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Un soupçon d'amour


Geneviève Garland, une célèbre comédienne, répète «  Andromaque  » de Racine, avec pour partenaire, son mari André. Elle ressent un malaise profond à interpréter ce personnage et cède son rôle à son amie Isabelle qui est aussi la maîtresse de son époux.  Geneviève s’en va avec son fils malade dans son village natal. Elle semble fuir certaines réalités difficiles à admettre.

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Entretien avec le réalisateur; Paul Vecchiali.

Paul Vecchiali, selon vos propres mots, il y a trois films dans votre filmographie que vous n’auriez pas pu ne pas faire : L’Étrangleur, Corps à cœur, En Haut des Marches. Un soupçon d’amour serait-il le quatrième ? 
Oui et non. Il y avait plus de 60 ans que je cherchais à me libérer de ce deuil. J’ai écrit un roman dont le titre était le nom que nous avions choisi pour la fille à venir : « MARIECHRISTINE ». Elle vivait avec moi au fil des années. Le film restait à faire. Le métier m’a écarté de ce projet. Et j’ignorais comment l’aborder. Brusquement, je compris que ce qui me gênait, c’était de voir un comédien jouer mon rôle. J’ai aussitôt pensé qu’avec une femme je pourrai me détacher du contexte. À partir de ce postulat, tout est allé très vite : l’écriture du scénario, le casting, la préparation, le tournage. Je n’ai donc pas eu le temps de me poser la question que vous soulevez. 

Le film commence par une répétition d’Andromaque, grande pièce du théâtre classique. Au-delà du sujet de la pièce en écho au drame personnel vécu par Geneviève, il me semble que la langue de Racine se retrouve en pointillé dans celle du film, avec des clins d’œil  par exemple lorsque Isabelle dit à différents moments «Andromaque agonise», «Andromaque se meurt», «Andromaque expire». Aviez-vous en tête le théâtre du XVIIème pendant l’écriture du scénario ?
Par réflexion plutôt que directement. Ma sœur, Sonia Saviange, dans Femmes Femmes, avait fait une improvisation sur une scène d’Andromaque. Elle aussi avait perdu son enfant, un fils qui n’a vécu que six heures. Ce fut le point de départ. Mais aussi la situation d’Andromaque, dans la pièce, qui craint pour son fils et que Geneviève assimile à la sienne. Il est vrai que j’aime le « texte ». C’est mal vu de nos jours. On fait aussi allusion à La mégère apprivoisée dont Geneviève et André joueraient dans la vie une sorte de parodie.

Vous êtes certainement, peut-être avant tout, un cinéaste de l’amour sous toutes ses formes. Ici, vous partez d’une relation de couple plutôt traditionnelle (Geneviève, qu’incarne Marianne Basler, et André, joué par Jean-Philippe Puymartin) un couple marié depuis longtemps qui connaît une certaine usure. Et vous introduisez tout aussi classiquement l’autre femme, Isabelle, qu’interprète Fabienne Babe. 
L’amour a toujours été au centre de ma vie, donc de mes films. Je ne sais rien de plus important que d’aimer une personne. Passer par l’amour me semble inévitable quel que soit le sujet de la fiction.

Cependant, une fois le personnage bien en place, vous renversez totalement les clichés, puisque c’est elle qui va réunir le couple séparé. Un exemple de dialectique veccchialienne ?
Isabelle (elle ne s’en cache pas) utilise son sex-appeal pour faire fructifier sa carrière, sans le moindre affect. Mais son amour pour André est réel, autant que son affection et son admiration pour Geneviève. Je crois que c’est la première fois qu’on voit, dans un film, (Mais je peux me tromper) deux « rivales » au sens commun du terme, qui restent surtout deux complices. Est-ce vraiment de la dialectique ? Possible. J’aime beaucoup ce personnage. Fabienne Babe l’a parfaitement compris et incarné.

J’aimerais justement revenir sur la scène de la danse où vous faites très bien passer cette sensation que ces deux femmes que tout oppose dans leur féminité même sont en réalité plus proches qu’il n’y paraît. C’est ce qu’André ne supporte pas ? 
Il y a deux questions. Oui à la première mais il faudrait remarquer que, quand Basler chante « Et ce quoiqu’il en soit », elle foudroie du regard Isabelle comme si elle la défiait mais c’est très fugitif. Pour la deuxième question, effectivement, André est littéralement paumé face à cette complicité apparente, qu’il n’arrive ni à définir, ni à croire.

Le jeu de Marianne Basler va crescendo dans l’expression de la folie qui tient le personnage. Comment avez-vous travaillé cet aspect précis dans la direction d’acteurs ? 
La direction d’acteurs est, pour 80%, le choix des acteurs. À partir du moment où Marianne Basler s’est investie dans le personnage, je l’ai laissée totalement libre. Nous n’avons parlé que de cadence au cours des lectures des dialogues. Bien sûr, reste la gestuelle, plan par plan.

En arrière-plan du drame qui constitue la colonne vertébrale du film, on retrouve maintes allusions au cinéma et à la télévision qui attirent, comme un aimant, acteurs, actrices et metteurs en scène de théâtre. Avec cette phrase dite par Isabelle : «la seule différence entre le théâtre et le cinéma, c’est la caméra et les techniciens». Qu’avez-vous à nous dire sur la question ?
Théâtre/Cinéma ? La phrase que vous citez, dite par Fabienne Babe, me semble explicite. Certes, aujourd’hui, on a tendance à rejeter le « texte », à singer la rue, on s’applique même à parler très vite comme si les acteurs/trices avaient peur d’oublier les paroles ou qu’ils aient un truc urgent à faire, ou un besoin pressant… Personnellement, je ne supporte pas ça. « On vient au cinéma pour connaître et non pas pour reconnaître ». Jean Cocteau.

Drame francçais de PaulVecchiali. 3,6 étoiles sur AlloCiné.

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