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L'ombre de Staline


Pour un journaliste débutant, Gareth Jones ne manque pas de culot. Après avoir décroché une interview d’Hitler qui vient tout juste d’accéder au pouvoir, il débarque en 1933 à Moscou, afin d'interviewer Staline sur le fameux miracle soviétique. A son arrivée, il déchante : anesthésiés par la propagande, ses contacts occidentaux se dérobent, il se retrouve surveillé jour et nuit, et son principal intermédiaire disparaît. Une source le convainc alors de s'intéresser à l'Ukraine. Parvenant à fuir, il saute dans un train, en route vers une vérité inimaginable...

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Note d’intention de la réalisatrice Agnieska Holland

Notre protagoniste, le jeune journaliste gallois Gareth Jones, se rend célèbre par la publication de son article retraçant son voyage en avion avec le nouveau chancelier allemand - Adolph Hitler. Jones profite de sa situation politique au sein du gouvernement britannique en tant que Conseiller aux Affaires Étrangères auprès de David Lloyd George pour obtenir un accès privilégié à l’Union Soviétique. Il suit effectivement de près le contexte politico-économique en Russie, en quête de son prochain grand sujet.

À Moscou, Jones apprend que le gouvernement a provoqué la famine en Ukraine, information tenue secrète par les Soviétiques. Il parvient à se rendre sur place et prend des notes sur les atrocités dont il est alors témoin. Il affronte également la crainte et l’hypocrisie vécues non seulement par les citoyens soviétiques mais aussi par les correspondants et les politiciens occidentaux qui ont trahi pour la gloire et le profit.

Avec la scénariste, Andrea Chalupa, nous souhaitions décrire de manière évocatrice, en toute simplicité et sans détours, la mécanique de Jones passant successivement par tous les cercles de l’enfer, heurtant son idéalisme, sa jeunesse et son courage à une réalité brutale. Pas d’évidence journalistique ou informative, pas de chantage sentimental ni dénouement heureux explicite. Personne ne voulait entendre la vérité sur les atrocités perpétrées par Staline que Jones dévoilait.

Ce n’était ni dans l’intérêt des politiques britanniques ni des puissants de ce monde. La vérité sur la réalité soviétique, sur l’Holodomor – extermination par la faim opérée par Staline – ainsi que la vérité sur l’Holocauste, ont été étouffées par un Occident politiquement et moralement corrompu. Les conclusions que l’on peut tirer de ce simple récit - d’une manière très subjective et sensible – sont que l’indicible réalité de ces années-là demeure d’actualité dans une Ukraine en guerre contre les successeurs de Staline, et dans une Europe en proie à de multiples menaces internes et externes, incapable de faire face à la vérité et de s’unir afin de protéger ses valeurs.

La clef de l’histoire selon moi est l’intrigue de George Orwell lorsqu’il écrit son célèbre roman dystopique allégorique La Ferme des animaux. En découvrant le massacre des paysans ukrainiens, Jones inspire d’une certaine manière le récit de George Orwell et en devient partie intégrante (le fermier du roman s’appelle Mr. Jones). Nous tenions à ce que le film soit simple et réel ; nous avons employé des procédés stylistiques pratiquement invisibles, à l’exception des moments où nous voulions mettre en avant les mouvements, l’énergie, l’appétit de Jones pour la vérité : nous avons alors puisé notre inspiration dans l’avant-gardisme soviétique.

Le film doit sa teneur à ses quatre principaux acteurs : Joseph Mawle qui incarne George Orwell, Peter Sarsgaard dans le rôle de Walter Duranty, directeur du bureau du New York Times à Moscou, Vanessa Kirby qui joue la reporter Ada Brooks, et James Norton qui interprète Gareth Jones. Ce dernier endosse le rôle le plus difficile car il porte tout le poids de l’histoire et donne vie au courage, à l’honnêteté et aux idées de Monsieur Jones, en même temps qu’à son humour, son intelligence et son intégrité.

Nous avions conscience, en tournant ce film, de raconter une histoire intemporelle. Mais c’est après-coup seulement que j’ai pris la mesure de sa pertinence aujourd’hui encore, en ce qui concerne les « fake news », les lanceurs d’alerte, la désinformation, la corruption des médias, la lâcheté des gouvernements, l’indifférence des gens.

Le conflit qui oppose le courage et la détermination de Jones à l’opportunisme cynique et à la couardise de Duranty reste aussi d’actualité. De nos jours, nous ne manquons pas d’égoïstes et de conformistes corruptibles. Nous déplorons l’absence des Orwell et des Jones. Pour cette raison, nous tenions à leur redonner vie.

Biopic, drame polonais, britanique, ukrainien de Agnieska Holland. 7 nominations.

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