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Reclassement conditionné


Au cours d’une procédure de licenciement économique, des salariés reçoivent des lettres leur proposant des reclassements avec faculté de pouvoir se déplacer sur leur éventuel nouveau lieu de travail et d’avoir un entretien avec le responsable hiérarchique. Contestant la légitimité de leur licenciement au motif que leur proposition de reclassement n’était pas ferme mais soumise à approbation de l’entité d’accueil, les salariés engagent une procédure. La Cour d’appel leur donne raison mais la Cour de cassation censure l’arrêt. En effet, selon elle, l’entretien individuel était une faculté offerte au salarié, et non une étape obligatoire du processus de reclassement.

Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, Chambre sociale du mercredi 01 juillet 2020. Pourvois n° : 18-24.608 - 18-24.637.


Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Rouen, 20 septembre 2018), la société Vibratechniques, faisant partie du groupe Atlas Copco, a décidé, début 2013, dans le but de sauvegarder sa compétitivité, la fermeture de son site de production situé à Saint-Valery-en-Caux qui employait quarante-neuf salariés. Après mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi volontaire, elle a licencié quarante salariés affectés sur ce site le 19 juin 2013.

3. Contestant leur licenciement, M. F... et vingt-neuf autres salariés ont saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens. Sur le second moyen, ci-après annexé.

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche. Enoncé du moyen.

5. L'employeur fait grief aux arrêts de dire les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer à chacun des salariés des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à chaque salarié, alors « qu'est suffisamment précise la lettre de demande de recherche de reclassement adressée par l'employeur aux autres sociétés du groupe indiquant, pour les salariés à reclasser, l'emploi occupé par département de l'entreprise ainsi que le nombre de salariés concernés par chacun de ces emplois, et précisant encore que les curriculum vitae de chacun sont tenus à disposition ; qu'en affirmant au contraire que les recherches de reclassement au sein du groupe avaient été insuffisantes et non personnalisées, peu important que les curriculum vitae soient tenus à disposition, dès lors qu'elles ont consisté dans l'envoi d'un tableau récapitulant par département de l'entreprise, l'emploi occupé et le nombre de salariés concernés par chacun de ces emplois, à l'exception de tout élément sur le parcours de chacun quant aux compétences acquises au sein de la société Vibratechniques, mais aussi en dehors et aux expériences, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 :

6. Il résulte de ce texte que l'employeur est tenu avant tout licenciement économique de rechercher toutes les possibilités de reclassement existant dans le groupe dont il relève, parmi les entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

7. Pour retenir un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement et juger les licenciements des salariés dépourvus de cause réelle et sérieuse, les arrêts retiennent que les recherches de reclassement de la société n'ont aucunement été personnalisées puisqu'elles consistent dans l'envoi d'un tableau récapitulant par département de l'entreprise, l'emploi occupé et le nombre de salariés concernés par chacun de ces emplois, à l'exception de tout élément sur le parcours de chacun quant aux compétences acquises au sein de la société mais aussi en dehors et aux expériences, étant observé que l'indication dans le courriel que le curriculum vitae est tenu à disposition démontre que celui-ci n'a à ce stade pas été envoyé et que rien n'établit qu'il a été envoyé en tout état de cause à un autre moment.

8. En statuant ainsi, alors que la lettre de demande de recherche de postes de reclassement, qui comportait un tableau récapitulant par département de l'entreprise, l'emploi occupé par les salariés à reclasser et le nombre de salariés concernés pour chacun de ces emplois, était suffisamment personnalisée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le premier moyen, pris en sa septième branche. Enoncé du moyen.

9. L'employeur fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les écrits soumis à leur appréciation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que les offres de reclassement doivent être écrites, précises et fermes et que ne répondent pas à cette exigence, les propositions faites par la société Vibratechniques d'un poste subordonné à un entretien avec un supérieur hiérarchique de l'entité d'accueil et à la possibilité d'une offre ferme d'emploi adressée le cas échéant par le directeur des ressources humaines de cette entité ; que cependant, les propositions de reclassement indiquaient seulement : « Si vous manifestez votre intérêt pour la (les) proposition(s) de poste qui est (sont) faites avant la fin du délai, vous pourrez bénéficier de 2 jours d'absence rémunérée dans le cadre d'un voyage de reconnaissance pour vous rendre sur votre potentiel nouveau lieu de travail et avoir un entretien avec le responsable hiérarchique local

À l'issue de l'entretien avec le supérieur hiérarchique du poste proposé, une offre ferme d'emploi pourra être adressée au salarié par écrit par le directeur des ressources humaines de l'entité d'accueil, accompagnée de deux exemplaires originaux du contrat de travail avec l'entité d'accueil» ; qu'ainsi les propositions de reclassement faites aux salariés, conformément au plan de sauvegarde de l'emploi, ne subordonnaient pas le reclassement à un entretien avec le supérieur hiérarchique pouvant être suivi d'une offre du responsable des ressources humaines, mais offraient seulement la faculté aux salariés d'un tel entretien, lequel n'avait pour seul objet que de leur présenter l'environnement professionnel dans lequel ils étaient susceptibles d'évoluer ; que rien, en revanche, ne les obligeait à cette rencontre, ni ne subordonnait le reclassement effectif à l'accord du responsable des ressources humaines ; qu'il en résulte qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a dénaturé les propositions de reclassement et a méconnu le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

10. Pour retenir un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement et juger les licenciements des salariés dépourvus de cause réelle et sérieuse, les arrêts retiennent encore que les propositions de reclassement à un poste sont subordonnées à un entretien avec un supérieur hiérarchique à l'issue duquel une offre ferme d'emploi pourra être adressée par le directeur des ressources humaines de l'entité d'accueil, en sorte qu'elles ne sont pas fermes.

11. En statuant ainsi, alors que les lettres de proposition de postes de reclassement précisaient qu'en cas d'intérêt manifesté pour une proposition de poste, le salarié pourrait bénéficier d'une absence rémunérée dans le cadre d'un voyage de reconnaissance pour se rendre sur le potentiel nouveau lieu de travail et avoir un entretien individuel avec le responsable hiérarchique local, ce dont il résultait que l'entretien avec le supérieur hiérarchique n'était qu'une faculté offerte au salarié, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes des lettres de proposition de postes de reclassement, a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils disent les licenciements des salariés dépourvus de cause réelle et sérieuse et condamnent la société Vibratechniques à payer aux salariés une somme à titre de dommages-intérêts à ce titre et à rembourser à l'antenne Pôle emploi concernée les indemnités versées aux salariés, les arrêts rendus le 20 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;

Condamne MM. F..., Y..., W..., C..., Q..., J..., N..., V..., M..., A..., SH..., TR..., NA..., DN..., EI..., DV..., SK..., GN..., QB..., HR..., LB..., NA..., et Mmes S..., R..., BY..., OS..., JS..., KF..., KW... et HI... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille vingt.

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