Farès et Meriem forment avec Aziz, leur fils de 9 ans, une famille tunisienne moderne issue d’un milieu privilégié. Lors d’une virée dans le sud de la Tunisie, leur voiture est prise pour cible par un groupe terroriste et le jeune garçon est grièvement blessé…
Le film démarre sur une scène magnifique qui montre la complicité entre Fares et son fils Aziz. Elle ne dévoile rien de la suite, mais expose bien leur relation fusionnelle.
Il était primordial de démarrer le film comme ça. Cette ouverture devait montrer que le lien unissant le père et le fils était extrêmement fort. Je filme les mains du père et de son fils sur le volant comme un fil rouge qu’on va suivre tout au long du film. L’idée de l’enfant qui tient le volant était aussi symbolique. Il tient les rênes et c’est lui qui va nous plonger dans le passé de la famille.
UN FILS est un drame sur la filiation qui se passe en 2011. Pour quelles raisons ?
En Tunisie, l’année 2011 a été une année charnière sur les plans politique et social. L’action se déroule en août et en septembre, sept mois après la révolution. Il me paraissait important que l’action se déroule à cette période précise car cela me permettait d’ajouter un contexte social et historique à l’histoire. Au départ, je n’avais pas la prétention de vouloir parler de la révolution : je n’en avais ni les connaissances nécessaires ni les moyens. Je ne suis ni historien ni politologue. Ce qui m’intéressait, c’étaient les répercussions que la vie politique pouvait avoir sur une famille d’allure classique. Et c’est la raison pour laquelle cette histoire se déroule quelques mois après la chute de Ben Ali, et quelques semaines avant celle de Khadafi, exécuté en octobre. De grands changements ont eu lieu dans cette partie du monde et je voulais que mes personnages évoluent à cette période précise. Et à la fois, je ne voulais pas trop pousser cet aspect-là.
Comment ça ?
Le contexte politique ne prend jamais le pas sur la sphère personnelle et intime du film. Les événements influencent le développement de l’histoire, mais l’intrigue se concentre toujours sur le drame qui saisit la famille. Au début de l’histoire, avant l’embuscade, on sent que la famille est protégée. Ils passent d’un cocon à un autre. Le cocon de leur vie sociale, avec leurs amis, puis le cocon de leur voiture, une Range Rover qui coûte une fortune en Tunisie, et puis leur hôtel, cette chambre… C’est pour ça qu’au début du tournage, qui fait office de déclencheur en provoquant un électrochoc, j’ai choisi de montrer la vitre de la voiture qui se brise en mille morceaux. Pour moi, cela symbolise la relation que Fares et Merlem entretiennent avec la réalité, avec leur pays et le monde qui les entourent. Leur sphère personnelle est envahie et la barrière qui les protégeait est attaquée.
Comment avez-vous écrit ce scénario, quel en a été le point de départ ?
Qu’on le veuille ou non, on va toujours, dans une certaine mesure, faire appel à des événements qu’on a vécus. Je suis convaincu que dans chaque histoire qu’on raconte, il y a toujours une part d’intime. J’étais très jeune quand mes parents ont divorcé. Après le divorce, j’ai vécu avec ma mère et mes deux demi-frères d’un précédent mariage. Je me suis toujours interrogé sur ce qu’aurait été ma vie si j’avais eu un père, mais aussi sur la différence entre un frère et un demi-frère, sur la question de la filiation et des liens du sang… Et quand j’ai grandi, j’ai commencé à réfléchir à ces liens du sang qui lient les membres d’une famille. Comment définit-on un parent ? En quoi consiste la parentalité ? Est-ce que la reproduction génétique fait de nous un parent ? Ces questions ont pu être à l’origine de ce scénario.
Le film est à la fois un mélodrame, un drame conjugal et un film politique. Comment êtes-vous parvenu à articuler ces différentes formes ?
Il m’a fallu près de quatre ans pour développer ce scénario, avec plusieurs périodes d’écriture. Comme il s’agissait d’un premier film, j’ai participé à plusieurs ateliers d’écriture pour parfaire ma technique. A chaque fois, j’ai travaillé sur les différentes couches. Je me suis d’abord concentré sur l’intrigue principale, puis j’ai travaillé les éléments secondaires avant de donner de la chair en y ajoutant le contexte politique. Et pour finir, j’entrais dans la partie plus intime du couple. Tout en gardant à l’esprit que le film ne traite pas simplement de la paternité, mais aussi de la maternité et de l’adultère. A un moment, je me suis senti quelque peu désorienté et j’ai décidé de faire appel à Magali Negroni comme consultante. Elle a été un soutien important pour moi car elle m’a permis de me recentrer sur les fondamentaux en évitant que le drame ne se transforme en mélo et que le pathos ne prenne toute la place.
Le scénario est construit autour de plusieurs ellipses, comme la scène où Meriem se confie à Fares, ou quand Fares va à la rencontre du père biologique d’Aziz.
Ces ellipses ont tout de suite fait partie du scénario. Quand Meriem se confie à son mari, on sait déjà ce qu’elle va lui dire. La répétition du discours n’était donc pas nécessaire, c’était superflu. J’aime ces ellipses narratives car je trouve qu’elles permettent au spectateur de rester concentré.
Mais vous courez le risque que le spectateur pense que Meriem n’a pas l’occasion de « se défendre ».
C’est vrai. Mais c’est un risque que j’ai décidé de prendre. Ça m’a permis de donner plus de poids à cette relation que le couple entretient. Au sens où leur histoire continue d’évoluer. Ce n’est qu’à travers des petits détails qu’on perçoit ce qui a pu se produire quelques années auparavant. Ce qui nous a permis de développer l’histoire crescendo. Et puis surtout, je ne souhaitais pas tout révéler dès le départ. L’idée n’était pas de retenir l’émotion, mais en dissimulant certains éléments, j’avais la possibilité de dévoiler le passé du couple. Comme dans la scène où Fares dit à Meriem que c’est comme ça qu’elle s’est vengée de son infidélité. Est-il important à ce moment-là de connaître les raisons de l’infidélité de cette femme ? Je ne le crois pas. En revanche, ce qui est essentiel, c’est de voir comment l’ego du père va prendre le dessus sur l’ego du mari. Quand j’ai écrit le scénario, l’équilibre le plus dur à trouver était celui entre l’ego de cet homme blessé, trahi, et l’ego du père. Au moment de l’écriture, à chaque fois que je devais prendre une décision concernant ce personnage masculin, je me demandais toujours lequel des deux s’exprimait : l’homme ou le père ? Et c’est comme ça que j’ai pu résoudre certains problèmes de scénario.
Vous avez fait le choix d’une fin ouverte, ce qui est cohérent avec la structure elliptique du film et offre ce libre arbitre aux personnages et aux spectateurs…
C’est ce que nous voulions. Qu’on se refasse le film, avec les brancardiers qui passent, les figurants aperçus dans diverses scènes, les policiers et le personnel hospitalier, la femme en burqa… Et l’idée était précisément de permettre aux deux protagonistes de décider de leur avenir. Ils se sont libérés du passé et de tout ce que ça sous-entendait en termes de blessures et de non-dits. C’est à eux d’écrire leur avenir à présent. Se remettront-ils ensemble ou pas ? J’ai la réponse dans ma tête, mais je laisse les spectateurs décider pour eux-mêmes.
Vous filmez le plus souvent en adoptant le point de vue de la mère et beaucoup moins celui du père.
Les dictateurs qu’on a eus en Tunisie ont en quelque sorte assumé la fonction du père. D’un point de vue psychanalytique, en se débarrassant de Ben Ali, on a tué le père. Dans les pays arabes, la relation au père est particulièrement inhabituelle, pour ne pas dire étrange. Le film traite bien sûr de la paternité, mais aussi de l’aspect maternel de la filiation, de l’amour et de l’infidélité féminine, un sujet peu traité dans le cinéma arabe.
Meriem est un personnage magnifique sur lequel vous ne portez pas de jugement moral.
Je ne voulais pas que cette femme adultère soit jugée négativement. C’était un des objectifs principaux à l’écriture du scénario, car je ne voulais ni la condamner ni la juger. C’est pour cette raison que j’ai écrit la scène où elle propose de se livrer à la justice. Un sacrifice qui, à mes yeux, en fait l’égale de son mari. Et ce n’est pas sans conséquences car, en Tunisie, l’adultère est passible de cinq ans de prison ferme. Fares aurait facilement pu se rendre à la police et porter plainte contre sa femme qui aurait été envoyée en prison avec son amant. Surtout que dans cette histoire, il y a une preuve tangible : l’enfant. C’est une scène déterminante pour Meriem qui en ressort transformée, y compris aux yeux de Fares. La scène redéfinit la fin car le personnage de Meriem va vivre une vraie transformation intérieure.
Il y a cette réplique merveilleuse qu’elle lance à Fares « C’est ça l’homme moderne que tu prétends être ? »
Avec cette réplique, Meriem ose défier son mari. Le couple se considère comme un couple moderne. Ils boivent, ils ont des amis qui racontent des histoires salaces – y compris les femmes. Les femmes fument, elles travaillent. J’ai voulu poser la question de la modernité. Qu’est-ce que cela signifie d’être moderne ? Jusqu’où peut-on aller dans le monde arabe ? Meriem et Fares forment un couple qui jouit d’une situation sociale et financière enviable. On comprend qu’il a vécu à l’étranger et qu’il a choisi de retourner en Tunisie. C’est un homme ouvert sur le monde, sur l’Occident. Mais face à ce drame, la modernité, particulièrement celle de l’homme, a ses limites. Un homme moderne peut-il accepter que sa femme ait été infidèle ? Qu’elle ait eu un enfant avec quelqu’un d’autre, ouvertement et publiquement. Pour moi, la réponse est clairement oui. C’est pour ça que je suggère par ce dernier regard entre eux à la fin du film qu’il a fallu qu’ils en arrivent là pour vraiment décider de prendre un nouveau départ. C’est aussi un film sur ces deuxièmes chances et sur le pardon.
La mise en scène est toujours factuelle, et se focalise sur ce qui se passe, sans embellissement.
S’il y a un mot qui, j’espère, résume le film, c’est la sobriété. Au sens où j’ai toujours cherché, que ce soit au niveau du montage, de la musique, de la lumière, du cadre ou du jeu, à refléter la réalité. Avec quelque chose de viscéral, d’organique. En évitant d’avoir recours à des artifices. C’est pour ça qu’il n’y a pas de plans réalisés avec des grues ou autre, pas de mouvements de balayage de caméra : en bref, rien d’artificiel. Je voulais une caméra à l’épaule qui soit au plus près des personnages, qui court avec eux et fasse ressentir leur douleur. Rester focalisé et centré sur ces personnages, c’est un choix que j’ai fait dès le départ. Même pour les paysages, je n’ai pas chercher à les embellir. Le désert comme la douleur devaient être montrés comme tels. La force des personnages se suffisait à elle-même ; si nous avions trop chargé la mise en scène, il y aurait eu trop de pathos, ce que je voulais éviter à tout prix.
Vous filmez souvent en gros plans, ce qui, couplé au format Scope, amplifie la détresse des personnages.
J’ai souhaité tourner en Scope dès le départ et ce choix a été définitivement validé quand nous sommes allés en repérage avec mon directeur de la photographie, Antoine Héberlé. J’avais le sentiment que le Scope me permettrait d’isoler plus encore les personnages. Ce fut d’abord un choix théorique mais qui s’avéra être le bon quand j’ai compris qu’il me permettait de montrer la solitude des personnages grâce au cadre, sans avoir recours à des artifices de mise en scène plus élaborés.
Parlez-nous de votre désir de travailler avec Sami Bouajila…
C’est l’acteur qui m’est venu à l’esprit dès le début. Sami a un tel charisme, il est l’archétype de l’homme qui rassure. Le personnage qu’il interprète a du succès, il s’exprime bien, il ne contrôle pas sa femme, il n’est pas jaloux de sa réussite. Au contraire, il en est fier. C’est quelqu’un de bien à tous égards. Mais dès que le drame se profile, ses faiblesses se révèlent. Et Sami est un acteur malléable, c’est un vrai caméléon. Impossible de le ranger dans une case. Est-ce un gentil ? Un méchant ? J’aime les acteurs de sa trempe. Il s’est vraiment investi dans le rôle. Du moment où on a commencé les lectures, et pendant toute la préparation ensemble, j’ai appris à le connaître. Il accepte sa fragilité et il ne tente pas de la dissimuler. Il est authentique et honnête. Il était parfait pour le rôle de Fares.
Et Najla Ben Abdallah qui joue le rôle de Meriem ?
Elle avait un peu moins d’expérience. Elle avait fait un peu de télévision, d’où sa notoriété en Tunisie. Je l’ai choisie au bout de plusieurs mois de casting, ça a duré presque sept mois en tout. Je dois dire que je déteste les auditions classiques au cours desquelles on demande à un acteur de jouer une scène du film devant la caméra. Je ne voulais pas travailler avec un directeur de casting, j’ai tout fait moi-même. Bien sûr, j’ai rencontré un nombre incalculable de candidates. Je leur racontais rapidement l’histoire, je leur parlais un peu du personnage. Mais plutôt que de leur faire jouer une scène du film - car je suis toujours déçu par ce processus par lequel on trouve rarement la bonne énergie et le bon rythme - je leur demandais de jouer une scène que j’avais complètement inventée dans laquelle je jouais le mari et elles la femme. Sans aucune préparation. Juste sur le moment. Et c’était filmé. Le bout d’essai de Najla a duré dix-sept minutes, et sur cette durée, j’ai pu voir toutes les facettes du personnage. Je l’ai vue pleurer, crier, rester muette, bouleversée… En bref, j’ai vu Meriem.
Drame français, qatarien, libanais, tunisien de Medhi M.Barsaoui. 3,8 étoiles sur AlloCiné.