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Quand les messages d'un salarié n’ont pas un caractère personnel


Un salarié, à partir de sa messagerie professionnelle, adresse des courriels à une de ses collègues. Ces messages qui contenaient des propos insultants envers des supérieurs et subordonnés sont portés à la connaissance de l’employeur par l’assistante du salarié qui en avait copie. Le salarié est licencié pour faute grave mais conteste aux prud’hommes son licenciement arguant que ces messages avaient un caractère personnel. La Cour de cassation ne le suit pas : les messages électroniques litigieux, échangés à l'aide de l'outil informatique mis à la disposition du salarié par l'employeur pour les besoins de son travail, provenaient d'une boîte à lettre électronique professionnelle et n'avaient pas été identifiés comme personnels, ce dont il résultait que l'employeur pouvait en prendre connaissance.

Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, Chambre sociale, du 9 septembre 2020. Pourvoi n° : 18-20489.

[…]

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 mai 2018), M. C... a été engagé le 16 mars 2009 par la société Accor en qualité de directeur site management. Il a été nommé cadre dirigeant par avenant du 1er juillet 2011.

2. M. C... a été licencié pour faute grave le 30 avril 2014.

3. Il a saisi la juridiction prud'homale de demandes en contestation de la rupture de son contrat de travail et en paiement de rappels de salaire.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatrième, cinquième et huitième branches, et le troisième moyen, ci-après annexés

4.En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, sixième et septième branches

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce que son licenciement soit déclaré nul ou à titre subsidiaire dépourvu de cause réelle et sérieuse et à ce que soit rejetés les éléments de preuve, illicites, communiqués par la société et, en conséquence, de le débouter de ses demandes en paiement de diverses sommes, alors :

« 1° / que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis ou reçus par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail; que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché; que la circonstance que l'émetteur d'une correspondance la rendre accessible à un nombre restreint de personnes agréées par lui ne fait pas perdre sa nature de correspondance privée, de sorte que l'employeur ne saurait licitement en prendre connaissance ni les utiliser contre le salarié; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que, « comme le rappelle la société Accor, celle-ci est entrée régulièrement en possession des messages litigieux, ceux-ci ayant été transférés avec l'accord de M. C..., dans la boîte électronique de son assistante, Mme W..., puis, consultés dans celle-ci et imprimés à partir de cette boîte, en présence d'un huissier de justice - étant rappelé que le matériel informatique utilisé par les deux salariés était mis à leur disposition par l'employeur » et que « ces messages ne peuvent être qualifiés de privés alors que l'un de leurs auteurs, M. C..., a laissé à un tiers - fût-ce son assistante - toute liberté pour les détenir et les consulter ; qu'en outre, la société Accor n'a pas cherché à s'emparer de cette correspondance et en a pris connaissance seulement par l'intermédiaire de Mme W... qui lui en a révélé l'existence »; qu'en statuant par de tels motifs inopérants, tandis que la seule circonstance, à la supposer avérée, que M. C... ait donné accès uniquement à son assistante aux messages privés litigieux ne leur faisait pas perdre leur caractère de conversation de nature privée, interdisant à l'employeur de s'en saisir pour sanctionner le salarié, la cour d'appel a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 9 du code civil et l'article L. 1121-1 du code du travail ;

2°/ que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis ou reçus par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail ; que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; que la circonstance que l'émetteur d'une correspondance la rendre accessible à un nombre restreint de personnes agréées par lui ne il fait pas perdre sa nature de correspondance privée, de sorte que l'employeur ne saurait licitement en prendre connaissance ni les utiliser contre le salarié; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que, « comme le rappelle la société Accor, celle-ci est entrée régulièrement en possession des messages litigieux, ceux-ci ayant été transférés avec l'accord de M. C..., dans la boîte électronique de son assistante, Mme W..., puis, consultés dans celle-ci et imprimés à partir de cette boîte, en présence d'un huissier de justice - étant rappelé que le matériel informatique utilisé par les deux salariés était mis à leur disposition par l'employeur » et que « ces messages ne peuvent être qualifiés de privés alors que l'un de leurs auteurs, M. C..., a laissé à un tiers - fût-ce son assistante - toute liberté pour les détenir et les consulter ; qu'en outre, la société Accor n'a pas cherché à s'emparer de cette correspondance et en a pris connaissance seulement par l'intermédiaire de Mme W... qui lui en a révélé l'existence » ; qu'en statuant par de tels motifs inopérants, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé en quoi la surveillance et l'utilisation des messages issus de la messagerie instantanée de l'intéressé, à les supposer même légitimes dans leur principe, ne portaient pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie personnelle au regard du but poursuivi par l'employeur, a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 9 du code civil et l'article L. 1121-1 du code du travail ;

3°/ que, subsidiairement, l'employeur, qui se prévaut d'un élément de preuve, doit justifier, lorsque cela est contesté, qu'il est entré en possession de celui-ci de manière licite; que M. C... faisait valoir dans ses conclusions remises et soutenues à l'audience que, s'il avait donné son accord pour que sa secrétaire, Mme W..., puisse accéder à sa boîte mail pour gérer, au besoin, son agenda, il ne l'avait en revanche pas autorisée à accéder au contenu de ses correspondances échangées via la messagerie instantanée de l'entreprise « Lynk », l'employeur ne l'ayant, à tout le moins, pas informé que l'autorisation donnée à la secrétaire d'accéder à sa boîte mail impliquerait également la retransmission de ses conversations instantanées à cette dernière ; que, pour dire que l'employeur était entré en possession des échanges litigieux de manière licite, la cour d'appel a retenu que Mme W... avait accès à la messagerie de M. C... et qu'il n'était pas justifié de la disparition de cette prérogative, aucun élément de preuve n'établissant que l'autorisation donnée à celle-ci d'accéder à la messagerie du salarié aurait été limitée aux seuls messages « mails » de ce dernier ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il appartenait à l'employeur de démontrer qu'il était entré en possession de manière licite des éléments de preuve dont il se prévalait au soutien du licenciement pour faute grave, la cour d'appel a violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil ;

4°/ que si les courriels adressés ou reçus par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf s'ils sont identifiés comme personnels, l'employeur ne peut les utiliser pour sanctionner le salarié s'il s'avère que ces courriels relèvent de la vie privée du salarié ; qu'à ce titre, la seule circonstance que l'intéressé ait autorisé un nombre restreint de personnes à prendre connaissance desdits messages ne suffit pas à leur faire perdre leur nature de conversation privée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a estimé qu'à partir du moment où l'employeur aurait eu licitement le droit de disposer des messages litigieux, cela suffisait en soi à justifier qu'il puisse fonder sur eux le licenciement pour faute grave ; qu'en se déterminant de la sorte, tandis que la circonstance, à la supposer même avérée, que l'employeur ait pu licitement appréhender les messages litigieux du fait de leur transfert sur la boîte de l'assistante de M. C..., ne suffisait pas à leur faire perdre leur nature de conversation privée, ni donc à permettre à l'employeur de les utiliser contre le salarié pour le sanctionner, la cour d'appel, qui n'a nullement caractérisé en quoi les messages litigieux n'auraient pas constitué une conversation de nature privée insusceptible de fonder une sanction contre le salarié, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du code du travail ;

5°/ qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire que s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ; que, pour retenir la faute grave, la cour d'appel a énoncé qu'« il apparaît à la lecture des échanges litigieux que ces propos, témoignant d'une conversation régulière et fournit, de M. C... avec sa collègue, Mme I..., sont exprimés sur un ton grossier et méprisant envers ses collègues, supérieurs ou subordonnés, critiqués à titre personnel et en dehors de toute considération de travail » et « qu'ils traduisent aussi un désaccord avec la stratégie de l'entreprise et montre finalement, de M. C..., l'image contrefaite d'un supérieur irrespectueux, cynique et hypocrite, détaché de l'intérêt de son personnel et de l'entreprise », qualifiant ainsi le comportement de l'exposant d'« irrespectueux et déloyal, incompatible avec la confiance et le sentiment d'exemplarité qu'un cadre dirigeant doit pouvoir inspirer à son employeur » ; qu'en statuant ainsi, sans expliquer concrètement en quoi les échanges entre M. C... et Mme I... étaient constitutifs de la violation d'une obligation découlant du contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. D'abord, la cour d'appel a constaté que les messages électroniques litigieux, échangés à l'aide de l'outil informatique mis à la disposition du salarié par l'employeur pour les besoins de son travail, provenaient d'une boîte à lettre électronique professionnelle et a fait ressortir qu'ils n'avaient pas été identifiés comme personnels, ce dont il résultait que l'employeur pouvait en prendre connaissance.

7. Ensuite, la cour d'appel a constaté, par motifs propres et adoptés, que les messages échangés avec une collègue, automatiquement transférés à l'assistante du salarié avec l'accord de ce dernier, comportaient d'une part des propos insultants et dégradants envers des supérieurs et subordonnés, et d'autre part de nombreuses critiques sur l'organisation, la stratégie et les méthodes de l'entreprise. Ayant retenu que ces messages, qui étaient en rapport avec l'activité professionnelle, ne revêtaient pas un caractère privé, elle a ainsi fait ressortir qu'ils pouvaient être invoqués au soutien d'une procédure disciplinaire contre le salarié dont elle a relevé le comportement déloyal.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit jugé qu'il ne pouvait recevoir la qualification de cadre dirigeant et se trouvait donc soumis à l'horaire légal de 35 heures et, en conséquence, de ses demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires et congés payés y afférents, de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et de remise sous astreinte d'une attestation Pôle Emploi et de bulletins de salaire rectifiés, alors « que sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ; que si les trois critères fixés par l'article L. 3111-2 du code du travail impliquent que seuls relèvent de la catégorie des cadres dirigeants les cadres participant à la direction de l'entreprise, il n'en résulte pas que la participation à la direction de l'entreprise constitue un critère autonome et distinct se substituant aux trois critères légaux ; que, pour débouter M. C... de sa demande de rappel d'heures supplémentaires, la cour d'appel a retenu, par motifs propres, que « les conclusions et les pièces de la société Accor démontrent que la situation de l'appelant était conforme aux conditions d'indépendance d'emploi du temps, d'autonomie et de rémunération, prescrites par l'article L. 3111-2 du code du travail » et adopté les motifs des premiers juges selon lesquels « le conseil, à la lecture des pièces versées aux débats, valide la qualité de cadre dirigeant de M. C... » ; qu'en statuant ainsi, par voie d'affirmation péremptoire, sans viser ou analyser, même sommairement, les éléments lui permettant de caractériser l'indépendance du salarié dans l'organisation de son emploi du temps, sa capacité à prendre des décisions de manière largement autonome et le fait que sa rémunération se situait effectivement parmi les plus élevés de l'entreprise ou de l'établissement dont il relevait, et donc de conclure à la qualité de cadre dirigeant de l'exposant, la cour d'appel n'a pas motivé sa décision conformément aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

10. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé à peine de nullité.

11. Pour juger que le salarié n'avait pas la qualité de cadre dirigeant, l'arrêt retient que les conclusions et les pièces de la société démontrent que la situation de l'intéressé était conforme aux conditions d'indépendance dans l'emploi du temps, d'autonomie et de rémunération prescrites par l'article L. 3111-2 du code du travail, que l'ensemble de ces trois conditions conduisait bien le salarié à participer à la direction de l'entreprise puisque celui-ci était membre des comités de direction de la société, qu'ainsi sa liberté d'action et de décision personnelle n'était pas limitée à la seule structure qu'il dirigeait mais dépassait cette limite pour s'étendre à l'entreprise toute entière.

12. En statuant ainsi, par voie de simples affirmations, sans analyser les fonctions réellement occupées par le salarié au regard des chacun des trois critères fixés par l'article L. 3111-2 du code du travail, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation n'emporte pas cassation du chef du dispositif par lequel le salarié a été débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, que les critiques du premier moyen ne sont pas susceptibles d'atteindre.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. C... de ses demandes tendant à voir dire qu'il n'avait pas la qualité de cadre dirigeant, en paiement de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents, ainsi que de remise sous astreinte d'une attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire conformes, l'arrêt rendu le 31 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Accor aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Accor et la condamne à payer à M. C... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille vingt.

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