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Petit pays


Dans les années 1990, un petit garçon vit au Burundi avec son père, un entrepreneur français, sa mère rwandaise et sa petite sœur. Il passe son temps à faire les quatre cents coups avec ses copains de classe jusqu’à ce que la guerre civile éclate mettant fin à l’innocence de son enfance. 

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Entretien avec les réalisateurs; Gael Faye et Eric Barbier.

Un romancier qui voit son livre être adapté est- il méfiant ? Est- ce qu’il hésite ? Cela lui fait peur ? 
Gaël Faye : Oui. Je sais d’ailleurs qu’il y a des écrivains qui refusent d’être adaptés. Ils veulent garder leur histoire neutre dans l’imaginaire des lecteurs comme dans le leur. Pour ma part, je n’ai pas hésité trop longtemps et ce qui m’a décidé à accepter le principe d’une adaptation, ce qui m’a motivé, c’était de constater que nous n’existions pas dans le cinéma mondial, dans l’imaginaire du public. Quand je dis « nous », je veux dire cette région du monde, mon pays d’origine. Le Burundi, le Rwanda, c’est une terre inconnue. Ne surnagent que des clichés : la violence et la guerre. On ne connaît pas les gens, on ne connaît pas l’intimité de ce qu’ils vivent et pensent. Il était important que cette histoire existe dans un film pour cette raison-là. Le cinéma est beaucoup plus puissant et plus populaire que la littérature dans cette optique : faire en sorte qu’un monde soit reconnu.

Et quelle a été votre réaction quand vous avez découvert le film une fois terminé ?
GF : J’avais assisté à une partie du tournage et j’avais déjà vu des images, mais la première projection fut malgré tout une expérience inattendue. Je l’ai vécue comme un moment violent. Ce fut d’autant plus dur que le film a fait remonter des souvenirs de ma propre vie. À la sortie de la première projection, je n’avais rien à dire à Éric parce que j’avais besoin de digérer…

Le film vous a donné l'occasion de revisiter votre propre livre ?
GF
: Oui. Je ne m’étais pas rendu compte de la violence du texte, de certaines scènes que j’avais écrites. La littérature permet d’atténuer ou de mettre à distance la réalité la plus brutale. J’ai ressenti un sentiment d’asphyxie à un moment donné et c’est en voyant le film que j’ai pris conscience que mon histoire pouvait en effet mettre celui qui la reçoit dans cette situation-là. 

Éric Barbier : On a beaucoup plus conscience dans le film que tous les événements dramatiques qui se sont déroulés en 1993 et 1994 dans cette région de l’Afrique sont très ramassés dans le temps. Il se passe cinq mois entre le coup d’État au Burundi qui met le pays à feu et à sang et le début du génocide des Tutsis au Rwanda. La fiction condense la narration de ces drames dans un temps très court, qui donne l’impression que le film est plus brutal que le livre, bien que la majorité des scènes violentes soient extraites du roman : le coup d’État, la nuit de peur avec sa sœur, les coups de feu, la violence des gangs, le lynchage. 

GF : Ce qui est étrange, c’est qu’il n’y a pas vraiment de violence à l’image. Il y a une pression psychologique.

EB  : Pour Gaby, le héros du film, plusieurs catastrophes se superposent :  la séparation de ses parents, la guerre civile au Burundi et le génocide des Tutsis au Rwanda. Mais c’est vrai que ces évènements et cette violence sont hors-champ. Dans le film, la famille est la caisse de résonnance de la grande histoire. Le coup d’État et la guerre civile au Burundi impactent directement la vie quotidienne de la famille de Gaby. La mère, qui est une réfugiée rwandaise au Burundi, subit de plein fouet l’horreur du génocide des Tutsis et la mort de ses proches au Rwanda. Ce drame va complètement modifier son comportement par rapport à sa famille et à Gabriel en particulier.

GF : La grande différence avec le livre est dans la concentration de l’action. Ce qui m’est d’ailleurs revenu, c’est l’état de tension dans lequel j’ai vécu. J’avais presque oublié cette tension et le film m’a rappelé une certaine réalité de la situation dans laquelle je me trouvais : tous les jours amenaient son lot d’angoisses avec le bruit de la guerre qui devient comme une musique de fond. 

EB : Gaël m’a souvent dit comment, malgré les bruits des explosions, des tirs qui faisaient partie du paysage à Bujumbura, la vie continuait.

GF : C’est vrai, et très vite on retournait jouer dans les champs… Cette superposition était terrible et le film en rend très bien compte. En le voyant, je me suis aussi rappelé que quand j’ai quitté le Burundi et que je suis arrivé en France, j’ai eu le sentiment d’une décélération de ma vie, comme si les choses se mettaient d’un coup à aller tout doucement. Plus rien n’était important… 

Eric Barbier, quand vous plonger dans la lecture du livre avec l'idée de l'adapter quelle est la porte d'entrée par laquelle vous entrez ? Quel fil suivez-vous ?
EB : Éric Jehelmann, Philippe Rousselet et Jérôme Salle, les producteurs, m’ont parlé de PETIT PAYS dès la sortie du livre. J’ai été très touché par la force du roman, par la mélancolie qui traverse l’écriture de Gaël quand il raconte le Burundi de son enfance, son paradis perdu. Très vite pour moi, l’effet miroir, bizarrement, c’est Gaby. Ce n’est pas dans le personnage du père, qui est blanc et français, que je me retrouve le plus mais dans celui de l’enfant. Parce que je retrouve en lui une partie de mon enfance. Là d’où je viens, un petit village du Sud de la France, mon enfance était un peu comme celle de Gaby. Mes parents me laissaient très libre. À partir de 8 ans, j’étais dans la rue, lâché dans la nature. Je faisais le même genre de conneries que Gaby avec ses copains.   GF : J’étais content qu’Éric comprenne ce type d’éducation où les parents et les enfants vivent leur vie souvent de leur côté. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas d’amour, qu’il n’y pas de proximité, mais les enfants sont en effet souvent lâchés dans la nature. Dans une société française, vu de loin, on peut facilement penser que des parents comme ceux de Gaby sont irresponsables, mais pas du tout. C’est une autre réalité. Je trouve qu’Éric montre très bien comment les parents aiment leurs enfants, mais qu’ils ont leur vie, leurs problèmes. Il montre très bien aussi la tension qui se crée au sein d’un couple mixte, entre un Blanc et une Noire. Et tout cela, en suivant le seul point de vue de l’enfant…

Il y a une proximité entre petit pays et la promesse de l'aube, votre précédent film. Dans les deux cas, il s'agit de l'histoire d'un enfant, d'un fils, et d'une mère problématique.
EB
: C’est vrai, les motifs centraux des deux histoires sont les rapports entre un fils et sa mère. Disons que le lien entre les deux films tient à la volonté qu’ont les deux fils de voir leur mère heureuse. Mais il y a une différence fondamentale : Gabriel a le sentiment de ne pas être aimé par sa mère alors que dans le livre de Romain Gary, Romain est écrasé par cet amour.

GF : Gaby a le sentiment que sa mère ne le reconnaît pas. Et d’ailleurs à la fin, rendue folle par tout ce qu’elle a traversé, elle ne le reconnaît pas, littéralement. Pour revenir sur LA PROMESSE DE L’AUBE, cela fait partie des raisons qui m’ont convaincu de travailler avec Éric. Quand j’ai vu ce film, je me suis dit qu’il savait filmer l’enfance et les rapports entre une mère et son fils. C’est quelque chose qui n’est pas évident et je trouvais que c’était très puissant dans le film.

Drame français belge de Eric Barbier. 1 nomination au festival francophone d'Angoulème 2020 (édition 13). 3,8 étoiles sur AlloCiné.

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