tout ce qu’elle joue semble si profondément ancré dans sa chair que même son visage, sa voix se transforment spectaculairement. Toute l’équipe était sidérée par ses métamorphoses.

Ce qui reviendrait à dire qu’au cinéma, la violence et la cruauté n’ont pas besoin de la violence physique ?
La violence intérieure me semble beaucoup plus intense que la violence extérieure, dans les films sentimentaux tout comme dans les films mettant en scène des criminels : les moments les plus tragiques seront ceux où le héros, bien que meurtrier par profession, sera confronté à un conflit de désirs inaccordables, généralement l’attachement familial, amoureux, amical et le devoir du groupe auquel il appartient. Le souci de l’autre, c’est ce qui rend notre relation au monde aussi belle que cruelle et complexe.

Le jeu de Camélia Jordana, comme celui de Vincent Macaigne, est tout en retenue et en intensité mêlées, nous les avions rarement vus comme cela. Comment se sont passés le casting et la direction d’acteur ? 
Je dois avouer que je connaissais à peine Camélia et c’est en voyant un essai qu’elle passait pour un autre film que j’ai eu un coup de foudre. Dès notre première rencontre, elle comprenait tout et si vite que j’en étais subjugué. Je voyais bien que son tempérament naturel n’était pas celui du personnage, j’avais un immense plaisir à la regarder jouer. C’est la première personne à qui j’ai dit oui et la distribution s’est faite autour d’elle. Quant à Vincent, on se connaissait un petit peu et on avait envie de travailler ensemble. Au début, je le trouvais un peu jeune pour le rôle, je voulais un homme mûr, responsable, un père de famille ancré professionnellement. La fantaisie de Vincent me faisait un peu peur aussi. Mais j’ai été conquis à la première lecture, sa douceur et sa sensibilité m’ont enchanté ! Vincent était très excité à l’idée de se vieillir, il a pris cela très à cœur, dans les moindres détails. La sobriété et la tendresse qu’il affiche dans le film me comblent.

Vous aimez les histoires dans les histoires ?
J’adore. Quand deux personnes se rencontrent, souvent ils se racontent mutuellement des histoires qui leur sont respectivement arrivées, et le récit de ces histoires peut créer de nouvelles histoires... C’est ce qui arrive à Daphné (Camélia Jordana) et Maxime (Niels Schneider), mais également à François (Vincent Macaigne). C’était très excitant à l’écriture de passer d’une histoire à l’autre, je voulais faire un film qui soit à la fois très ludique et très sentimental.

Il y a une grande circulation des sentiments dans votre film et bien des personnages ont le «  cœur élastique  », comme le disait un personnage dans votre film Caprice.
Oui, ce sont des personnages qui aiment, tous, sans exception ! Et c’est parce qu’ils aiment qu’ils sont beaux, mais c’est aussi parce qu’ils aiment que tout est si complexe et cruel. Le principe d’exclusivité en amour n’est pas du tout respecté. Il se pourrait que j’essaie de dire, malgré moi, dans chacun de mes films, que ce n’est pas un tort de ne pas être exclusif en amour, ça peut faire mal, très mal, mais cela n’en est pas néanmoins une faute morale. C’est ainsi. J’ai d’ailleurs une amie qui m’a dit en sortant de la projection que c’est un film qui donnait envie de tomber amoureuse.

Vous faites intervenir un philosophe dans le film et vous évoquez René Girard et le désir mimétique, cela correspond-t-il à vos idées ?
J’aime la théorie du désir mimétique (le fait de désirer le même désir que l’autre), elle s’applique très bien au cinéma où l’on aime le désir des personnages bien plus que l’objet qu’ils désirent. Cependant j’écris sans théorie, je trouvais amusant que le personnage de Daphné la déroule ainsi. Je n’ai pas d’idées arrêtées sur bien des choses et c’est ce qui me plaît au cinéma, plutôt que d’avoir à trancher, je préfère épouser différentes idées incarnées par des personnages. Je ne suis pas sceptique par défaut, mais par goût. Chaque théorie a une saveur, il est plaisant de les mêler et de les faire danser. Quant au philosophe incarné dans le film, il s’agit d’un faux philosophe qui dit juste des choses qui feront avancer l’histoire. Les idées philosophiques sont comme des contes, ils ont des effets sur nos esprits, plus ou moins grands, et parfois inattendus... comme dans le film.

Êtes-vous un directeur d’acteur autoritaire ?
Comme dit Jean Renoir, le casting c’est 80% de la direction d’acteur. Après il y a des lectures, on parle un peu, mais une fois que j’ai choisi un comédien, je ne donne pas beaucoup d’indications de jeu. C’est plutôt une question de mise en scène, d’autant plus que je fais beaucoup de plans-séquences, avec de nombreux déplacements. Dans le plan-séquence, ce n’est pas seulement la continuité du jeu qui m’intéresse, c’est surtout le mouvement, la variété des positions, la cinétique. Et plus un plan est compliqué, plus un comédien peut se dépasser, il est si préoccupé par les déplacements et les choses à faire que le personnage apparaît par lui-même, sans interactions de la volonté.

Il y a beaucoup de musique dans le film et il semble que la variété narrative correspond à cette variété musicale.
Une musique entièrement composée pour le film aurait eu du mal à suivre la diversité des personnages. On a donc passé énormément de temps avec les choix musicaux, puis avec la musique au montage. La musique permet une sorte d’accélération émotionnelle, c’est comme une voix off purement sentimentale. Toutes ces musiques différentes, Purcell, Mozart, Chopin, Tchaïkovski, Poulenc, Satie, cohabitent pour donner à ressentir la variété des sentiments.

Drame, romance français de Emmmanuel Mouret. 1 nomination au Festival de Cannes 2020 (édition 73).

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